Murmures

3ème compte-rendu de tournée pour La fanfare des fous de Soeuf Elbadawi
août 2009 | Bilans d’événements culturels | Théâtre | Comores

Français

un spectacle sur la dépossession citoyenne
Troisième étape de tournée dans les villes et villages de l’archipel des Comores pour la compagnie O Mcezo* à Iconi. Une tournée organisée par Washko Ink. à Moroni et BillKiss* à Paris, avec le soutien de la Fondation Prince Claus en Hollande. Sous le Nguu, lieu mythique, situé à quelques mètres du palais Kapviridjewo, les hommes de La fanfare des fous ont été accueillis du 08 au 11 août dernier par les membres de Wushe, association pour la recherche et le développement, et avec le soutien de l’ADELEC. Wushe est une structure rassemblant de jeunes universitaires.

Trois jours de stage ont eu lieu. Trois jours durant lesquels des élèves de l’école Ibn Khaldun de Vuvuni, une cité voisine, ont pu se joindre à d’autres jeunes, natifs de la cité côtière pour questionner le spectacle vivant. « L’acteur, son rapport à l’espace, la notion de l’improvisation, le jeu d’acteur, la concentration exigée par le plateau, l’histoire du théâtre, à quoi il sert, sont autant de questions que nous ne nous posions pas avant de prendre part à cet atelier. Jusqu’alors, nous nous contentions de jouer des pièces sans à priori et sans nous poser la moindre question sur le rôle du théâtre dans une telle société. Pendant ces trois jours, nous nous sommes rendu compte que le théâtre pouvait être autre chose. Nous avons aussi appris à dépasser nos propres limites, en prenant part au gungu la mcezo (lire « mtshezo ») organisé avec les comédiens de cette compagnie de théâtre. Au-delà de l’atelier, cette performance nous a obligé à repenser notre relation au théâtre », explique l’un d’entre eux.

Comme pour les deux premières étapes de la tournée, Ntsudjini et Fumbuni, O Mcezo* a défendu l’idée d’un théâtre de rue (boneso la ndzia) puisant sa raison d’être dans l’imaginaire culturel local. Ainsi du détournement du gungu, tradition condamnant ceux qui mettent en péril la communauté villageoise, à coup de chants et de travestissements inattendus. Cette tradition est reprise désormais par la compagnie O Mcezo* sous le nom de gungu la mcezo et fonctionne tel un happening au service de certaines valeurs citoyennes. « J’ai cru rêver. De mon temps, raconte ce vieux monsieur assis près de la place Bishioni, au passage du gungu la mcezo,, on pratiquait le gungu de la même manière ou presque. On voyait des hommes habillés en femmes, des femmes déguisées en hommes, se ruer dans le village, en exprimant leur colère contre celui qui subit le gungu, le « gunguïsé » en quelque sorte. J’ai compris que ces jeunes ont fait pareil, sauf qu’ils ont mis un comédien à la place de celui qu’on humilie habituellement dans le vrai gungu. Leurs slogans étaient dirigés contre ceux qui pillent le bien public. Ils parlaient de ceux qui détournent l’argent attribuée par la communauté pour la construction de la grande mosquée. Un sujet qui dérange ici et qui divise l’opinion de la ville en deux. Il y a des familles qui ne se parlent plus à cause de cette histoire, et je trouve important que des jeunes viennent sensibiliser les habitants avec ce gungu, qui rappelle que ceux qui volent à la communauté doivent être pointés du doigt, et mis à l’amende. J’ai compris que c’est un geste artistique, mais je l’apprécie pour les valeurs citoyennes qu’il promeut. Il faudrait organiser plus de gungu dans cette ville. Pour que les gens comprennent que ce qui est à tous ne doit pas profiter à un seul, égoïstement ».

Pour le gungu la mcezo orchestré lors de cette troisième étape de tournée, la compagnie O Mcezo a fait appel à Dali, un jeune comédien de la ville. Ce dernier n’a pas manqué de saluer la proposition faite d’un théâtre de rue, s’inspirant de la tradition comorienne. « Il serait bien de promouvoir cette idée. Ma mère aurait pu s’inquiéter, en apprenant qu’on m’a ligoté et traité de voleur de biens publics, traîné dans les rues d’Iconi. Mais je lui ai bien fait comprendre qu’il s’agissait de théâtre citoyen, d’une pratique qui pouvait peut-être générer de nouvelles perspectives pour nous, qui faisons du théâtre ici inutilement ». Pour Ahamada Mbadjini Djambae, vice-président de Wushe et principal partenaire de la compagnie à Iconi, « ce gungu la mcezo a été perçu comme une leçon par beaucoup de citoyens de la ville […] Il a été reçu comme un enseignement sur une manière de voir ou de juger ceux qui abusent du bien public. A tel point que certains membres de la communauté souhaitent nous voir pour en parler ». Pour Mohamed Toihir Gamal, président de Wushe, « ce gungu du dimanche 10 août 09 a forcément marqué les gens. Il y a ceux qui l’ont apprécié, qui ont été surpris, et il y a les autres, qui ont trouvé l’approche critiquable. En comparant les deux opinions, nous avons eu l’impression qu’il y avait eu plus de monde appréciant cette forme d’expression citoyenne, surtout parmi les jeunes ».

