Murmures

9ème compte-rendu de tournée de « La fanfare des fous » de Soeuf Elbadawi
octobre 2009 | Bilans d’événements culturels | Théâtre | Comores

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un spectacle sur la dépossession citoyenne – Etape IX : Mitsudje
Soutenue par la Fondation du Prince Claus, la compagnie de théâtre O Mcezo* continue sa longue tournée de création dans les villes et villages de l’archipel des Comores. Après Ntsudjini, Foumbouni, Iconi, Ouani, Mirontsy et Ntsaweni, est venue le tour de Mitsudje, la semaine dernière.
Entièrement consacrée à la recherche et à l’expérimentation, cette tournée s’orchestre autour d’un projet de théâtre populaire et citoyen développé par Soeuf Elbadawi. Fondé à la suite d’un travail mené à l’Université des Comores durant trois ans par l’auteur de Moroni Blues/ une rêverie à quatre, O Mcezo* est ce laboratoire vivant où l’on tente de réinventer la magie du théâtre dans un pays où n’existe aucune tradition professionnelle dans le domaine. Contexte de création difficile, parce que démuni et sans soutien institutionnel. Inexistence d’un lieu véritablement dédié à l’expression théâtrale. Les comédiens sont vus ici comme autant d’amuseurs publics ne prêtant pas à conséquence, et n’interpellant que trop rarement le spectateur, le théâtre étant considéré (bien souvent) comme un banal divertissement pour amateurs éclairés. Localement, les dramaturgies consacrées ne sont que des ersatz de mimétisme, portés par des acteurs qui rejouent ce qu’ils ont entendu dire du théâtre européen.
C’est de cette réalité-là qu’O Mcezo* essaie de s’affranchir, en traçant des possibilités à partir de son laboresvik, laboratoire de recherche en spectacle vivant aux Comores, implanté dans un paysage insulaire où n’existe aucune politique de développement culturel digne de ce nom. Des possibilités qui prennent peu à peu forme sur le plateau. Discours engageant et esthétique du pauvre suivent. La troupe rêve d’une dramaturgie pleinement inscrite dans l’histoire et la mémoire collective, et et dans les dires du fou, et dans les formes. Les propositions de la compagnie O Mcezo* interrogent le spectateur à vif, tissent le récit des espérances tues, et redonnent du sens au quotidien du compatriote comorien. Le propos se veut foncièrement politique. Les personnages, à la fois déjantés et habités, s’imaginent dans un pays-cimetière aux « cadavres debout », s’emparent de la folie comme du « dernier paravent du colonisé », ou encore, s’inquiètent du « compte à rebours » entamé à l’heure où cette folie devient une « a.d.n.i », autrement dit « une arme de destruction non identifiée ». Le public comorien semble trouver ses marques dans cette réalité transfigurée. Racontée par O Mcezo*, la schizophrénie d’un peuple au destin rompu l’interpelle. Le refus de se soustraire à la vie sans prendre son Dieu à témoin, également. Sans oublier les sachets de désespoir au kilo remplis à ras bord par un consumérisme dévastateur, pendant que le dernier citoyen s’en va mourir dans le silence de la domination. Un des personnages reprend une chanson du toulousain Art Mengo à son compte : « j’ai pleuré pour l’enterrement/ pour l’enterrement de la lune ». Et c’est alors que certains se souviennent du nom d’un pays, « Comores », qui, en arabe, signifie « lune ».
Celui à qui l’on parle, ce spectateur comorien en devenir, se sait largement écouté, en venant découvrir ce travail. Mais ce qui fonde l’univers d’O Mcezo* n’est pas tellement dans le désir de convaincre, mais plutôt dans l’envie de surprendre. Le discours passe par une intuition toute relative du monde. Une poétique du tremblement comme aime à le clamer le martiniquais Glissant. Le réel y est suggéré dans ses incertitudes, et non retranscrit. De plus, O Mcezo* dévoile son discours sur la fragilité insulaire sans effets aucuns, et à partir d’une esthétique taillée dans la précarité et la banalité du quotidien. De la sciure de bois sur le plateau, des lampes à pétrole lampant pour les éclairages, des sacs évidés et pourris sur les murs en guise de décors. Univers de la récup. qui se réadapte sans grosses difficultés, à chaque nouveau lieu investi, place publique, cour d’école ou foyer culturel, dans la mesure où n’existe pas de lieu dédié au théâtre. A Mitsudje où la compagnie s’est installée du 03 au 08 octobre dernier, sur invitation de l’UJEM, le public s’est montré furieusement curieux de cet univers de sens. A tel point que la compagnie, qui rêve régulièrement d’une « école du spectateur » et d’une éducation rigoureuse du public comorien, s’est laissée elle-même surprendre. Deux centaines de personnes, assises dans l’inconfort d’une cour d’école primaire, mais complètement saisis par l’univers proposé.
