Le traitement médiatique des violences policières

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Adama Traoré est décédé le 19 juillet 2016 suite à une interpellation par les gendarmes. L’affaire n’a depuis cessé de prendre de l’ampleur, relayée de plus en plus largement par une sphère médiatique qui, au moment des faits, était restée évasive privilégiant alors les versions officielles quant aux causes de son décès. Retour sur un évènement révélateur du traitement à plusieurs vitesses des violences policières.

Une méfiance à l’égard des grands médias

« TF1 assassin, médias complices », le message est brandi par un manifestant lors de la marche blanche organisée le 22 juillet en l’honneur d’Adama Traoré. Trois jours auparavant, le jeune homme était décédé suite à son interpellation par des gendarmes dans la commune de Beaumont-sur-Oise (95). Si l’histoire est aujourd’hui connue, elle n’avait eu que peu de retentissement au début de l’été. « Les médias pour moi c’est Facebook, Twitter. C’est là que je vais m’informer. A la télé, à la radio, on ne parle pas de la mort d’Adama, c’est inacceptable. » Cette manifestante ne décolère pas. Les journalistes venus couvrir le point presse organisé par la famille au départ du cortège ? Elle ne leur accorde que peu de crédits, à l’image de la méfiance généralisée à l’égard des « grands » médias qui parcourent le cortège de ce 22 juillet : France Inter, Le Parisien, ou encore Libération. « Mort d’Adama Traoré : dans les 20h, c’est  » Circulez y’a rien à voir  » titrait le Bondy Blog dès le 22 juillet, soulignant l’absence d’un traitement conséquent de la mort du jeune homme dans les JT des chaînes d’informations généralistes les plus regardées. Qu’un des deux articles publiés par le Bondy dans les jours qui suivent le décès soit consacré à son traitement médiatique est éloquent. la violence initiale est redoublée par les discours qui l’entourent.
« Il y a un sous-traitement de la question, nous explique Julien Salingue, du site Acrimed (action critique média). Des violences commises par les habitants des quartiers vont être beaucoup plus couvertes que quand ce sont eux qui en sont victimes. Ce n’est jamais considéré comme un phénomène social et politique, mais toujours comme une série d’incidents isolés. Parler d’Adama Traoré comme d’un fait divers, c’est contribuer à son invisibilisation, à celles des victimes des violences policières. »

Criminaliser et invisibiliser les victimes

C’est seulement en cas de mobilisations autour de la victime que la famille et les collectifs de soutien sont sollicités. « Il y a un mal-traitement de ce type d’information parce qu’on prend pour argent comptant la version policière des évènements. On entend rarement les victimes ou leurs proches, leur parole est mise en doute alors que la version policière, celle du parquet, ou de la préfecture est présentée comme étant la version neutre. on a toujours l’impression que ceux qui contestent la version policière sont dans l’idéologie, alors que la police et les institutions sont dans la transmission de l’information brute. C’est ce qu’on a pu appeler dans d’autres circonstances un journalisme de préfecture. » Acrimed avait déjà soulevé la question des sources dans un article revenant sur la couverture de la mort de Zyed et Bouna en 2005 à Clichy-sous-Bois (93). On y lit comment avaient alors été opposés la source officielle (celle de la police) et les témoignages des habitants qualifiés de »rumeurs »(1).
« Rumeurs », « Bavure », les éléments de langage sont montrés du doigt par les collectifs de lutte contre les violences policières (2). Pierre Tevanian, dans son essai Chronique du racisme républicain, démontre comment ce qu’il appelle la « diffamation des victimes » est amplifiée par la terminologie employée par la presse. Il cite pour exemple Mahamadou Maréga, décédé en 2010 à colombes (92). Cet homme fut décrit comme « violent » dans plusieurs articles (3), justifiant par là l’utilisation du taser pouvant avoir provoqué son arrêt cardiaque. dans ces mêmes articles, Mahamadou Maréga est désigné par les termes flous « un sans papier », « le Malien ». Pour Tevanian, cette absence de nom est symptomatique du procédé d’invisibilisation de la victime. cette dernière est niée, et avec elle l’éventualité d’un décès dû à des violences policières.

