Deux festivals, deux réalités

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Des cités de la rive droite à Langon, village bon enfant, les environs de Bordeaux ont vibré à l’unisson mais sur des gammes différentes.

Le Festival des Hauts de Garonne cherche à revaloriser la culture dans les cités
De jeunes Palestiniens sortis pour la première fois de la Bande de Gaza qui, la nuit tombée, sous un gros pin parasol, répondent aux questions des habitants d’une cité. De jeunes Brésiliens, donnant des leçons de capoera et de break-dance dans les algécos d’un centre social à des ados attentifs et assidus… Mettre en contact, confronter les réalités : depuis le début des années 90, le festival des Hauts de Garonne s’inscrit dans la proximité. Ici, pas d’accréditation, ni de domaine réservé à une jet-set culturelle triée sur le volet. Tout se passe dans les quartiers, dans les cités dites sensibles. Cette année, pour la septième édition, Musiques de Nuit Diffusion, l’association organisatrice, s’est associée à huit villes de l’agglomération bordelaise. Pendant trois semaines, les habitants des cités de Floirac, de Lormont ou de Mérignac ont vécu au rythme d’ateliers-résidence et d’arbres à palabres à l’africaine. En parallèle, des têtes d’affiches comme Cheb Mami, Omar Sosa et le très à la mode Femi Kuti étaient accessibles à vingt francs pour les moins de vingt ans.
Créé en 1983, par deux copains de lycée dingues de musiques du monde et de concerts, Musiques de nuit Diffusion se contentait au départ d’inviter des artistes pour de simples représentations. Miles Davis, plusieurs fois, King Sunny Adé, Sun Ra et Fela venu en 85 et 88, semblent avoir laissé des traces indélébiles dans les mémoires. Ainsi que dans les cuisines de l’hôtel dans lequel le dernier cité fut logé.  » Fela avait décidé qu’il ne mangerait que la cuisine préparée par ses 27 femmes « , se souvient Patrick Duval, un des organisateurs. Puis, devant la mise à l’écart progressive des jeunes des cités, l’abandon de ces zones dans un engrenage de dévalorisation et l’absence de projet culturel autre que d’emmener les jeunes  » faire du surf à la plage « , Musiques de Nuit Diffusion orienta sa démarche sur la proximité. Durant tout le festival, des ateliers-résidence permettent aux artistes venus du monde entier de passer quelques jours avec les jeunes des cités. L’initiative s’inscrit dans la continuité : en dehors du mois du festival,  » Quartiers Musiques  » débouche sur le Carnaval de Bordeaux,  » Cités des Musiques  » proposent des ateliers et des stages autour des pratiques liées à la culture hip-hop et  » Workshop « , véritables écoles de musique en milieu ouvert, permettent aux jeunes de bénéficier sans handicap financier de l’enseignement de musiciens de jazz venant souvent de la scène free comme Trevor Watts, Hamiet Blueitt, Andrew Cyril etc. En France, IAM, NTM ont plusieurs fois contribué à ces différentes formules et la participation du percussionniste Doudou N’Diaye Rose donna naissance à un échange étroit entre les banlieues de la région bordelaise et celles de Dakar.  » Nous sommes lancés dans une entreprise d’auto-valorisation à long terme, dit Patrick Duval.. Il s’agit de casser les stéréotypes qui collent aux cités. Nous aurions donné dans la facilité si nous n’avions programmé que des chanteurs de raï et de rap. Et puis, je ne veux pas donner des arguments aux élus Front National qui disent que c’est le festival de Noirs et des Arabes.  »
Cette année, en collaboration avec Palestine 33, une association des environs, Musiques de Nuit Diffusion a fait venir en atelier résidence les Palestiniens d’Al Qarara, groupe folklorique originaire du village du même nom. Situé au Sud de la bande de Gaza, il est essentiellement habité par des réfugiés chassés de leur terre en 1948 et sédentarisés de force. Pour cette dizaine de jeunes qui n’avait jamais pu en sortir, il a toujours constitué une prison à ciel ouvert.  » En Palestine, il faut toujours faire référence de ses mouvements, explique Ibrahim Kacham, le fondateur du groupe, aux personnes venues assister à  » l’arbre à palabres  » au centre social du Haut Floirac. Nous avons eu du mal à sortir. Les autorités de Tel-Aviv nous ont retardés pendant sept heures et nous avons dû partir par un autre vol. Ils avaient caché le billet d’un d’entre nous. Et trois qui n’ont pas obtenu d’autorisation ont dû passer par le Caire.  » Tous, s’étaient consacrés à l’Intifada, et tous ont, un jour, porté le deuil d’un ami ou d’un parent. La dabka, danse traditionnelle qui symbolise la joie, exécutée lors d’un mariage ou de cérémonies festives qu’ils sont venus présenter avec d’autres éléments de leur culture et de leur réalité, était donc auto-proscrite.  » Les malheurs, la douleur, les massacres, nous interdisait de chanter et de danser à tout moment. Et puis, l’occupant israélien interdisait toute forme de rassemblement.  » Aujourd’hui, pour eux, elle constitue un patrimoine à reconquérir.
