Murmures

Mahamat-Saleh Haroun reçoit la légion d’honneur à N’Djaména
juillet 2011 | Prix | Cinéma/TV | Tchad

Français

Au moment même où s’ouvre en France le 39ème festival du film de La Rochelle qui rend hommage au cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun à travers une rétrospective de ses œuvres, au même moment l’Institut Français au Tchad (ex CCF) rend également hommage à ce fils du Tchad dans son pays à travers une rétrospective également. Mais le plus grand hommage rendu par la France à ce digne fils du Tchad est les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. Le cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun a reçu ce 02 juillet 2011 des mains de l’ambassadeur de France au Tchad, son Excellence Michel Reveyrand-de Menthon, les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur pour l’ensemble de ses œuvres mais aussi et surtout pour le succès de son dernier film « Un homme qui crie » primé au prestigieux festival international de Cannes l’année dernière. Cette distinction honorifique est la deuxième du genre que vient de lui accorder la République Française après les insignes de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres que lui a remis Mme la ministre de la Culture et de la communication, le 9 juillet 2008 pour le succès de son film « Daratt ». Au cours de cette cérémonie, Madame la Ministre de la Culture et de la communication qui a décoré également deux autres réalisateurs (1) a fait savoir à Mahamat Saleh Haroun que « La France est fière de son cinéma et ce cinéma, ce sont aussi tous ces films, tous ces réalisateurs d’autres horizons qu’elle soutient et qui nous aident tout simplement à ouvrir les yeux sur le monde. C’est notre vocation d’encourager ces réalisateurs dans leur travail, c’est notre combat et je veux vous remercier, cher Mahamat Saleh Haroun, de le porter à nos côtés. Ardent défenseur de la diversité culturelle, vous êtes aussi un cinéaste engagé, qui sonde les plaies de son pays natal, le Tchad, et de son continent avec courage, justesse, et espoir ».
Reprenant les mêmes paroles que Madame la ministre de la Culture et de la communication, l’ambassadeur de France au Tchad, son Excellence Monsieur Michel Reveyrand-de Menthon a dit dans son discours que « La France est heureuse et fière d’avoir accompagné la naissance des talents du cinéaste Mahamat Saleh Haroun et c’est en reconnaissance de ses mérites qu’elle lui fait cet honneur ».
En retour, le cinéaste Mahamat Haroun Saleh reconnaît qu’il est redevable envers la France à qui il doit beaucoup pour l’avoir accueilli [en tant qu’exilé suite à la guerre civile de 1979 dont il a été victime (2)], lui avoir donné les possibilités de se former (3) et les moyens de réalisation de ses films. Un tel accompagnement ne mérite-t-il pas plus qu’une reconnaissance !
Au Tchad, ce second honneur que la France vient de faire au cinéaste tchadien suscite beaucoup d’interrogations pour l’homme de la rue. Beaucoup se posent la question de savoir si le cinéaste Mahamat Saleh Haroun a pris la nationalité française ? Ses films sont-ils tchadiens ou français ? Pourquoi la France et pas le Tchad lui accorde autant de distinctions honorifiques pour ses œuvres et les prix qu’il remporte ? Qui honore-t-il à travers ses œuvres et ces prix ? Etc.
En réponse à ces questions, voici quelques avis qui ont été donnés par le cinéaste lors de ses différents entretiens. A propos de sa nationalité, le cinéaste a répondu à la presse tchadienne au retour de Cannes après le succès de son film « Un homme qui crie » en ces termes : « Je suis un résident tchadien en France » (4). Quand à l’identité de ses films, il nous a dit au cours d’un entretien au festival des cinémas d’Afrique d’Apt en 2008 que : « C’est une question de point de vue. En France, dès lors qu’un film reçoit des financements français il est considéré à un moment donné comme un film français parce qu’il répond à certains critères mais on n’oublie jamais l’origine du réalisateur et on n’oublie pas l’endroit où le film a été fait. Du coup, les personnes qui financent le film donnent une identité à ce film et le présentent dans leur pays comme faisant partie de leur identité et du coup la nationalité du film devient celle des financeurs. Encore une fois on voit la prééminence du financeur sur la création. Naturellement, c’est le déficit de nos pays qui fait que nos films sont des films à multiples nationalités » (5).
