Les collages photographiques de Nestor Da

Entretien de Marian Nur Goni avec Nestor Da

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Bamako, Apt, Arles, Lyon, Brighton… Voici quelques lieux arpentés entre 2009 et 2010 par le photographe Nestor Da.
Conversation autour de son parcours et de ses nombreux projets.

Quel est votre parcours ? Plus précisément, quand et comment commencezvous à créer vos collages mêlant bouts de photographies et peinture ? Et quel était le contexte dans lequel vous travailliez alors ?
J’ai eu mon premier appareil – un petit boîtier argentique – en 1998. J’étais alors adolescent, et ce fut grâce à une rencontre avec des artistes européens de la compagnie Royal de Luxe qui étaient venus à Bobo-Dioulasso, ma ville. Parmi ces artistes, il y avait Gaëlle Usandivaras qui pratiquait la photographie, elle avait un gros appareil et j’étais très attiré par cela. Pour moi, la photographie, voir une image sur du papier, c’était quelque chose de magique. Je cherchais à savoir ce qu’il y avait derrière cela… Quand elle est partie, elle m’a offert un appareil photographique avec deux pellicules.
Tous les gens à qui je montrais l’appareil voulaient que je fasse leur portrait.
J’ai donc commencé à prendre beaucoup de photographies, à « flasher » partout. Toutefois, je ne pouvais pas dépenser de l’argent pour tirer les photographies et les leur donner gratuitement. J’ai donc commencé à faire payer les tirages.
Par la suite, les gens ont appris à me connaître : ils venaient directement chez moi ou ils m’appelaient car je n’avais pas de studio propre. Je travaillais dans la rue, je faisais plaisir aux gens. Peu importait ce que cette activité me rapportait, l’objectif était de rester dans ma passion. Souvent, les gens ne payaient pas pour récupérer les photographies réalisées ou bien ils me faisaient tourner en rond, pour la plupart, par manque d’argent. Le métier me plaisait mais c’était une perte… Cela ne pouvait durer. Je me suis demandé alors comment je pouvais exploiter toutes ces photographies invendues que je ne voulais pas détruire, comment les utiliser autrement.
C’est en 2006 que j’ai eu l’idée d’un rapprochement avec la peinture, alors que je n’étais pas peintre du tout ! J’ai commencé à détourner les images, en les découpant, je remplaçais les « morceaux » manquants : la peinture est venue naturellement, mais, au tout départ, j’ai débuté avec des feutres de couleur.
J’étais fâché avec la plupart de ces gens… C’était un autre moyen de faire parler ces images muettes, et de combler en moi ce fort besoin de me faire plaisir.
Avant tout cela, j’étais simple photographe, des gens posaient pour moi. La photographie était mon gagne-pain.
Aujourd’hui, je suis en train de scanner tous mes négatifs – il m’en reste encore plein – que j’ai réalisé depuis 1998.
De quelle manière détourniez-vous les photographies au départ ? Est-ce que votre manière de travailler alors avait un lien avec le contexte de la prise de vue ou bien c’était sans rapport avec les conditions de travail initiales ?
Au départ, c’était les images qui me donnaient l’inspiration, qui me guidaient pour savoir comment les transformer, les peindre… Mais ces derniers temps, j’essaye de choisir mes images en fonction de ce que je veux faire.
Avant, c’était plutôt un travail brut : je travaillais à partir des images que je trouvais et je voyais ce que cela pouvait donner avec de la peinture. Maintenant, je travaille sur des images à partir des idées que j’ai en tête au préalable.
Quel est le support de vos images ?
Le support en vrai « n’existe pas ». L’image retravaillée, au moyen de la peinture et de la découpe, est scannée ou ré-photographiée, selon ce que je trouve comme matériel.
Est-ce que le fichier numérique est ensuite retravaillé au moyen d’un logiciel de traitement de l’image ?
J’utilise très peu Photoshop, je me limite uniquement au travail sur les contrastes. Mais pour revenir à la question du support, celui d’origine est détruit : pour partir sur de nouvelles choses.
Pourquoi ?
Car l’image finale pour moi est la photographie qui résulte de ce travail. Cette image est tirée ensuite sur du papier photographique. Ce n’est pas la couleur, ni la matière qui m’intéresse : c’est la composition finale.
Quels place et « rôle » attribuez-vous à la photographie et à la peinture dans votre travail ?
La peinture représente un complément de retouche par rapport aux photographies qui sont, elles, essentielles. Elle sert pour moi à les marquer, à leur donner une autre dynamique, à les rendre plus fortes.
A quelles autres sources photographiques puisez-vous pour fabriquer vos compositions ?
Il m’arrive d’utiliser des photos extraites de magazines, ceci surtout à mes débuts, pour trouver d’autres moyens de compréhension. Mais pour la plupart de mes collages, j’utilise mes propres photographies. Je sais de quel genre d’images je vais avoir besoin et je prends donc mes photos en fonction de cela. Parfois, je pioche dans ma « base » de photographies personnelles que j’essaie d’enrichir régulièrement. A d’autres occasions, je fais poser mes amis, mon entourage, pour compléter une image qui manque à la composition. Les prises de vue se font aussi très naturellement, en fonction des sujets sur lesquels je travaille, et de ce que j’essaye de faire ressortir à travers elles.
Quels sont les artistes qui vous inspirent ou qui ont compté dans votre parcours ?

