Événements

Objets Blessés : la réparation en Afrique
« Chaque religion, chaque culture donne un sens différent à l’objet, à ses blessures, à ses réparations. Ainsi, le concept apparemment simple et univoque de « réparation » nous apparaît progressivement dans toute sa complexité. » Gaetano Speranza

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Présentation de l’exposition
« Le soin que les Noirs mettaient à réparer certains objets montre l’importance qu’ils y attachaient et l’on sait qu’ils ne s’en séparaient pas facilement : s’ils n’avaient eu le désir de les conserver longtemps, ils n’auraient pas fait ces délicates réparations. » René Rasmussen, 1951
L’activité de réparation est très répandue sur tout le continent africain. Toutefois, pour des raisons économiques, esthétiques, ou de prestige, les collecteurs – militaires, religieux, scientifiques, marchands ou simples voyageurs – ont privilégié les objets intacts à ceux cassés ou réparés. Cela explique pourquoi les « objets blessés » sont très faiblement représentés dans nos collections.
Les causes de détérioration des objets sont multiples : l’usure du temps, les accidents, les termites, le climat… Cette détérioration est perçue non seulement comme un fait matériel mais aussi comme un signal d’un dérèglement social. La décision de réparer ou de remplacer un objet cassé est donc très importante. En réparant un objet cassé, on répare aussi le culte et la société même.
L’objectif de la réparation n’est donc pas de redonner à l’objet son aspect originaire, mais, d’une façon plus subtile, de recomposer un équilibre perturbé, en faisant commencer une nouvelle vie à l’objet cassé et en lui faisant retrouver sa fonction rituelle ou d’usage courant. Ainsi la réparation fait partie de l’objet récréé, et elle est toujours visible. En concrétisant la volonté de conservation et de renouvellement, la réparation indique l’importance qui est donnée à un objet par un individu ou par une collectivité.
Cette exposition met en évidence, pour la première fois, l’importance de la réparation. Elle présente cent quinze objets collectés durant les deux derniers siècles : – une partie de cette sélection est entrée au musée d’ethnographie du Trocadéro au XIXème siècle tels les bracelets en ivoire d’Ethiopie, la pagaie de Côte d’ivoire ou le bouclier de Centrafrique… – d’autres nombreux objets furent collectés dans la première moitié du XXème siècle, particulièrement par Marcel Griaule.
Par ailleurs, l’exposition présente trente dessins originaux d’Emmanuelle Duparchy en vis-à-vis de certaines oeuvres, qui soulignent les blessures et réparations des objets.

Parcours de l’exposition
1 – Masques et statues
Cette première section présente vingt et un masques et statues, éléments fondamentaux des systèmes religieux et sociaux réglant la vie de nombreux peuples africains. Leur détérioration est donc considérée comme un fait grave qui met en cause le bon fonctionnement de la vie de la collectivité. La réparation porte remède à ces dysfonctionnements.
La décision de les réparer, plutôt que de les remplacer, est prise, le plus souvent, par les anciens du village et transmise au forgeron. La plupart de ces réparations sont réalisées avec du métal, agrafes ou fils métalliques. Le métal et les pouvoirs du forgeron donnent une nouvelle force à l’objet.
D’autres acteurs, le griot, le marabout ou encore un membre de la société des masques peuvent intervenir aussi bien dans la décision de réparer que dans l’acte de la réparation, ce geste donnant à son tour du pouvoir à celui qui le réalise.
Nous ne connaissons pas l’histoire de la réparation de chacun des objets présentés. Ces masques et ces statues nous interpellent : – comment ont-ils été cassés? – qui a décidé de les réparer et qui les a réparés ? – ont-ils gardé ou renouvelé leur pouvoir après la réparation ?
2 – Vie et survie des objets blesses
La nécessité de ne pas gaspiller des matières premières rares comme le bois ou le métal est l’une des motivations de la réparation qui concerne donc tout type d’objets.
Cette section présente soixante-quatre objets divers, la plupart destinés à un usage courant : boucliers, bracelets, portes, récipients, instruments de musique, soufflets de forge, cuillers, etc.
Cette grande variété d’objets présente naturellement des réparations diverses tant pour les matériaux utilisés que pour les techniques employées. Des pièces de cuir ou des plaques de métal recouvrent les lacunes des objets, des résines ou de la terre en colmatent les trous. Les fentes sont maintenues par des cordelettes en fibres végétales, par des fils de fer, par des lanières en cuir, par des lamelles, des plaquettes ou des agrafes métalliques. Ces réparations sont réalisées directement par l’utilisateur ou par un artisan spécialisé.
Cette dextérité généralisée dans la réparation s’est naturellement appliquée à des objets plus modernes. On trouve ainsi pratiquement dans chaque village, à coté du forgeron ou du tisserand traditionnels, un réparateur de pneus ou un mécanicien « à tout faire » qui redonne vie aux vélos, mobylettes, motos, voitures et à tout autre objet.
La réparation reste un pivot de la vie économique et sociale africaine.
3 – Calebasses
Dans cette section, nous présentons vingt-cinq calebasses. La calebasse, pour la large diffusion de sa culture, pour la facilité de son travail et pour ses formes, est un matériau privilégié pour la fabrication de récipients de formes, dimensions et utilisations différentes : une petite tabatière, une pipe, une gourde, une cuiller ou une grande bassine.
La calebasse peut être décorée par incision ou marquage au feu, mais, même sans décoration, sa forme en fait facilement un objet non seulement utile, mais aussi harmonieux.
Transformée en récipient, elle est souvent complétée par des manches, attaches ou ligatures en fibres végétales nouées ou tressées. Ce travail sophistiqué, effectué le plus souvent par les femmes, se retrouve dans les réparations.
La base de la réparation consiste à percer deux rangées de trous sur les côtés de la fêlure et de resserrer celle-ci par des techniques et des matériaux différents : faisceau de fibres végétales plaqué contre la fente par une ligature, tressage en fil de coton, etc. Des agrafes métalliques sont également utilisées aussi bien pour la décoration que pour la réparation.
Certaines calebasses présentent des réparations successives réalisées avec la même technique ou avec des techniques différentes.
Le travail de décoration et de réparation des calebasses, ces deux fonctions étant souvent confondues, dépasse le simple caractère utilitaire et révèle une volonté consciente de légèreté et d’harmonie.
4 – Hommage aux réparateurs
En plus des trois sections ci-dessus, l’exposition consacre une salle (une des boîtes de façade) à un hommage photographique aux réparateurs d’objets blessés, afin d’élargir et d’enrichir l’approche de la réparation en Afrique. Comme la littérature, les archives photographiques sont totalement muettes sur cet aspect de la culture matérielle pourtant très présente dans la vie quotidienne et religieuse en Afrique.
Pris au Mali en mars 2007 par Laurent Schneiter, les dix clichés présentés donnent à voir la présence d’une personne, de son geste, de ses outils mais aussi le fait social qui remet invariablement l’objet en circulation sans le détourner de son usage. Nous observons aussi des objets en matériaux modernes réparés selon des techniques traditionnelles – la réparatrice de calebasses est aussi celle des récipients en plastique.
Outre la complémentarité recherchée entre les objets présentés et la réalité de terrain, ces photographies combinent une approche contemporaine, esthétique et didactique. Un lourd silence rôde autour de la réparation d’objets sacrés, et lors de leur déplacement au Mali en mars 2007, les équipes du musée se sont davantage concentrées sur les réparations d’objets profanes. L’ensemble de ces photographies peut également conduire le visiteur à s’interroger sur la dimension économique de la réparation.
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