L‘étape d’Iconi a ainsi permis à la compagnie O Mcezo* de « labelliser » une fois encore l’idée du gungu la mcezo comme outil de conscientisation de la population. « Un moyen efficace de parler au citoyen. Ceux qui font du théâtre de sensibilisation devraient s’en inspirer. Il s’agit d’une performance qui parle aux gens ici, dans la mesure où elle tire ses racines profondes de la tradition locale. Ce happening offre aussi la possibilité à ceux qui ne vont pas au théâtre d’apprécier l’implication des artistes dans leur société. Avec cette pratique théâtrale du gungu se pose la question de notre rapport au réel en tant qu’artiste » avance Soeuf Elbadawi, directeur artistique de la compagnie O Mcezo*. « Nous avons pris le temps durant le stage à Iconi d’expliciter notre projet, afin que personne ne se trompe sur l’objet premier de ce gungu la mcezo. Notre projet se situe dans les valeurs citoyennes en partage. Nous parlons d’intérêt général et de morale en partage. J’imagine que c’est la raison pour laquelle les membres de Wushe et de l’ADELEC nous ont ouvert la porte à Iconi ».

Cette troisième étape de tournée à Iconi a été l’occasion pour la compagnie de présenter La fanfare des fous, spectacle de Soeuf Elbadawi sur la dépossession citoyenne. L’occasion (surtout) pour o Mcezo* de nouer des liens avec la jeunesse d’Iconi. Des amis de la compagnie à Ntsudjini (Scout Ngome) et à Fumbuni (Masomo na Utamaduni) se sont même déplacés pour contribuer à asseoir ces liens d’un type nouveau, basés sur les principes de solidarité et d’entente mutuelle, et pour en générer d’autres, sans doute. Ahamada Mbadjini Djambae de Wushe précise : «  »J’ai appris beaucoup de choses durant ces rencontres avec la compagnie O Mcezo*. A commencer par les moments d’amitié partagés. Il n’y a rien de plus beau que la relation au quotidien avec ceux qui sont engagés sur ce projet. J’ai retenu deux choses ces jours-ci.. La première concerne le théâtre. Notre capacité à dépasser nos propres limites, en acceptant d’incarner un personnage de fiction dans un événement comme celui du gungu la mcezo. La seconde chose apprise concerne, elle, le fait d’avoir à échanger avec une personne que l’on ne connaît pas. La façon de tisser ou de retisser des liens avec d’autres jeunes ». O Mcezo* en tournée dans l’archipel essaie de promouvoir une certaine idée de la relation citoyenne. La compagnie use du théâtre comme d’un prétexte pour rassembler et réfléchir ensemble à la société dans laquelle « on se projette » soutient Soeuf Elbadawi. « Notre théâtre parle d’un pays rongé par la division. Il est normal que l’on défende des valeurs de solidarité citoyenne ».

Pour Ibrahim Youssouf alias Lobbby, membre actif de l’Adelec, structure à l’origine de la programmation de la compagnie O Mcezo* à Iconi, « il est possible que nous n’avions pas bien saisi ce qu’on nous demandait au départ ou peut-être que l’on ne nous avait pas bien expliqué. Mais une fois que nous avions saisi le sens de ce projet, nous avons fait en sorte de faciliter sa réalisation dans notre cité. Je pense que si l’on devait refaire l’expérience, cela se passerait encore mieux, maintenant que tout le monde a bien compris le message. Il n’était pas évident de convaincre ou de mobiliser sur ce projet sans que les gens ne comprennent bien sa nécessité. Les gens d’Iconi ont besoin de voir d’abord, avant de se laisser convaincre, et il aurait fallu encore plus de temps et des moyens pour emporter l’assentiment de tout le monde. Cependant, nous avons fait en sorte que le projet prenne forme d’une manière efficace en deux-trois jours, et nous sommes arrivés à réaliser l’essentiel de ce qui était au programme ». Mohamed Toihir Gamal, président de Wushe, ajoute son grain de sel, en insistant sur « la belle opportunité » que représente ce projet : « Nous avons compris le message. Dans l’association, nous avons pensé qu’il serait bien de prolonger cette dynamique, en créant un département de théâtre au sein de l’association ou en organisant un gungu la mcezo à notre tour à Iconi. Nous avons bien noté dans nos échanges que l’essentiel n’était pas dans le théâtre, mais dans notre capacité à en user pour parler au citoyen. Nous pensons également renforcer les liens entre la compagnie O Mcezo* et notre structure, en privilégiant une nouvelle forme de partenariat. »

Mardi 11 août 09



prochaines dates après les étapes de Ntsudjini, de Fumbuni et Iconi à Ngazidja



du 11 août au 16 août 09 Ouani

du 16 août au 21 août 09 Mirontsi

du 21 août au 22 août 09 Mutsamudu
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