Je pense au mouvement Dada que j’ai découvert il n’y a pas longtemps et duquel je trouve que mon travail se rapproche un peu. J’ai connu le travail de Vik Muniz et Léon Ferrari pendant les Rencontres de la Photographie d’Arles : leurs travaux m’inspirent beaucoup et m’encouragent à faire plus.
Antoine Tempé compte également dans mon parcours de photographe car c’est quelqu’un qui m’a soutenu dans mes débuts au Burkina.
A la suite du prix de la Fondation Blachère obtenu aux Rencontres de Bamako de 2009 vous avez passé six mois de formation à l’École Nationale de la Photographie d’Arles. Que retenez-vous de cette expérience ?
J’ai retenu beaucoup de choses que je ne pourrai pas expliquer en détail. Mais les deux points qui ressortent essentiellement de cette expérience sont que j’ai beaucoup appris au niveau technique et puis le fait que j’ai pu développer mon réseau et mes contacts professionnels.
En juin de cette année, vous avez pris part à un workshop organisé dans le cadre de l’événement lyonnais « passages », qui réunissait quelques jeunes photographes africains. Au cours de cette période, vous avez réalisé cinq tableaux où l’on remarque la présence systématique de caméras de surveillance. Quelle a été l’idée à la base de ce travail ?
Ces caméras de surveillance, très présentes en France (dans les supermarchés, les autoroutes, etc.), me posaient beaucoup de questions. C’est par la suite, en en discutant avec des personnes, que j’ai découvert que beaucoup de travaux ont été créés sur le sujet. Ces caméras me perturbaient, bien qu’en même temps elles me redonnaient confiance… J’ai eu moi-même quelques problèmes, parfois, dans les magasins : les gens me demandaient de déposer mon sac à dos et ce, alors qu’il y avait plein de caméras de surveillance partout…
Tout cela était nouveau pour moi et j’avais à Lyon des moyens pour travailler sur le sujet.
Dans un autre registre, j’ai aussi été interpellé en France par les places pour les personnes handicapées dans les rues : par rapport à là où je vis, ces petits détails sont frappants pour moi. Il faut que je prenne le temps de me nourrir des situations pour amener quelque chose de juste et de réel vis-à-vis d’où je suis. L’idée est de confronter des choses. J’espère finir ce travail à mon retour au Burkina.
Comment cette thématique de la surveillance pourrait-elle être travaillée par la suite au Burkina ?
Ce pourrait être un travail qui donne l’image de ce qui pourrait nous arriver demain, avec l’évolution de la société et la modernisation. Amener cette idée, à travers ces images réalisées en France, pour poser la question en Afrique. Mais là, je fais une pause… J’essaye de prendre du recul avant de me remettre au travail.
Une autre de vos séries se nomme « L’ombre de l’image ». Pouvez-vous nous en parler ?
« L’ombre des images » est un travail déjà présenté plusieurs fois en Afrique et en Europe et qui s’est terminé en 2009. Au départ, je travaillais sur des œuvres distinctes, isolées, mais je me suis rendu compte, après discussion avec diverses personnes, qu’il valait mieux trouver des lignes de travail. Par exemple, pour répondre à la thématique de la biennale de Bamako, il fallait sélectionner des travaux qui résonnent avec celle des frontières (1). J’ai décidé de nommer le travail que j’avais fait jusque-là « L’ombre de l’image » car ce titre fait écho à la façon dont je procède pour créer mes images.
Au fil du temps, ma manière de travailler se développe… Maintenant j’ai le courage d’aller vers les gens et de leur demander s’ils veulent bien poser pour moi en leur expliquant ce que je veux faire, alors qu’au départ je travaillais sur des coups de cœur et de chance.
Aujourd’hui, j’ai envie de faire quelque chose qui soit bien et propre. Je veux me donner les moyens d’y arriver.
Quelles sont les réactions vis-à-vis de votre travail dans votre pays ?
