entretien de Corinne Deriot avec Blaise Diagne, maire de Lourmarin

Décembre 2005
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Blaise Diagne… Cela vous dit-il quelque chose ?… Oui, bien sûr ! Blaise Diagne a été le premier député africain au sein de l’assemblée nationale française.
Certes, mais c’était en 1914.
Qui est Blaise Diagne aujourd’hui ?… Le maire d’un charmant village du Vaucluse : Lourmarin… et petit-fils de son homonyme !
Nous l’avons rencontré.

Fils de Niokhor, un Sérère de Gorée qui était cuisinier et marin, et Gnagna Preira, une mandjaque originaire de Guinée-Bissau, Blaise Adolphe Diagne, naît à Gorée le 13 octobre 1872. Il s’appelait Gaiaye M’Baye Diagne.
C’est à l’Ecole des Frères de Ploërmel de Gorée où son père adoptif, Adolphe Crespin, l’inscrivit, qu’il fut baptisé « Blaise ». Plus tard, il l’envoya poursuivre ses études dans le sud de la France, à Aix-en-Provence.
Il termine ses études à Saint-Louis, au Nord du Sénégal et en 1891, est reçu au concours des douanes coloniales. C’est ainsi qu’après le Dahomey, le Congo, Madagascar, La Réunion, (où il est accepté par le Grand Orient ce qui fait de lui l’un des premiers Noirs francs-maçons), il réside en Guyane.
Je suis noir, ma femme est blanche, mes enfants sont métis, quelle meilleure garantie de mon intérêt à représenter toute la population ?
En 1913, alors que le Sénégal fait partie de l’A.O.F., il revient dans son pays d’origine pour se présenter aux élections législatives et, le 10 mai 1914, il est élu député du Sénégal au sein de l’assemble nationale française. C’est une première. La vie politique sénégalaise est contrôlée, jusqu’en 1914, par les Européens vivant dans la colonie et les métis. À cette date, Blaise Diagne met fin à leur hégémonie.(1)
En 1918, alors que la France est en guerre, Blaise Diagne parvient à convaincre des dizaines de milliers d’Africains de s’engager volontairement pour ce pays et promet qu’ils accèderont à la citoyenneté pleine et entière à l’issue du conflit. Il y eut bien une loi « Blaise Diagne », promulguée en 1916, permettant d’obtenir et de conserver la citoyenneté française aux originaires des « quatre communes » (Gorée, Dakar, Saint-Louis, Rufisque) et plus tard à leur descendants.
En 1931, il est nommé sous-secrétaire d’Etat aux colonies. De 1920 à 1934, date de sa mort, Blaise Diagne est maire de Dakar.
Blaise Diagne a eu, avec Marie Odette Villain, quatre enfants dont Adolphe, médecin militaire, Rolland, fonctionnaire dans les Chemins de fer et Raoul, footballeur professionnel et le premier footballeur africain à être sélectionné en équipe de France !
Raoul Diagne, né en Guyane en 1910, a compté dix huit sélections en équipe de France entre 1931 et 1940. Il faisait partie du Racing Club de Paris. En 1963, entraîneur de la première équipe de foot sénégalaise d’après l’indépendance, il bat l’équipe de France lors des « Jeux de l’amitié ». Il est considéré au Sénégal comme le « grand père du football sénégalais ».
Adolphe Diagne est né en 1907 à Paris. Après avoir été médecin-lieutenant dans les troupes coloniales en Mauritanie, il est médecin-capitaine en 1936 et est affecté au Sénégal puis au Tchad. En 1946, il est médecin-chef du service d’hygiène de Dakar avant d’être promu médecin lieutenant-colonel en 1949. Premier conseiller du haut-commissaire auprès de la République du Sénégal en 1959, il est chargé de mission auprès du ministre de la Coopération en 1962.
Adolphe Diagne, commandeur de la Légion d’Honneur (son père l’avait, quant à lui, refusée) est décédé en 1985 et enterré à Lourmarin.
Lourmarin où nous avons rencontré Monsieur le maire : Blaise Diagne, né en 1954, est, depuis 2001, maire de Lourmarin.
Corinne Deriot : Votre père était Adophe Diagne. Militaire de carrière, il a parcouru l’Afrique et faisait partie des troupes françaises arrivées dans le sud de la France à la fin de la guerre de 1939-1945. Qu’est-ce qui l’a amené à Lourmarin ?
Blaise Diagne : Il a rencontré ma mère ! Originaire de Briançon, elle avait acheté une ferme à Lourmarin. C’est ainsi que, alors qu’ils habitaient Paris, je passais toutes mes vacances à Lourmarin.