Un rapport de force médiatique

Mécontents de ce traitement, les proches des victimes créent des espaces de paroles. Assa Traoré, la soeur du défunt, mène sans relâche un combat pour – ce sont ses mots – la justice et la vérité à propos de la mort d’aAdama. On a pu l’entendre expliquer sur le plateau de l’émission arrêt sur images, diffusée en décembre dernier, qu’un des enjeux majeurs de cette lutte était le rapport de force médiatique. Si les comités Vérité et Justice pour les victimes des violences policières furent créés dans les années 80, les réseaux sociaux changent la donne. Malgré le peu d’écho remporté par leurs luttes, différents activistes s’y mobilisent depuis quelques années déjà. le collectif Urgence Notre Police Assassine, qui regroupe proches et familles de victimes, est aussi actif sur la toile que dans les manifestations. Sur la page Facebook « La vérité pour Adama » qui comptabilise plus de 39 000 likes, la famille relaie des informations,coupures de presse et lettres ouvertes. elle y diffuse également des conférences de presse via l’outil de streaming en direct périscope : devant la Mairie de Beaumont-sur-Oise, à la sortie du tribunal lors du procès de Baguy et Youssouf Traoré. Ainsi faisant, la famille Traoré refuse de subir la situation et inverse la logique de confiscation du discours. Elle se saisit des outils, ne clame pas qu’elle a raison mais cible les dysfonctionnements du système médiatique. Le milieu militant utilise les réseaux sociaux d’une façon similaire. Très active sur twitter, Sihame Assbague, activiste anti-raciste et qui se présente comme « journaliste par obligation », déconstruit les discours et représentations médiatiques en leur opposant une réponse systématique. En plus d’un travail de veille concernant ces enjeux, elle reprend à son compte les procédés de travail journalistique en vérifiant et commentant les informations relayées par le biais de ses propres contacts. Ces contre-enquêtes servent enfin à interroger le caractère raciste de ces violences. Avec ce travail méthodique, les activistes ôtent à ces morts leur caractère isolé et alimentent une réflexion sur le racisme institutionnel. Ils comblent alors les lacunes d’un champ médiatique qui, sur ces questions, a tendance à faire écho au champ politique. Pour Salingue, « ces questions sont complexes et ne doivent pas être réduites à de la mauvaise volonté ou du racisme dans les rédactions ». Perméabilité entre les institutions policières et les médias, méconnaissance des quartiers populaires, manque de pluralité sociologique dans les hiérarchies des rédactions, intérêts propres aux annonceurs publicitaires, tout cela peut déboucher sur une relative absence d’angles et de regards critiques. Si l’affaire Adama Traoré est encore en cours et que son issue reste incertaine, le discours des médias évolue peu à peu. la voix de la famille se fait de plus en plus audible. Médiapart a confié l’exercice de ses voeux à Assa Traoré. Mouloud Achour a invité cette dernière à rejoindre l’équipe du gros journal (canal +) en tant que reporter, lui offrant ainsi une caméra « comme arme ». Reste à voir de quelle façon les médias vont réellement se saisir de cette lutte, et mettre en lumière des années de batailles invisibilisées.
Il est en revanche possible que cette force de mobilisation inspirera proches et victimes, les accompagnant dans leur combat pour se faire entendre.


Pour en savoir plus:

Adama Traoré

Encore en cours, cette affaire a connu plusieurs rebondissements : d’abord déclaré mort des suites d’un arrêt cardiaque, puis d’une infection généralisée, Adama Traoré a ensuite été reconnu victime d’un syndrome asphyxique. Les gendarmes l’ayant arrêté ont déclaré l’avoir maintenu au sol « sous le poids de leurs trois corps ». Remettant en cause le procureur de Pontoise, la famille a obtenu un dépaysement de l’enquête judiciaire à paris. Bagui et Youssouf Traoré, frères de la victime, ont ensuite été condamnés à 8 mois de prison ferme et 3 mois aménageables pour outrages et menaces à l’encontre de policiers municipaux lors d’un conseil municipal de Beaumont-sur-Oise. Ils contestaient les faits.

(1) www.acrimed.org/le-recit-mediatique-de-la-mort-des-deux-adolescents-de-clichy-sous-bois-par-l
(2) Tevanian 2013: 87
(3) Articles des journaux Le Monde et Le Parisien, ou encore La Nouve Obs datés du 30/11/2010
///Article N° : 13942

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