Vera et Nganang à l’écoute

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Yvonne Vera invite à écouter le silence, Patrice Nganang célèbre la parole.

Deux sœurs, un amant et un agresseur. Comme dans Papillon brûle (Fayard, 2002), premier roman traduit d’Yvonne Vera, la galerie de portraits des Vierges de pierre est extrêmement réduite. Et pourtant, le récit est d’une intensité à couper le souffle.
Vera a en effet l’extraordinaire don de creuser les sensations, les gestes, les évènements les plus banals, pour leur donner une véracité et une poésie rares. Dans une écriture toujours aussi intimiste, l’auteure réussit admirablement à conjuguer les destins individuels et l’évocation d’une Histoire plus générale. Dans Papillon brûle, ce fut l’époque du colonialisme. Ici, ce sera la guerre.
Partagé en deux parties, 1960-1980, puis 1981-1986, le roman évoque les parcours de deux sœurs, Thenjiwe et Nonceba, dans un pays en proie à la violence. L’une survivra mais portera dans sa chair et dans son esprit des blessures jamais fermées, car :  » Le temps est aussi nécessaire pour le souvenir que pour l’oubli. Même la plus petite étreinte de la douleur exige une durée plus longue qu’une pause, la plus grande des pauses prend une éternité, la blessure la plus grande une vie entière. Une vie entière est plus longue que l’éternité : une éternité peut exister sans présence humaine. « 
L’éternité de Nonceba, ce sera le silence, profond comme la mer, dur comme un mur que rien ne semble pouvoir percer. Derrière le mur, elle se repasse en boucle la même scène, les mêmes questions, le même vide dans lequel elle semble avoir définitivement sombré après l’assassinat de sa sœur et sa propre agression. Il faudra la persistance et la patience d’un homme, l’amant de la sœur décédée, pour donner sens à une vie qui n’est plus qu’attente.
Dans son évocation des traumatismes de la guerre, le roman de Vera est d’une parfaite universalité et, malheureusement, d’une parfaite actualité…
Anecdotes à écouter
Autant le roman de Vera est celui du silence, autant La joie de vivre de Patrice Nganang est une exaltation de la parole, de la rumeur, des racontars. Il nous propose un trio lui aussi : deux frères jumeaux, Mambo et Mboma, et leur petite sœur, Kemi – de faux triplés en fait, qui rappellent les protagonistes du roman d’Emmanuel Dongala, Les Petits garçons naissent aussi des étoiles (Le Serpent à plumes, 1998). La comparaison pourrait être poussée plus loin, la voix du dernier venu servant de narrateur dans les deux romans, pour conter en parallèle l’histoire familiale et celle du pays.
Mais, contrairement à Dongala, Nganang use de la figure gémellaire pour illustrer la scission d’un pays. Entre les deux frères, une lutte de pouvoir sournoise et silencieuse s’est installée dès la naissance. Seule Kemi, l’observatrice en retrait, est capable d’en mesurer les conséquences, que l’on devine désastreuses dès le premier mauvais tour joué entre frères encore en couches.
A travers ses trois ouvrages, Nganang a su développer un style propre, empreinte d’une oralité urbaine : ce roman s’écoute plus qu’il ne se lit. L’auteur puise dans le parler des  » sous-quartiers « , particulièrement mis en valeur dans les dialogues, et fait la part belle aux anecdotes urbaines. Celles-ci se succèdent parfois un peu rapidement, aux dépens de l’unité du récit qui aurait gagné en intensité grâce à des enchaînements plus fluides. La langue de Nganang n’en reste pas moins vivante, toujours à l’écoute du petit peuple des villes africaines, maître en  » joie de vivre  » mais surtout en survie.

Les vierges de pierre, d’Yvonne Vera. Traduit de l’anglais (Zimbabwe) par Geneviève Doze, éd. Fayard, 232 p., 17 euros.
La joie de vivre, de Patrice Nganang, éd. Le Serpent à plumes, 406 p., 18 euros.///Article N° : 3320

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