Événements

Ideqqi
Art de femmes berbères

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Note d’intention du commissaire d’exposition
Un art traditionnel original en résonance avec la sensibilité contemporaine
Les femmes des sociétés rurales – à la fois potières, tisseuses, brodeuses – sont dépositaires d’une culture et d’un savoir-faire qu’elles transmettent de génération en génération. Mais cet art traditionnel tend aujourd’hui à se perdre, avec l’exode des campagnes vers les villes d’une part, et avec le développement d’une économie moderne peu favorable au maintien d’un artisanat authentique de l’autre. La poterie du Maghreb offre un remarquable exemple d’art féminin, mode d’expression personnel qui a vu s’épanouir le génie créatif de simples artisanes.
En une centaine de pièces exposées, l’exposition Ideqqi (qui en tamazight, langue parlée par les Berbères, signifie poterie) se concentre sur la poterie algérienne rurale des régions de Nedroma, Chénoua, de la Grande Kabylie et de la Petite Kabylie.
« Ideqqi, art de femmes berbères » met l’accent sur une forme d’art populaire authentique, encore largement ignoré du grand public. La poterie modelée est un témoin aussi précieux que fragile d’un lointain passé : formes arrondies et moulées, décors peints – que l’on retrouve dans les pièces du néolithique – et qui s’apparentent à ceux des vases puniques et des poteries siciliennes. L’exposition met en lumière l’originalité de ces pièces par rapport aux faïences citadines, et souligne leur ancrage africain très marqué et leur relation avec l’art ancien de la Méditerranée. La pureté des formes, la simplicité et la spontanéité des décors donnent à ces objets un charme particulier. Ils témoignent d’un accord remarquable entre la fonction, la forme et le décor. Celui-ci, fortement inspiré de la symbolique traditionnelle, se retrouve dans les tissages, les bijoux et le tatouage. Le visiteur occidental, plongé dans une société essentiellement profane et matérialiste, appréciera la fonctionnalité et la qualité esthétique de ces objets, qui semblent tous véhiculer une dimension sacrée.
Un intérêt croissant des chercheurs et du public
Les publications et les expositions traduisent l’intérêt croissant des chercheurs, du monde des musées et des collectionneurs pour les cultures traditionnelles tribales d’Afrique du Nord. Les demandes de la part du public sont de plus en plus appuyées, comme en témoigne le succès de l’exposition sur les poteries rifaines qui a eu lieu en 2001, en Espagne. Ce fut le cas, de même, pour l’exposition, plus ancienne, à Düsseldorf. Un premier échantillon de poteries kabyles a été montré au Pavillon des Arts de Paris, à l’occasion de l’exposition Algérie : Mémoire de femmes, au fil des doigts (en 2003-2004, Année de l’Algérie). Il semble indispensable que le musée du quai Branly réponde à cette demande du public, et notamment à celle de l’importante minorité algérienne vivant en France, désireuse de renouer avec ses racines et fière de voir ses traditions célébrées. A cet égard, il est essentiel que le musée du quai Branly, musée phare des civilisations non européennes, marque son intérêt pour la culture berbère, très présente sur le territoire français et encore peu sensible aux surenchères de l’intégrisme islamique.
Marie-France Vivier

