Murmures

L’Océan noir de William Adjété Wilson : Europe-Afrique-Amériques
septembre 2008 | | Arts plastiques | Bénin

Français

tentures réalisées au Bénin et livre-catalogue en préparation
« L’OCÉAN NOIR « 
Europe-Afrique-Amériques
par William Adjété Wilson
William Wilson est un artiste plasticien qui, depuis vingt-cinq ans,
explore les méandres de son imagination, qu’il exprime dans un style
très imagé et vivement coloré. Il travaille sur divers supports, en
particulier au pastel sec sur papier, mais aussi à l’huile sur toile, à
l’encre, à l’acrylique. Il crée aussi des objets sculptés ou assemblés et a
réalisé de nombreuses estampes. Mais quelle que soit la technique
employée, son trait et sa palette donnent à voir la part d’ailleurs qu’il
porte en lui et qui lui vient de son père, d’origine africaine.
C’est cette filiation qu’il a entrepris d’aborder dans une nouvelle série,
travaillée sur tissu, et dont l’ambition dépasse largement le cadre
artistique.
La série l’Océan noir se compose de dix-sept tentures (1,60m x1m) qui
racontent chronologiquement, depuis le XVème siècle jusqu’aux
années 2000, l’aventure des Noirs d’Afrique et des diasporas des
Amériques et d’Europe.
l’histoire personnelle
C’est à travers l’histoire de sa propre famille que William Wilson a
découvert cette « grande » histoire au coeur du continent africain et de
l’histoire du monde moderne. Né en France d’une mère française et
d’un père togolais, il ne s’est rendu en Afrique qu’à la fin de son
adolescence, et ce n’est que peu à peu, au fil de ses recherches, qu’il a
rencontré les personnes, les lieux et les historiens qui lui ont appris le
stupéfiant passé de sa famille africaine.
Ses ancêtres appartiennent en effet aux principales familles du Togo et
du Bénin qui ont servi d’intermédiaires dans la traite des esclaves, en
utilisant les liens commerciaux noués depuis longtemps avec les
Européens.
Par la suite, ces familles dominantes ont fourni à leurs pays de
nombreux grands intellectuels, avocats, médecins, politiciens, le plus
souvent formés en Occident, en particulier en Angleterre, en France et
en Allemagne.
Au début du XXème siècle, le Togo et le Bénin étaient considérés
comme « le Quartier latin » de l’Afrique, en raison du taux élevé de
scolarisation, et du niveau de culture des élites. De ces familles dont il
est issu (les Wilson, les Lawson, les D’Almeida etc…), sont nés les
hommes et les femmes qui ont façonné l’histoire de leur pays au cours
du XIXème puis du XXème siècle, durant la colonisation, puis au temps
des indépendances, et jusqu’à nos jours. C’est aussi cet héritage que
William Wilson exprime à travers cette vaste série.
Sensibilisé très jeune aux combats des Noirs américains dans les
années 60, très concerné par le message des intellectuels noirs, de
Richard Wright à Malcolm X, et des grands musiciens noirs des années
70 et 80 (de Jimi Hendrix à Bob Marley), William Wilson, en tant que
métis français de la première heure, a formé le souhait de raconter
l’histoire des liens tourmentés et complexes qui unissent ces trois
continents depuis des centaines d’années.
L’aspect didactique d’un tel récit, dans une France aujourd’hui
largement consciente des questions d’identité, de culture et de mélange
des populations, n’est pas anecdotique.
Il s’agit d’apprendre à chacun, d’où qu’il vienne, ce qui a existé avant
lui, et quels sont les faits historiques dans lesquels la société
d’aujourd’hui plonge ses racines.
le sujet
Il est un point particulier de l’Afrique de l’Ouest, situé en bordure de la
côte atlantique, face au Golfe du Bénin, qui a porté longtemps le nom
de Côte des Esclaves. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le port de
Ouidah, dans l’actuel Bénin, a vu s’embarquer plus d’esclaves
qu’aucun autre port de l’Afrique de l’Ouest.
Les négriers occidentaux du celèbre « commerce triangulaire », venaient
pour leur part de Liverpool, Nantes, Bordeaux, Saint-Malo, La Rochelle,
Amsterdam, Londres, Barcelone, Marseille, Lisbonne et bien d’autres
ports d’Europe. Il existait aussi un intense trafic reliant directement
l’Afrique et le Brésil ou les Caraïbes.
L’histoire des relations commerciales entre l’Europe et cette partie de
l’Afrique a commencé dès le milieu du XIVème siècle avec les « grands
voyageurs » portugais. Les marchands européens (Français, Anglais,
Danois, Hollandais, Allemands) brisèrent le monopole portugais au
milieu du XVIème siècle.
Ils entretenaient des liens étroits avec les rois et les chefs des ethnies
de la côte et firent tout d’abord le commerce de l’or, de l’ivoire et des
armes, avant que la traite négrière ne vienne amplifier le négoce. A
partir du XVIIIème siècle, la traite va renforcer les alliances et
