Tinghir-Jérusalem : les échos du Mellah, de Kamal Hachkar

Au Maroc, Juifs et Musulmans savaient vivre ensemble

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Diffusé dans sa version de 52 minutes sur 2M, le film a connu un grand retentissement au Maroc. Il sort ce 9 octobre 2013 dans les salles françaises dans une version de 86 minutes, tout à fait passionnantes.

Un enseignant franco-marocain passionné d’Histoire qui va régulièrement retrouver les origines de sa famille en pays amazigh, un homme balloté de lieu en lieu par l’immigration ouvrière et qui en hérite une sensibilité particulière aux déracinés : rien d’étonnant à ce que Kamal Hachkar se soit intéressé à cet épisode étonnant de l’Histoire marocaine, l’exode des Juifs du début des années 60. Après 2000 ans d’Histoire commune, ils ont quitté l’Atlas sans demander leur reste, ne laissant que les tombes de leurs familles et des maisons qui tombent depuis en ruine. (1)
Le film rétablit un pont : Hachkar parle avec sa famille et les habitants de Tinghir, ville du centre-est marocain dans la vallée du Todgha, mais aussi en Israël avec les Juifs de Tinghir qui n’ont pas oublié. Il les met en relation en regardant des photos mais aussi via skype. Ce faisant, il documente des coutumes mais rend surtout compte de la coexistence pacifique des deux communautés et de la conscience de ce passé commun, évoqué avec émotion dans les réunions qu’il provoque.
Rétablir un pont, c’est prendre le risque de rechercher la vérité, notamment sur les raisons du départ. Au-delà des explications officielles du retour à la Terre promise, pointe le contexte politique de l’époque : depuis 1948 et la création de l’Etat d’Israël, la tension était montée « et on ne se disait plus bonjour ». Sans qu’un danger soit vraiment explicité et sans être chassés à proprement parler, les Juifs furent encouragés à partir sous pression américaine sur le gouvernement marocain qui laissait les Sionistes préparer à la fois la logistique et les esprits. On leur délivrait un passeport sans retour. Ils suivaient le mouvement, partant par crainte d’une hypothétique acrimonie ou de se retrouver tout seul. En attribuant aux Juifs un statut particulier à l’époque coloniale, les Français avaient déjà semé les graines de la division, soutenue par un travail de sape où les cultures locales étaient rejetées en faveur de l’occidentalisation dans les écoles de l’Alliance israélite. Le séparatisme juif comme culture minoritaire faisait le reste, qui empêchait le métissage.
Arrivés en Israël avec « deux valises pour sept », les Juifs de Tinghir se sont retrouvés dans les rudes conditions des kibboutz, mais aussi déconsidérés dans une société hiérarchisée, retrouvant le statut de « primitifs » qu’ils avaient déjà en étant Berbères. Aujourd’hui largement acculturés mais travaillés par la nostalgie de leurs racines, ils font parfois le voyage du souvenir mais ne peuvent que constater comment ils ont souvent perdu la pratique de la langue.
Ils ne reviendront pas pour « faire vivre ce Maroc pluriel » qui fascine Kamal Hachkar, mais marqueront peut-être autrement l’Histoire, comme le suggère cet émouvant cri qui s’impose comme une des scènes les plus fortes du film, celui de cette femme, cette voisine marocaine en Israël qui tempête contre l’absurdité de la guerre alors qu’on peut partager une même terre comme ce fut le cas au Maroc autrefois. Mais au-delà de ce vibrant appel à la tolérance et au vivre ensemble, une conscience prend corps : sans l’Autre, je ne sais pas qui je suis.
Sans clairons ni grands discours, mais suggérée par la voix du réalisateur qui dédie ce film à ses parents et grands-parents, c’est cette sagesse qui nous reste après ce passage par Tinghir et ses exilés de Jérusalem.

1. Des fictions marocaines ont déjà évoqué cet épisode : Où vas-tu Moshé ? (Finemachiyamoché, 2007) d’Hassan Benjelloun et Adieu mères (Wadaan Oummahat, 2008) de Mohammed Ismaïl.
A noter également la diffusion à partir du 22 octobre 2013 de la série de Karim Miské sur Arte : Juifs et musulmans – Si loin, si proches
///Article N° : 11832

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