Fiche Livre
Littérature / édition
ROMAN | Septembre 2009
Injustique
Edition : Harmattan (L’)
Pays d’édition : France
ISBN : 978-2-296-09045-3
Pages: 160
Prix : 15.50
Parution : 01 Septembre 2009

Français

Il y a des jours comme ça qui vous assiègent l’esprit pour toujours. Ces jours-là, la vie semble faire une pause sur des événements ou des gens qui reviendront vous hanter sans cesse.
Les souvenirs insupportables de la geôle reviennent pour gouverner ma pensée et je les porte comme un fardeau trop lourd pour ma tête épuisée. Je reste enfermé dans ma chambre. J’ai peur de ces hommes qui torturent sans pitié, ces forts qui tuent sans remords. Oui, ils le savent ; ils ont appris que je suis venu en France pour chercher refuge et ils me recherchent, je le sais.

Je suis de plus en plus harcelé par des cauchemars qui ne me laissent plus la tête tranquille pour le repos nocturne. Des rêves effrayants qui m’arrachent du sommeil, avec des tressaillements et une sueur qui me court sur tout le corps. Je m’en vais m’asseoir sur la chaise, supportant le poids de l’insomnie pour ne plus exposer ma tête à ces souffrances, ces peurs provoquées par des images infernales qui m’envahissent l’esprit quand je m’endors.
Mon âme n’arrive plus à garder le silence face aux supplices générés par ces images qui s’emparent de mon esprit éreinté. Je me réveille avec des hurlements et des cris d’appel au secours qui réveillent mes voisins. Ils sont venus une ou deux fois à mon secours, mais sont repartis, pliés en deux par un rire moqueur lorsqu’ils ont su que c’était un cauchemar. « Il est fou ce Michel », se disaient-ils entre eux. Ils en ont parlé à madame Martin la concierge et lui ont demandé de trouver une solution pour mon cas. Ils lui ont dit que je suis dangereux, surtout pour leurs enfants avec qui je m’amuse sur l’aire de jeux quand le temps et mon esprit le permettent.
Je m’en veux d’être devenu indésirable. Je m’en veux de laisser s’échapper ces cris qui s’en vont les perturber dans leur sommeil. Que puis-je faire pour les retenir ? Je ne peux contrôler mon esprit quand je dors, cet esprit qui m’échappe de plus en plus et me ramène d’affreux souvenirs que j’ai essayé d’enfouir pour ne plus en souffrir.
Toujours le même cauchemar. Des hommes armés, aux pieds chaussés de bottes lourdes, aux visages impitoyables, me tenaillent et me traînent par terre pour m’amener sur une colline rouge qu’ils ont baptisée du célèbre nom de Golgotha. Je lutte de toutes mes forces, je crie au secours.
Je m’en veux vraiment d’être devenu insupportable pour mes voisins, mais je n’ai rien fait pour mériter l’exécution. Je ne me reconnais pas dans la peau de Christ ni de Barrabas ; je crie à la pitié pour échapper à la mort. Où est mon tort ?
Je me réveille toujours lorsqu’ils essaient de m’attacher au poteau pour me fusiller. Le corps tremblant de peur, je m’arrache du lit, m’en vais boire un verre d’eau pour me rafraîchir le cœur, pour reprendre vie. Et je m’assois sur la chaise. J’attends.
Je ne sais plus comment faire pour me débarrasser de ce passé qui me poursuit inlassablement, ce souvenir qui resurgit et me hante comme un fantôme. Oh, mon Dieu, qu’est-ce qu’il me torture l’esprit quand il sillonne mon être endormi ! Ce fantôme est bien réel, je l’ai dans ma tête, c’est mon histoire, c’est un épisode de ma vie. Il revient me menacer, il revient me hanter comme un démon.
Je lutte contre le sommeil pour ne plus tomber dans le piège de ces cauchemars qui me rendent abject. Je veux reconquérir l’estime de mes voisins, je veux être normal.
Mais ce fantôme revient me hanter le jour depuis que j’ai cessé de dormir pour ne plus le revoir. Il n’attend plus la nuit, il n’attend plus que je m’endorme. Il n’attend plus du tout. J’entends leurs pas dans le couloir, les bruits de bottes de ces hommes qui me recherchent, ces bourreaux qui veulent m’emmener loin de toutes mains secourables, là-bas sur Golgotha, pour m’exécuter comme un condamné ou une bête de sacrifice.
Je ressens par moments un vertige qui me prive de ma lucidité. Et lorsque le trouble s’éloigne, j’ai l’impression de n’être plus moi-même, d’être ailleurs que chez moi, étranger dans mon corps. J’ouvre précipitamment la fenêtre pour regarder dehors et m’assurer que je suis vraiment dans ma chambre. Les deux peupliers sont toujours là, les enfants s’amusent sur l’aire de jeu, les tours HLM se voient au loin. La nature n’a pas changé autour de moi, je suis bien dans ma chambre, tout est normal. Je bois un verre d’eau, je reprends mon souffle. Et j’attends.
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