J’ai exposé plusieurs fois au Centre Culturel Français, une exposition vient d’ailleurs de s’y clore « La France vue de près par Nestor Da » (lien ci-contre).La plupart du temps, ceux qui ont des mots à dire à propos de mon travail, qui y sont sensibles, sont des gens qui trempent dans le milieu artistique. Mais j’essaye de faire bouger des amis, des gens qui n’ont rien à voir avec le milieu de la culture et de l’art, et qui sont un peu « perdus dans leurs mondes ». Ils apprennent à voir autre chose dans la photographie. Mon souhait serait d’organiser des projections dans les quartiers où j’ai grandi, pour amener les gens à porter un autre regard sur la photographie. Car la photographie, ici, c’est la photographie de soi, de sa famille, de fêtes, c’est tout. Je me vois bien essayer d’amener cet autre regard sur la photographie, mais j’essaye d’y aller mollo-mollo car il faut de la préparation…
Vous avez bénéficié cet été d’une résidence « Crossing Point », organisée par la structure londonienne Photo-Festivals, pendant la semaine professionnelle des Rencontres d’Arles. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consistait exactement ?
Cette résidence m’a permis de présenter mon travail pendant des rendez-vous de lectures de portfolios à des galeristes, des éditeurs et des journalistes, pour la plupart anglophones. Yasmina Reggad était l’organisatrice et la traductrice de cette résidence. Pendant ce temps, je vivais en collocation avec d’autres artistes de passage aux Rencontres : l’idée était de partager des moments ensemble pour mieux se connaître, échanger sur nos expériences, et garder le contact. Le but général étant d’agrandir « mon univers » de travail. Ces lectures de portfolio, une première expérience en tant que telle, ont été des moments forts pour moi. Durant ces rencontres, on m’a dit souvent que mon travail était vraiment différent des autres : cela m’a donné beaucoup plus de confiance en moi.
Après plusieurs mois d’absence, vous allez maintenant rentrer au Burkina Faso. Quels sont vos projets pour le futur ?
Ce qui me tient à cœur, c’est de mettre en place mon atelier photo à Bobo-Dioulasso, cela va me permettre d’être plus libre pour travailler sur place et de pouvoir échanger avec d’autres artistes de passage.
Et puis, par nature, je suis porté à explorer de nouvelles choses… Il y a la fête du cinquantenaire de l’Indépendance qui va bientôt arriver (2) et la ville de Bobo-Dioulasso est en construction. Des routes ont été cassées, des arbres ont été arrachés, des gens disent que la nature est en colère… Et puis il y a tant d’inégalités. C’est un sujet intéressant : étant sur place, je peux y travailler, même si le travail dans son ensemble prendra peut-être deux, trois ans, car il faut savoir comment parler et où de ces choses-là… Chez moi, c’est quand la photographie prend de l’âge qu’elle devient intéressante : grâce au regard rétrospectif.
J’ai aussi envie de voir d’autres pays : le Ghana, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Rwanda… Pour avoir une autre vision de l’Afrique que celle que j’ai. J’essaye d’avoir des possibilités pour cela, sans avoir des images précises de ce que je vais trouver. C’est ainsi que je travaille sur le terrain, à partir de quelque chose qui fait partie de la réalité.

1. La thématique « Frontières » était celle choisie pour l’exposition internationale de l’édition 2009.
2. Le 11 décembre 2010.
Entretien réalisé en juillet 2010.

Voir également le murmure « Le photographe Burkinabè Nestor Da en résidence à Arles en juillet 2010 » sur le lien suivant :
//africultures.com/php/index.php?nav=murmure&no=6399///Article N° : 9761

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Les images de l'article
L'ombre de l'image, "Au quotidien", 2009 © Nestor Da
L'ombre de l'image, "Division", 2009 © Nestor Da
L'ombre de l'image, "Droit universel", 2009 © Nestor Da
L'ombre de l'image, "Espoir", 2009 © Nestor Da
L'ombre de l'image, "Handicap", 2009 © Nestor Da
L'ombre de l'image, "Solitude", 2009 © Nestor Da
Surveillance, 2010. © Nestor Da
Surveillance, 2010. © Nestor Da





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