Protection et destinée du chasseur

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Dans la conception animiste de la chasse, l’homme fait plus que de s’exposer physiquement aux dangers de la brousse. Tout chasseur doit aussi s’armer contre certains maux qui pourraient frapper a posteriori. Les boli, ces petits gris-gris qui ornent les costumes traditionnels n’ont pas d’autres buts. Eclairages sur la notion de nyama, centrale dans la compréhension de tout être vivant.

« Le nyama est un concept lié à la notion de personne. C’est à peu près le même terme chez les Bambara et les Malinké mais j’en ai recensé en tout soixante. Le mandingue a systématisé toutes les composantes qui font un être, y compris son énergie vitale. Le tarabasso est un point critique en l’homme où se concentre l’énergie. Tara veut dire « le feu le plus ardent », ba veut dire « grand » et so, « maison ». Le cerveau, le bulbe rachidien, le cervelet et la moelle épinière ne sont pas étrangers au tarabasso, même s’il se peut que ce point se déplace. On dit qu’un homme en pleine possession de ces facultés intellectuelles, morales et spirituelles, qui commettrait un tort quelconque à l’endroit d’un être vivant doit se sentir coupable. C’est la notion de nyama. Un adolescent, par exemple, n’est pas considéré comme entièrement conscient de ses actes. On ne peut pas le juger, on peut tout au plus lui donner une correction. Il n’est pas mûr. Par contre, à partir du moment où l’on est conscient de la portée de ses actes, on encoure le nyama. Le tort le plus grand que l’on puisse causer à l’endroit d’un être, même d’un arbre, c’est de lui donner la mort ou le blesser gravement. La notion de culpabilité est donc là, qui va vous tenailler. Deux attitudes : demander pardon, s’il peut être accepté, ou se purifier à l’aide de bains rituels auxquels les chasseurs se livrent constamment. Parce que l’âme et l’esprit se chargent de scories, de tares mêmes, pour avoir nui à autrui, même si c’est pour la bonne cause. Parce que le chasseur dit que, lorsqu’il tue, c’est pour nourrir les pauvres et les orphelins. Mais même pour cette bonne cause-là, il se sent coupable d’un tort irréparable. Ça, c’est la première acception du nyama.
La deuxième acception, c’est l’effroi qu’éprouve le chasseur devant la bête : la charge d’un buffle. On dit même que votre sang se liquéfie davantage. Cela peut être devant la bête qui charge ou bien devant la bête qui meure, qui se débat et qui râle, surtout si la créature est belle comme peuvent l’être la biche harnachée, la petite gazelle ou l’antilope chevaline. Qu’éprouve le chasseur alors que la queue de l’animal remue encore ? Qu’éprouve le guerrier après avoir tué un ennemi, même si sa cause est juste ? Le nyama, c’est ça : ce que cette vision de l’horreur impose à notre conscience. C’est finalement cette acception que les gens retiennent, à l’exclusion des autres parce que les chasseurs n’en parlent pas. On dit donc que le sang du grand chasseur s’est modifié, surtout s’il a commencé jeune à abattre des bêtes. Soit il mettra au monde des enfants porteurs de tares ou il n’aura pas d’enfants. On attribue tout ça à ce nyama. On dit que le corps d’une victime s’irradie et envoie à son agresseur une sorte de flux vital qui va le pénétrer, le percer jusqu’aux tréfonds de sa maison intérieure, de sa maison de vie. C’est ça, le nyama. On l’explique par cet exemple : quand tu allumes un foyer, la braise ardente est là, c’est l’âme ; les flammes et le halo de chaleur, c’est le nya, l’irradiation de l’âme. On peut subir l’influence d’une âme forte ou débile de même que l’on subit la chaleur d’un foyer incandescent. Les effluves que le vent emporte, c’est le nyama. Il se disperse dans la nature mais où va cette énergie ? Elle réintègre l’énergie cosmique universelle, mais pour ce qui est du nyama des animaux et des êtres vivants, comme les grands arbres des ancêtres ou les génies tutélaires du village, elle ne s’éteindra que lorsque vengeance sera faite. Si tu es puissant et que tu as des protections magiques et autres, si tu es solide du cerveau, tu ne seras pas atteint, quoique, au moment de leur mort, les râles des chasseurs, des bouchers, des policiers véreux, des criminels se manifestent. Ce sont les affres de la mort qui vont te tenailler, c’est le nyama qui va te tarauder la vie, il va te travailler au corps et à l’esprit. Tu vas délirer. Je ne dis pas ça pour effrayer les gens. Ça peut passer une ou plusieurs générations, et après apparaissent des gens dans ta lignée qui vont devenir des criminels ou des pyromanes. On dit qu’ils sont eux aussi mordus par le nyama (nyamakin), ce n’est pas de leur faite. Toutes les protections des chasseurs, les bains rituels, les prières, les levées de deuil, sont destinés à apaiser ce nyama des victimes du chasseur. »

///Article N° : 1633

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