Fiche Livre
Littérature / édition
ROMAN | Août 2008
Bêtes sans patrie
Uzodinma Iweala
Pays concerné : Nigeria
Edition : Éditions de l’Olivier (Les)
Pays d’édition : France
ISBN : 978-2879295466
Pages: 175
Parution : 21 Août 2008

Français

Agu est un enfant-soldat africain, un tueur. Il obéit au Commandant, qui a sur lui droit de vie et de mort. Viols, exécutions, massacres : c’est la guerre civile. Agu voudrait s’éveiller de ce cauchemar. Alors, il parle.

Premier roman d’un jeune auteur d’origine nigériane né aux Etats-Unis, Bêtes sans patrie peut être considéré comme le quatrième volet littéraire traitant des aventures cauchemardesque, vécues par les enfants soldats enrôlés dans les milices barbares, qui ont ravagé le cœur de l’Afrique au cours de ces dernières décennies.

En tout premier lieu, il faut signaler l’inoubliable récit précurseur que fut « Sozaboy (Pétit minitaire) », rédigé en anglais pourri par le grand écrivain nigérian Ken Saro-Wiwa (ex-Président de l’Association des écrivains nigérians), qui plonge un très jeune conscrit dans les horreurs de la guerre du Biafra à la fin des années 1960. Le roman fut traduit admirablement par Samuel Millogo et Amadou Bissiri avant d’être publié en France aux Editions Actes Sud en 1998, soit trois ans après la pendaison en place publique à Port Harcourt de l’auteur (et de huit autres militants du Mouvement pour la Survie du Peuple Ogoni) par le gouvernement nigérian du général Sani Abacha.

L’Ivoirien Ahmadou Kourouma écrivit à son tour une sorte de chef-d’œuvre tragi-comique sur un enfant orphelin d’une dizaine d’années, Birahima, enrôlé comme mercenaire au cours des guerres tribales qui ravagèrent le Liberia et la Sierra Leone : « Allah n’est pas obligé » obtint dès sa sortie en 2000 aux Editions du Seuil un succès retentissant (Prix Renaudot 2000 et Prix Goncourt des lycéens 2000) avant d’être traduit dans le monde entier.

Un autre grand écrivain, originaire du Congo-Brazzaville, Emmanuel Dongala, émigré aux USA où il enseigne la littérature francophone, fait alors paraître lui aussi un roman fulgurant, « Johnny chien méchant » (Ed. Le Serpent à Plumes, 2005) qui met en scène deux enfants dont les destins se croisent dans le bourbier absurde des guerres civiles congolaises : un garçon et une fille, Johnny l’enfant soldat qui ne survit qu’à travers une violence effrénée et Laokolé, piégée dans cet univers féroce qu’elle traverse les yeux grands ouverts en s’interrogeant sur la bestialité des adultes.

Jeune auteur d’origine nigériane, Uzodinma Iweala, né aux Etats-Unis en 1982, se lance à son tour sur les traces de ses trois glorieux aînés en écrivant un premier roman, « Bêtes sans patrie » (Edition de l’Olivier, 2008), qui immerge le lecteur dans un cauchemar d’une violence inouïe à la suite du jeune Agu, un orphelin devenu enfant soldat, enrôlé de force aux ordres du « Commandant » et de sa horde sanguinaire de mercenaires en guenilles, pillards, violeurs sans foi ni loi, piégés dans un rituel de mort et soumis à l’unique loi de la jungle : tuer ou être tué. L’originalité prodigieuse du roman tient dans la simplicité de la langue parlée par Agu, magnifiquement traduite par Alain Mabanckou: l’enfant ignore la syntaxe et son vocabulaire plus qu’approximatif introduit des confusions parfois savoureuses qui rendent son récit encore plus pathétique. En effet, chaque phrase prononcée, chaque mot écorché collent parfaitement à la réalité vécue dans sa naïveté première et font ressortir toute l’horreur de sa situation de gosse pris dans l’engrenage de la cruauté absolue des adultes.

« Le Commandant il est tellement grand que si tu le regardes on dirait que tu montes dans un arbre, et il est tellement gros que s’il est à côté de toi son ombre ça te barre tout le soleil. Il est tellement fort qu’on voit ses veines sur ses bras. C’est très marrant de la voir marcher on dirait que ses jambes vraiment c’est deux poteaux en bois qui se plient jamais. » (…) « Même quand nous courons ses jambes elles bougent de la façon-là que je dis et qui me donne presque envie de rire, or personne ne peut moquer le Commandant à cause que ça l’énerve. Il frappe les gens qui l’énervent, et même qu’un jour il a tué un type qui l’a vraiment beaucoup énervé. On a laissé le cadavre de ce type quelque part au bord de la route avec un gros trou comme ça dans la tête et les yeux grands ouverts. » (pp54-55)

Uzodinma Iweala, diplômé de Harvard, est actuellement étudiant en médecine à la Columbia University. Son roman a été publié aux Etats-Unis en 2005 et a récolté de nombreux prix littéraires.

Alain Brezault
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