développer une économie nouvelle et très lucrative qui modifiera
profondément le destin de tous les intervenants, Noirs comme Blancs.
La richesse engendrée par les captifs emportés dans les îles Caraïbes
et sur le continent américain a pris une ampleur telle que la traite, durant
près de deux siècles, a supplanté et dépassé de loin tous les autres
commerces.
Il a fallu presque cinquante ans après les abolitions officielles pour faire
cesser définitivement ce flux, et plus longtemps encore pour voir
disparaître l’esclavage, au moins dans les lois.
Après l’abolition définitive (en 1848 pour la France) est venu en Afrique
le temps de la colonisation, puis celui des indépendances (années 50-
60).
De l’autre côté de l’Atlantique, les Noirs américains, bien après la fin de
l’esclavage, ont dû combattre pour que cesse la ségrégation dont ils
étaient victimes (années 1960), puis pour la reconnaissance de leurs
droits. Ce combat n’est pas terminé.
L’Océan noir a pour objectif de retracer l’histoire des liens qui ont uni,
durant cinq siècles, l’Europe et l’Afrique, et de ceux qui se sont
développés entre l’Afrique et l’Amérique, du fait et des suites de
l’esclavage.
Les hommes noirs sont au centre du livre, qu’ils soient puissants rois
africains et actifs marchands d’esclaves, captifs emmenés vers le
continent américain et transportant avec eux leur culture et leurs
traditions, nègres marrons enfuis dès l’arrivée et se cachant dans la
forêt avec la complicité des Indiens, élites éduquées de la cour du
royaume Mina intriguant auprès des puissances étrangères (la France
et l’Angleterre), otages princiers au temps des premières colonies
emmenés en Europe puis ramenés dans leur pays avec le traité signé,
Noirs américains se rassemblant sous la bannière pacifiste de Martin
Luther King ou celle plus offensive des Black Panthers, musiciens noirs,
artistes noirs, guerriers noirs, peuple noir.
Une épopée de plusieurs siècles sur trois continents, voilà ce que
l’Océan noir veut retracer, sous la forme d’une « tapisserie » en 17
tableaux, racontant au fil du temps cette histoire à la fois tragique et
épique.
le support
La ville béninoise d’Abomey est située à 130 km de la côte. C’est la
capitale de l’ancien royaume de Danxomé vaincu par les Français en
1894. C’est encore aujourd’hui la capitale historique du Bénin classé
au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO..
Là se sont développés, depuis longtemps, des arts de cour dont celui
des tentures en « appliqué ».
Ces tapisseries historiées sont fabriquées en tissu traditionnel de coton
teint. On y découpe des formes variées que l’on applique et coud pour
constituer une sorte de bande dessinée qui, à l’origine, racontait
l’histoire des rois et du peuple Fon.
Certaines pièces comportent du texte brodé ou cousu.
De nombreuses sortes de tissus peuvent être utilisées, du plus
traditionnel au plus contemporain, selon l’effet recherché.
La ville d’Abomey a conservé bien vivante cette technique artisanale et
plusieurs ateliers continuent de perpétuer la tradition.
Certains artistes africains contemporains de réputation internationale se
sont réapproprié cette technique et la font évoluer (Romuald Azoumé,
Cyprien Tokoudagba, Yves Apollinaire Pede).
C’est ce support de tissu qu’a choisi William Wilson pour réaliser sa
grande fresque historique, en souvenir également de son enfance et
des rares visites en France de sa grand-mère paternelle Hélène Kokwe
d’Almeida, commerçante de tissus à Cotonou et membre de la confrérie
des « Nana Benz » qui, exemple unique en Afrique, ont su développer un
commerce international de grande ampleur.
la réalisation
Au cours de l’automne et l’hiver 2007-2008, William Wilson a fait trois
longs séjours au Bénin, dans l’atelier d’Yves Apollinaire Pede. C’est
avec lui et les artisans de l’atelier qu’il a réalisé les tentures de l’Océan
noir
, fruit de son style personnel et du savoir-faire des maîtres-tenturiers
locaux.
le livre-catalogue
Un livre consacré à l’Océan noir est en cours de réalisation, il sera
publié par les Editions Gallimard au printemps 2009.
Il constituera le catalogue de l’exposition, dans la mesure où il
présentera l’ensemble des tentures, mais il apportera à la démarche
artistique un arrière-plan historique et une portée pédagogique aidant à
la compréhension des images.
Chaque tenture y sera explicitée, et sa symbolique sera décryptée dans
le détail (symboles Akan, représentations spécifiques, etc.).
Catalogue d’accompagnement indissociable de l’exposition, l’ouvrage
l’Océan noir sera également disponible en librairie.

Le passé n’est pas mort et enterré.
En fait, il n’est même pas passé.
William Faulkner
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