Parcours général de l’exposition
La poterie berbère fut découverte sur place par les colonisateurs, il y a 130 ans. Depuis cette date, ses origines ont fait l’objet de nombreuses hypothèses de la part de quantité de chercheurs, et non des moindres, auteurs de théories de plus en plus élaborées, que l’on a tenté d’étayer de preuves concrètes. Or, par ses techniques de fabrication rudimentaires, son caractère rural et exclusivement féminin, la poterie berbère se démarque fondamentalement des autres productions méditerranéennes (ibériques, grecques, latines, chypriotes, libyques, égyptiennes ou puniques) qu’elle semble avoir précédées. Si l’on dénote, de façon certaine, des influences venues de la Méditerranée, on ne peut cependant pas trouver d’éléments déterminants permettant de considérer la poterie berbère comme descendant des productions de telle ou telle région de la Méditerranée. Cette exposition est illustrée par des documents, des photos et 140 pièces permettant de comprendre l’origine de cet art exclusivement féminin.
1 – Formes et fonctions
Pour la cohérence et pour la meilleure compréhension de cet art, les poteries ont été regroupées par fonction et/ou par analogies formelles et non par origine régionale, puisque le domaine de la poterie berbère féminine s’étend d’Ouest en Est du Maroc (Moyen Atlas et Rif) à la Tunisie (région de Sejnane) et couvre la totalité du territoire du Nord de l’Algérie, de la Région d’Oran à le petite Kabylie et à l’Aurès. L’exposition est essentiellement consacrée à la Kabylie, berceau de la production la plus raffinée des Berbères. C’est en effet en Algérie que l’on rencontre les décors les plus élaborés et les formes les plus complexes.
La pureté des formes, la simplicité et la spontanéité de leurs décors donnent à ces objets un charme particulier. Ils témoignent d’un accord remarquable entre la fonction, la forme et le décor. Les poteries berbères, de formes simples et fonctionnelles, sont destinées aux besoins quotidiens du foyer et sont confectionnées dans un cadre familial. L’exposition présente plus d’une trentaine de Jarres et cruches pour transporter et garder l’eau au frais, quelques pots pour conserver le lait, l’eau ou l’huile et une vingtaine de gargoulettes et pichets pour servir l’eau.
La partie consacrée à l’alimentation présente une large palette d’objets d’utilité précise et de formes diverses pour la cuisson ou la présentation des mets tels que des pots à bouillon, des couscoussiers, des marmites, des réchauds, cuves, saucières et plats.
Si la poterie berbère est essentiellement utilisée pour des besoins domestiques d’ordre culinaire, elle contribue à l’amélioration du confort et du décor dans les foyers puisque les femmes fabriquent de petites lampes à huile qui éclairent la maison et des plats de fête disposés sur des étagères. Plusieurs pièces illustrent cet art de vivre.
Cet artisanat domestique s’est également étendu aux enfants par la fabrication de nombreux jouets qui représentent presque systématiquement des animaux : poules, coqs, moutons, canards, félins, chameaux et tortues.
2 – Poteries et cérémonie
Les poteries berbères sont très présentes et indispensables lors des cérémonies rituelles telles que les réceptions, les naissances et surtout les mariages. Elles assurent le bon déroulement des événements et véhiculent des symboliques religieuses fortes souvent porteuses de bonheur et de fécondité du couple. Pour les mariages, il s’agit plus particulièrement de monumentales lampes à huiles dotées de 5 à 7 becs appelées également lampes de mariages qui sont portées devant le cortège nuptial. L’exposition en présente 3, accompagnées de plusieurs autres objets destinés aux cérémonies de mariage comme des plateaux, des coupes et des plats tripodes.
3 – Symbolique et significations des motifs décoratifs
Écriture particulière ou langage secret des femmes entre elles, les décors et les motifs ont toujours suscité beaucoup d’intérêt de la part des historiens, des linguistes, des ethnologues et même des psychanalystes.
L’interprétation des motifs et décors qui ornent les poteries n’est toujours pas une science exacte. Si les motifs sont depuis toujours l’objet de recherches incessantes, il est encore difficile de déterminer précisément un sens unique et sans équivoque du fait de l’extrême ancienneté de leurs origines. Cependant les décors simples et purs utilisés par les femmes berbères, souvent inspirés des éléments naturels environnant tels que le soleil, la lune, les montagnes, les animaux, les grottes etc… ont toujours révélé une symbolique protectrice, étroitement liée à la fertilité de la terre et à la fécondité des femmes.
Ces motifs qui décorent les poteries ainsi que leurs couleurs ne sont pas l’effet du hasard ou de la seule inspiration de l’artisane, mais la marque d’éléments culturels profonds qui fondent la tradition du peuple berbère.
L’exposition a choisi de consacrer un véritable espace à la symbolique de ces objets en présentant 24 pièces exceptionnelles. Ce sont pour la plupart des poteries : pichets, cruches, lampes, jarres, vases et autres pots, mais également des tissus : châles, capes et tentures – qui sont d’autres supports décorés tout autant vecteurs de valeurs symboliques – ainsi que 5 portraits de femmes algériennes tatouées réalisés par Marc Garanger en 1960.
Ces motifs de base archaïques sont des figures géométriques élémentaires : croix, carré, rectangle, triangle, losange, chevron, rosace… et portent des noms tels que « papillon », « oiseau », « mouche », « serpent », « scorpion »… qui laissent supposer des significations ancestrales liées au bien et au mal, à l’amour et la haine, à la vérité et au mensonge ou encore à la beauté et la laideur.
La couleur participe aussi à la symbolique de l’objet. Une poterie berbère, habillée et tatouée comme une femme est un objet vivant.
De par ses motifs, la poterie berbère se distingue par trois caractères remarquables : elle est ornementale – décorée pour embellir le logis ; identitaire – chaque village a son décor propre et symbolique – son décor de pictogrammes est constitué de signes magiques et prophylactiques. On retrouve ces motifs protecteurs et porte-bonheur sur les tissages, les bijoux et les tatouages. Par sa forme, ses couleurs et la particularité de son décor, chaque objet raconte l’histoire de sa tribu et celle des rites et superstitions encore d’actualité de nos jours.
4 – Les femmes artistes
Au-delà de la fonctionnalité de l’objet et du vocabulaire symbolique de son décor, la créativité de la potière peut se manifester par un talent particulier dans l’agencement des formes, dans la liberté de la composition du décor et le choix des motifs. Dans ces différentes fabrications, les femmes trouvent un espace de liberté qui leur permet de donner libre cours à leur imagination, à leur créativité, à leurs propres expressions artistiques.
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