Ce déficit des Etats africains réside dans l’absence d’aide à la création. C’est l’expérience qu’a toujours vécue le cinéaste lors des collectes de fonds nécessaires à la réalisation de ses œuvres. La plus récente concerne son dernier long métrage « Un homme qui crie » qui a valu tous les honneurs à son pays : « Pour ce dernier film, j’ai fait des demandes, j’ai frappé à certaines portes. Le silence était une forme de réponse donc je n’ai pas eu de soutien. J’ai eu seulement le soutien du ministère de la culture en matériel. On a eu un véhicule qui nous a beaucoup aidés. Voilà ce qu’on a eu de la part du ministère de la culture. Mais je n’ai pas été aidé financièrement, je ne suis pas fier de cette situation, je me considère un peu juste comme un mendiant puisque je tends la main pour essayer de trouver de l’argent ailleurs et essayer de parler de ce pays en bien » (6).
Comme si cela n’était pas suffisant, la cérémonie de remise des insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur ce 2 juillet 2011 n’a pas vu la présence des autorités de tutelle du pays. Le ministère de la Culture tchadienne n’a pas fait le déplacement et ne s’est pas fait représenter à cette cérémonie qui s’est déroulée dans la résidence de l’ambassadeur de France au Tchad. Les amis et parents du cinéaste étaient venus nombreux le soutenir. Une présence remarquable à signaler fut celle du professeur Michel Brunet à cette cérémonie. Le chef d’équipe de la mission paléontologique qui a découvert le crâne le plus ancien de l’humanité baptisé Toumaï a considéré que l’événement valait bien un déplacement car une telle prouesse intellectuelle et culturelle est rare au pays de Toumaï. Pour pallier cette carence des autorités du pays, l’ancien Premier Ministre Nagoum Yamassoum, intervenant en tant qu’ami du cinéaste, a tenu à remercier les autorités françaises pour tout ce qu’elles font pour le Tchad dans le domaine culturel. Malgré ce hiatus, le cinéaste ne désespère pas. Il a fait remarquer au micro de Stéphanie Lepage de la radio FM Liberté que : « à un moment donné, un cinéma national peut aussi participer à l’édification d’une identité et moi je l’ai ressenti vraiment comme tel après la projection du film – Un homme qui crie – à Cannes parce qu’il y a eu un tel engouement de la part de tous les Tchadiens d’où qu’ils soient et ils se sont sentis concernés et ils avaient l’impression que ce film venait de leur pays ». Cette situation montre combien le cinéaste a le soutien de tout le peuple tchadien. La présence des parents, amis et connaissances venus nombreux assister à cette cérémonie justifie cette déclaration. Mais même si financièrement les autorités du pays n’ont pas accompagné le cinéaste dans ses réalisations, cela ne signifie pas autant qu’elles l’ont lâché. Pour preuve, le ministre de la Culture, Djibert Younous, a fait le déplacement de Cannes l’année dernière pour assister à la remise du prix du jury au cinéaste ; la salle de cinéma Normandie a été rénovée et des efforts sont en train de se faire pour la rénovation d’autres salles de cinéma. Enfin, carte blanche a été accordée au cinéaste par le Président de la République pour la création d’une école de cinéma au Tchad. Ce qui est une grande première dans l’histoire du septième art au Tchad.

1. Il s’agit de l’actrice, réalisatrice et scénariste libanaise Nadine Labaki et de William Friedkin, réalisateur, scénariste et producteur américain qui a reçu les insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
2. Pour mémoire il faut retenir qu’au cours de cette guerre civile, Mahamat Saleh Haroun a été blessé et pris en charge par l’antenne épervier implantée à Kousseri au Cameroun. C’est à partir de là qu’il a pris le chemin de l’Europe.
3. En quittant Kousseri pour l’Occident, la seule adresse que possédait Mahamat Saleh Haroun était celle de la FEMIS, cette école de cinéma qui fera plus tard de lui une icône.
4. Entretien réalisé le 4 juin 2010 avec la presse tchadienne.
5. Entretien réalisé le 7 novembre 2008 au festival d’Apt.
6. Entretien avec la presse tchadienne le 4 juin 2010.

Patrick Ndiltah, correspondance Ndjaména
Partager :