The Last Picture Show III

Une rencontre esthétique en pointillée

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La troisième édition de The Last Picture Show III, destinée à promouvoir le travail des plasticiens camerounais dans leur pays et sur la scène internationale – confirme – malgré une scénographie peu équilibrée – la maturation d’un art contemporain Made in Cameroun.
Lueur d’un soleil couchant sur les bords d’une falaise. Suspendue en plein vol, une forme étrange habite silencieusement l’atmosphère. C’est ici, maintenant que s’arrête le temps, que s’endort la vie. De ce tableau sourd s’échappe une lumière criarde dont l’épais manteau dissimule des ombres funestes. La douceur du dégradé de l’œuvre, jaune, orange, marron, parvient à sublimer le sujet, à en taire le secret. L’image est non seulement acceptable à nos regards mais elle devient tour à tour fascinante et cruelle, splendide et effrayante. « Ainsi a plu aux dieux » fait partie de ces tableaux qui longtemps après avoir été vus hantent la mémoire et questionnent les sens. Cette œuvre de Benjamin Ewane Ndoumbe capture le regard et couple le souffle en ce qu’elle parvient à une vision aigre douce du néant. Tout simplement vertigineux…
Au cours de l’exposition, cette expérience de l’infini et de l’intime se poursuit lors de ma rencontre avec l’œuvre « Juste occasion » de Louis Epée. Des empâtements unicolores marron et jaune orangé y sont massivement disposés créant une relation hypnotique, de quasi dépendance visuelle. Cette peinture matiériste, incarne les visions intérieures d’un artiste interrogeant le réel par l’exploration des sens. Physique et sonore, la toile s’inscrit alors dans un processus d’accréditation de l’expérience humaine par une imposante touche picturale.
Sortit de ces rencontres fugitives au cours desquelles tout mon être s’est ébranlé, je découvre le reste de l’exposition. Mon œil longe les parois du Hall Ségur, salle d’exposition de l’Unesco aux murs blancs et envahit d’une éclatante lumière naturelle. De gauche à droite puis de droite à gauche. Le silence se fait de nouveau alors que la salle est peuplée d’œuvres. De gauche à droite puis de droite à gauche, je recherche l’indicateur théorique, le fil rouge stylistique, le magnétisme ambiant. Vous comprenez, l’œil pour pouvoir circuler dans une exposition ce doit d’être guidé dans sa démarche. De gauche à droite et de droite à gauche, pas un souffle de vie. Il me semble que l’exposition, dans sa forme, contraint elle-même au mutisme le contenu de son existence. Je parviens au constat que l’exposition repose sur un non-sens. Un non sens directif, un non sens théorique, un non sens thématique. L’absence de cartel, de texte explicitant la démarche de Catherine Pittet, organisatrice de la manifestation, assourdit cette exposition quand les artistes veulent sortir du silence.
L’émergence d’une scène artistique camerounaise
En effet, depuis le début des années 1980 se créent au Cameroun des d’associations comme l’Union des Artistes plasticiens du Cameroun (UDAPCAM), le Cercle des Artistes Peintres du littoral (CAPLIT) qui attestent de la volonté des artistes de faire reconnaître leur peinture au public local. La singularisation de l’artiste et de ses productions en dehors du procédé traditionnel de la copie motive alors les plasticiens à progressivement abandonner la peinture d’échoppe au profit de la peinture de chevalet. De l’acharnement d’artistes comme Othéo, Nya Delors, Meungue Komegne etc. naît le concours de « la jeune peinture camerounaise ». Opérateurs culturels français (CCF) et allemands (Goethe Institut) au Cameroun amorcent alors une politique d’exposition individuelle des créateurs locaux. Ces différentes initiatives offrent de sérieuses opportunités de rencontres professionnelles aux artistes qui bénéficient d’une audience médiatique jusqu’alors inconnue. Dans le même temps, se crée des structures comme Doul’art dont les responsables Didier Schaub et Marylin Douala Bell Schaub souhaitent faire de leur lieu une plate-forme de rencontres artistiques. Dans une perspective d’aide à la professionnalisation des plasticiens du Cameroun Catherine Pittet crée le Gondwana dans les années 90. Dans ce contexte, l’art contemporain se trouve une place et des lieux d’existence. Il devient un engagement dans la réalité à travers des images et des langages originaux, tout en cherchant à entraîner le regardeur vers un monde à la fois imaginaire et réaliste, autrement dit, inconnu et probable. Ce sont cette mémoire collective et ses réalités quotidiennes que mettait en scène l’exposition « The Last Pictures Show III ».