C.D. Parlait-on de votre grand-père à la maison ?
B.D. : Rarement. J’ai vu quelques historiens venir chez nous poser des questions. J’ai souvent entendu parler de Senghor qui avait bien connu mon grand-père. Mais mes parents ont toujours été très discrets sur cette histoire familiale. Il était important pour mon père et ensuite pour moi qu’on n’utilise pas cette renommée dans un intérêt personnel.
C.D. Quelles ont été les circonstances qui vous ont amené à être candidat à la mairie de Lourmarin ?
B.D. : J’habitais en banlieue parisienne, dans une tour. Je me suis rendu compte qu’il y avait autant de personnes dans cette tour que dans tout le village mais qu’à Lourmarin tout le monde se disait bonjour et c’est ce qui me plaisait. Je suis donc venu m’y installer en 1981. J’avais 27 ans. Je me suis occupé de la ferme familiale et suis devenu agriculteur. Puis, après avoir été président des parents d’élèves, j’ai été sollicité pour entrer au conseil municipal et dans différentes structures agricoles.
C.D. Pour quelles raisons vous a t-on sollicité ?
B.D. : Les années passées dans une entreprise de métallurgie à Paris ont été très enrichissantes socialement et m’ont permis d’acquérir une certaine facilité de discours, et comme j’ai toujours quelque chose à dire … !
C.D. Vous avez été nommé président de la communauté de communes. Que cela signifie t-il pour vous ?
B.D. : Arriver à ce que les choses puissent se construire au détriment de personne, arriver à faire travailler tout le monde ensemble. Ce qui est important pour moi, c’est l’intérêt collectif, et ça, c’est ce que mes parents m’ont transmis. Et le collectif n’est pas le cumul des intérêts individuels.
C.D. : Quelle est votre force ?
B.D. : N’avoir aucune ambition. Cela me permet de choisir.
C.D. Avez-vous eu l’occasion, dans votre vie professionnelle, d’évoquer votre grand-père ?
B.D. : Comme je vous l’ai dit, c’était quelque chose que l’ont ne mettait jamais en avant. Mais un jour, alors que je travaillais comme ouvrier, un autre ouvrier qui était sénégalais m’a dit : « Tu t’appelles Blaise Diagne ? Tu sais qu’il y a eu un Blaise Diagne très célèbre au Sénégal. » « Oui, je sais, c’est mon grand-père. » Lui répondis-je. « Je ne te crois pas. Si c’était ton grand-père, tu ne serais pas ici à travailler dans cette usine ! » m’a t-il dit.
C.D. : Vous êtes né à Paris. Etes-vous déjà allé au Sénégal ?
B.D. : J’y ai vécu alors que j’avais entre 6 mois et 2 ans. Mes premiers mots ont d’ailleurs été en wolof car j’étais gardé par un tirailleur sénégalais toute la journée.
C.D. Etes-vous retourné au Sénégal ?
B.D. : Pas depuis 1960. Ma vie est ici, à Lourmarin. Je crains de n’avoir rien à apporter là-bas. En même temps, je ne peux y aller en touriste. Je suis originaire de ce pays. Je m’y installerai peut-être à la fin de mon mandat de maire et lorsque mes enfants seront tous grands.
C.D. Pourriez-vous envisager un jumelage entre Lourmarin et un village sénégalais ?
B.D. : Non. Il n’y a aucune raison. Mes seules origines ne peuvent suffire à justifier un tel jumelage. Par contre, Lourmarin s’associe à un projet humanitaire concernant le Sénégal, porté par deux dentistes du village. (2)

(1) Mamadou Diouf : »Histoire du Sénégal »
(2) Le Sothiou : centre ambulatoire de soins dentaires.
Sources :
http://www.grioo.com/info2135.html
http://milleetunevies.bfc.france3.fr/documentaires/20042005/9417903-fr.php
http://www.african-geopolitics.org/show.aspx?ArticleId=3744
http://www.lequotidien.sn/portrait/index.cfm?var_portrait=21
http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/286.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Raoul_Diagne
http://rcp.ifrance.com/joueurs/diagne.htm
http://www.maxifoot.fr/joueursfrance1.php
http://sport.rfo.fr/article63.html///Article N° : 4169

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Les images de l'article
Raoul Diagne © dr
Adolphe Diagne © dr





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