Au départ de Mitsudje pour Fomboni ce lundi 12 octobre 09, Soeuf Elbadawi, directeur artistique de la compagnie, insiste énormément sur ce rapport nouveau, entretenu avec le public. Un rapport inédit. « D’habitude, les gens veulent qu’on les divertisse, qu’on les fasse rigoler. Le théâtre pour eux se résume à ça. Mais durant cette tournée, nous avons eu l’impression que ce public espérait encore autre chose. A Mitsudje, nous avons été tenus en haleine par le spectateur lui-même, du début à la fin du spectacle. Sans doute, parce que nous avons tiré les leçons d’une tournée qui a commencé au mois de juillet, en cherchant à interpeller le citoyen niché en chaque spectateur. Nous avons à chaque fois écouté ses attentes, qui ne sont pas la satisfaction simple d’un bouffeur de spectacle vivant, mais plutôt la rage contenue d’un public fatigué de consommer la même soupe culturelle, désireux de voir et d’entendre autre chose, de la part surtout d’une forme d’expression, considérée comme en total décalage avec nos traditions culturelles vivantes ». A Mitsudje, la compagnie, qui a été partout accueillie avec liesse depuis le début de cette tournée, a cherché à capitaliser tout ce que le public lui a offert comme émerveillements jusqu’alors, lors de ses précédents passages dans les villes et villages de l’archipel.
Comme ailleurs, à Ouani ou Ntsaweni, le gungu la mcezo, mis en espace avec la complicité de la communauté d’accueil, et qui s’inspire d’une vieille tradition populaire, a permis à O Mcezo* de montrer le visage d’un théâtre se souciant du citoyen, et lui parlant de ses réalités premières. Mais à Mitsudje plus qu’ailleurs, la compagnie a pu user de l’expérience passée pour offrir les meilleures conditions d’écoute au spectateur souhaitant s’abandonner à la réflexion. Car le théâtre d’O Mcezo*, tout en ne dispensant aucune leçon, l’oblige à réfléchir et à tisser de lui-même son propre récit de La fanfare des fous, cette première création de la compagnie dédiée au renouveau citoyen. « A Mitsudje, nous avons évité les erreurs passées, et avons pu jouer en toute liberté, avec la complicité d’un public que l’on n’espérait pas. On nous avait dit que les gens ne viendraient pas ou ne joueraient pas le jeu. Situation que nous n’avions par ailleurs jamais vécue durant toute la tournée. Au final, nous avons été plus que surpris d’entendre que l’univers suggéré par la troupe a pu intéresser ce public, au point d’attiser une forme d’appétit de théâtre. Ils nous ont permis de saisir ce qui s’est passé entre nous et les publics que nous avions jusqu’à présent sollicités dans le pays. Mitsudje a été une bonne synthèse de tout ce que nous avions proposé au public comorien depuis le début de cette aventure. Après cette étape, je crois que nous pourrons poursuivre notre travail de recherche en toute quiétude ».
La compagnie O Mcezo*, qui envisage un partenariat « fort » avec le ministère de l’éducation nationale, des arts et de la culture pour la fin de sa tournée, joue cette semaine à Fomboni, à Mwali, et compte ensuite revenir jouer ses spectacles dans la capitale de l’Union, en faveur notamment de l’œuvre sociale de l’AFDM, association des femmes pour le développement de Moroni.
Dimanche 11 octobre 09

* A lire également… ces deux articles parus sur le site de la revue Africultures. Cliqur sur les liens ci-joint. Le premier texte parle du travail actuel de la compagnie O Mcezo* aux Comores: http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8934 Quant au deuxième texte, il est signé par Hassan Jaffar de la Guilde des artistes comoriens, et rend grâce aux propositions de théâtre de rue (boneso la ndzia/ gungu la mcezo) développés par Soeuf Elbadawi et son équipe au sein de la compagnie: http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8935.

prochaines dates après Mitsudje, Ntsaweni,
Ntsudjini, Fumbuni, Iconi, Ouani et Mirontsy

Fomboni du 12 au 16 octobre 09,
et Moroni, du 18 au 24 octobre 09.
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