Une exposition à suivre en filigrane
Après deux précédentes éditions, le dispositif scénographique de The Last Pictures Show III témoignait d’une relation d’immédiateté, peut être encore trop fragile, entretenue par Catherine Pittet avec le milieu de l’art contemporain. Le déséquilibre apparent entre la photographie (un seul photographe Nicolas Eyedi) et la sculpture (environ cinq sculpteurs) par rapport à l’importante représentativité du médium peint, laisse présumer que l’exposition affichait un parti pris pour la peinture malgré sa prétention à être pluridisciplinaire. Toutefois, le panel de plasticiens proposait un très bel état des lieux de la jeune peinture au Cameroun. Mais le mélange du design et du mobilier, de l’art et de l’artisanat affecte le contenu qualitatif de cette présentation et interroge la notion même de sélection inhérente à toute exposition.
Ainsi m’a-t-il fallu parcourir plusieurs fois l’espace d’exposition pour déceler certaines similitudes thématiques et formelles que l’accrochage ne rendait pas ostensibles. Mais, au-delà de la sobriété d’une scénographie, ni thématique, ni chronologique, l’amatrice d’art a souhaité repenser les catégories ou ne plus penser en termes de catégories et de genres mais reconsidérer la question des frontières esthétiques de l’art. Ainsi, Catherine Pittet arbore un regard plein de curiosité sur les productions dont elle s’attache à faire la promotion. Les œuvres de la cinquantaine d’artistes sélectionnés constituent donc la vision d’ensemble d’une passionnée d’art toujours en quête de renouveau. Ce faisant, elle s’inquiète de donner une certaine autonomie aux productions et à leurs auteurs par le biais d’un catalogue et d’un site Internet résumant parcours et histoire singulière. Sans doute l’absence de dispositifs spécifiques d’exposition marque t’elle un souci de monstration qui permet de restituer les œuvres pour ce qu’elles sont, les traces de l’évidente maturation d’un art contemporain Made in Cameroun.
L’engagement d’une marchande d’art
Engagée dans la structuration d’un marché de l’art au Cameroun, Catherine Pittet, offre aux artistes locaux les murs de sa « Petite Boutique ». Son succès conduit l’ancienne styliste à agrandir son projet au sein des hôtels Hilton et Le Méridien de Yaoundé. L’amatrice d’art crée alors le Gondwana, espace d’exposition dédiée aux artistes avec lesquels elle a commencé son aventure. Depuis 2003, elle présente le contenu de sa collection au sein de l’exposition « The last Pictures Show ». A l’instar de rendez-vous réguliers consacrés à l’art contemporain africain, cette exposition entendait répondre à une demande de visibilité des plasticiens camerounais dans leur pays et sur la scène internationale en créant des passerelles avec des partenaires étrangers. Durant une semaine, à l’Unesco, elle invitait le public à mieux comprendre les enjeux esthétiques qui se jouent actuellement sur la scène artistique au Cameroun. Si les esthétiques proposées y étaient différentes et les productions toujours ouvertes aux interprétations multiples, les artistes sélectionnés partageaient néanmoins une capacité à donner forme aux réalités quotidiennes de leur pays.
