Le sang et la mer

De Gary Victor

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Comment poursuivre l’écriture en Haïti après le tremblement de terre ? Le dernier roman de Gary Victor propose une réponse habile et inattendue en utilisant dans la narration les « avertissements de la terre » (74). Placé sous le double signe ambigu de la violence sociale et de la mer purificatrice et destructrice, ce récit à la première personne se déploie dans un temps et un espace très limités.

La narratrice, 17 ans, vient d’avorter et semble promise à la mort au bout de son sang. Attendant seule son frère parti chercher du secours, elle évoque leur parcours de survie dans le bidonville de Pétionville où ils ont échoué après la mort de leurs parents. Là où l’on pourrait craindre une aventure héroïco-sentimentale de deux orphelins courageux dans la tradition du roman d’éducation français au XIXè siècle, Gary Victor, offre un portrait de la société haïtienne heureusement traversé par un fantastique rafraîchissant. Les thèmes de l’injustice, de la surpopulation des bidonvilles et la peinture de divers personnages emblématiques sont bien là, sans grande nouveauté, comme l’amant mulâtre riche qui éblouit la jeune fille pétrie de romans et d’idéalisme. Le frère comme la sœur tombe dans les pièges tendus par une société cynique à des jeunes sans autres ressources que leur pouvoir de séduction et le récit reste convenu sur ce plan. L’originalité tient d’abord au point de vue choisi, celui de la jeune fille et au dénouement des trajectoires des uns et des autres. La narratrice, naïve, entreprend un récit qui est en même temps une élucidation des mécanismes qui régissent des rapports sociaux basés sur l’argent et le racisme en Haïti. La riche famille mulâtre de son amant exploite la masse des « nègres » installés sur leurs terres, utilise sans vergogne les jeunes filles ; les mères maquerelles ou des chefs de réseaux paraissent dominer filles et petits vendeurs. L’auteur dresse face à eux les portraits de celle qui refuse la prostitution mais finit par se suicider et de l’artiste homosexuel à succès. La narratrice navigue entre tous, échappe aux uns, succombe aux autres, abandonne les livres qui l’avaient un temps préservée et semble, dans son sang, vaincue par le réel. Or, dès le début, le récit est entrecoupé de scènes fantastiques où la mer envahit l’espace du frère, déposant algues et sable en divers lieux. Ce thème permet à l’auteur de surprendre le lecteur en inversant le dénouement attendu dans un double saut qui, pour être périlleux, n’en n’est pas moins le meilleur du livre. Avec la mer, le romancier sauve certains personnages, rétablit la littérature et délivre le roman d’une dénonciation dans laquelle il avait failli s’enliser.

10 novembre 2010.///Article N° : 9842

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Le sang et la mer © Editions Vents d'ailleurs





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