Arrêt sur images
Au lieu de privilégier de grands ensembles cohérents de productions d’artistes, il ressort que la commissaire d’exposition a sectionné les œuvres de cette nouvelle édition de façon assez disparate. (Georges Davidson, Sabastienne, Meric, Max Lyonga Sako etc.) Néanmoins, le corpus d’œuvres présent révélait que certaines thématiques nourrissent plus particulièrement le travail de ces artistes. Le quotidien est interrogé dans toutes ses formes. Les scènes de vie de Joe Kessy, (Jeu de dames, Rural woman, Woman and child) marquées par les traces de la guerre et de l’esclavage sont travaillées de l’intérieur avec force et acuité. Le Joueur de tambour, La vendeuse de légumes sous la pluie, et la Scène de marché du peintre Etienne Etogo fait du quotidien un laboratoire d’analyse formelle dans lequel il prélève de façon chirurgicale des scènes de genre. L’œuvre de Christine Raphaëlle Tsala, Polygame, inscrit dans la chair d’un tableau craquelant aux couleurs vives et ocre rouge, la persistance d’une pratique sociale ancestrale. Tandis que les peintures de Rigobert Aime Ndjeng, La mère et ses enfants, Tête d’une fille, Type d’Afrique noire, s’offrent comme les composantes d’un même album de famille à la fois intime et collectif.
The Last pictures Show III était aussi l’occasion de donner à voir une peinture en état d’effervescence matériologique. Plein ciel de Samuel Dalle est un coup de projecteur sur la ville devenu microcosme d’un monde globalisé. Voiture, grattes ciel et autres bâtiments peints et dessinés au couteau sur la toile, constituent le cœur d’une dynamique urbaine en proie à un imbroglio à dominante rouge et blanche. L’œuvre de Guy Woueté concentre le regard dans un mouvement circulaire bleu interrompu par des coulures rouges. La fluidité de l’écoulement laisse croire que l’artiste interpelle la capacité de la peinture à être une matière autodidacte sur le support. L’imprévisibilité directionnelle de la couleur sur la toile, lorsqu’elle est laissée à elle-même, procure aux formes un élan rythmique plutôt qu’elles ne délimitent un contour, assumant ainsi une fonction indépendante. Dans son œuvre « sans titre » Luc Logmo Etega s’attache à révéler la carnation de la peinture en chiffonnant la tôle, substrat de sa création. Dans un processus de froissement et d’extension, l’artiste fait naître des formes après la destruction de la surface. La réhabilitation de la matière par la peinture permet à Logmo Etega de créer une tension au sein de l’œuvre tout en usant de moyens picturaux réduits. Ainsi cette exposition s’est construite comme un dispositif où s’exhibaient pensées, gestes, matières, formes et récits liés à une Afrique résolument contemporaine. Néanmoins, il est à constater que le néophyte n’avait pas la possibilité de pleinement découvrir l’ampleur de l’ébullition créative de la jeune scène artistique camerounaise tant l’agencement des œuvres s’avérait être désuet.
Les œuvres exposées durant cette manifestation n’avaient pour la plupart jamais été présentées en France. Mais certains artistes comme Hervé Yamguen, Tchim, Goddy Leye, Guy Wouete, également présents lors de The Last Picture Show II, avaient déjà eu l’occasion de présenter leurs travaux dans l’une des villes de l’Hexagone. Le but de l’édition 2006 n’était pas de faire un historique de l’art contemporain au Cameroun, ni d’en être un succinct catalogue illustré. Mais une chose est sûre, The Last Pictures Show III devait être apprécié comme une tentative de mise en exergue festive du vent de contemporanéité qui souffle actuellement sur la scène artistique de la patrie de Mongo Beti.

The Last Picture Show III a été présenté du 30 novembre au 06 décembre 2006 au Cercle Municipal de Douala et du 18 au 22 décembre 2006 à Paris, Palais de l’Unesco///Article N° : 5853

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