Formé par plusieurs groupes venus de Sao Luis, ville portuaire de la région de Maranhao dans le Nord-Est du Brésil, les membres de Quilombo Urbano – collectif de danseurs (break, smurf, capoera), de rappeurs et de graffeurs – sont également animés par une volonté  » d’auto-revalorisation.  »  » Chez nous, tout le monde est dans une situation d’auto-dévalorisation, dit Emerson un des graffeurs. Il y a des enfants qui vont à l’école uniquement pour avoir un repas.  » Composé de Noirs et de Métis – principaux habitants des favelas – le collectif utilise l’esthétique de la culture hip-hop pour conscientiser la communauté pauvre sur les problèmes sociaux et sur la discrimination raciale. Autonome, sans but lucratif, il vit essentiellement de la vente de tee-shirts et de l’organisation de soirées.  » Nous sommes plus ou moins considérés comme des criminels, disons des marginaux, des inoccupés, des vagabonds. Il arrive à la police d’intervenir quand nous faisons des soirées. Ils embarquent à chaque fois une ou deux personnes. Tout ce qui peut déboucher sur une prise de conscience des populations est réprimé. Cela rappelle la répression que la capoera subit depuis de nombreuses années.  » En dehors de leur rap qu’ils agrémentent de bilimbao et de percussions, le Quilombo est venu au festival pour inciter les jeunes des banlieues françaises à exprimer leur réalité, comme ils tentent de le faire chez eux.  » La France n’est pas un pays du tiers monde, mais c’est un pays capitaliste. Donc, même s’il est moins important, le fond du problème est le même.  » Emerson a pu d’ailleurs en faire l’expérience lorsque la mairie d’Ambarès, ville située sur la rive gauche de la Garonne, jugea le graf qu’elle lui avait commandé inadéquat et subversif. Et exigea que le mur du centre social soit repeint. Il y avait inscrit  » Misère et Réalité « …
Si les ateliers et les  » arbres à palabres  » connurent un réel succès auprès des adultes et adolescents, ils furent boudé par les 16-25 ans.  » Je ne voudrais casser personne, lança un jeune habitant d’une cité de Lormont. Il y a peut-être des trucs de bien, mais je ne sais pas si les gens qui organisent sont vraiment au courant de ce qui se passe ici  » Pour tenter de combler cette brèche, Musiques de nuit s’est attachée les services d’un médiateur qui, depuis quelques mois, tente de renouer le dialogue entre les jeunes et le festival.  » Il faut se rendre à l’évidence : les centres sociaux ne sont plus une structure suffisante, dit Patrick Duval. S’ils avaient joué la carte du culturel plus tôt, nous n’en serions pas là. Emmener les jeunes à la plage, ce n’est pas un projet culturel. Maintenant, je crains que ce ne soit trop tard. La médiation nous permettra de définir tout ce qu’il y de dynamique dans les quartiers. Mais cela va prendre du temps.  »
De toute évidence, ce n’est pas le collectif  » stop la violence  » qui pourra renouer ce dialogue. Car la délégation de six unités qui, dans le train, espérait qu’on lui déroule tapis rouge reçut un accueil pour le moins mitigé. Personne ne fut dupe et ils furent copieusement ignorés.  » Tout ça c’est du bluff, dit Abdel. Stop la violence ! De quelle violence ils parlent. Il n’y a pas de contenu dans leur truc. Dernièrement ici, j’ai vu un gars qui voulait en poignarder un autre. On a réussit à l’en empêcher, mais lui, il disait qu’il n’avait rien à perdre. C’est quoi les origines de cette violence ? Ça ils le disent pas. Leur truc n’a aucun contenu  » Par défaut de moyens techniques – que les membres du collectif devaient fournir au demeurant -, leur documentaire ne fut pas visionné. Et le débat qui devait s’ensuivre, fut très bref – la plupart des participants ayant jugé plus intéressant de se rendre au concert de Femi Kuti.  » J’ai vu l’apparition de ce mouvement très controversé, renchérit Patrick Duval. Je craignais que cela soit un SOS Racisme bis. J’ai pensé qu’il fallait qu’on les invite pour les mettre au pied du mur et pour leur donner une chance aussi. Cela ne s’est pas bien passé ; on a maintenant des éléments pour juger.  »
Les Nuits Atypiques de Langon
Les Nuits Atypiques présentent un profil totalement différent de celui du Festival des Hauts de Garonne et s’inscrivent dans la tradition d’un festival de musique formel. Pendant près d’une semaine, les habitants de Langon, de Bordeaux et des environs, assistèrent à un défilé d’artistes d’origines diverses, mêlant une fête du folklore style Africain sautant, dansant et battant tambour toutes dents dehors, et une fête de la création et de la liberté, de la musique et de concerts, de rencontres inédites et atypiques.
Malheureusement,. le pianiste Ray Lema et le groupe Gnawa Tyour du Maroc, qui devaient assurer la soirée d’ouverture, durent se contenter pour cause de pluie d’un bœuf sans piano sous la tente du réfectoire. Pour l’artiste congolais, plus qu’une simple rencontre, il s’agit ici de retrouvailles avec un peuple d’anciens esclaves noirs qui de génération en génération, conserva intactes ses origines musicales. Après avoir rencontré le classique, les voix bulgares et le jazz, ce travail s’inscrit dans  » un retour aux sources, une boucle qui se boucle dans ma vie, dit-il. Les gens m’ont demandé ce que je pensais de ce métissage, mais pour moi, ce n’est pas un métissage. Dès que je les ai entendus, j’ai tout de suite su qu’il ne s’agissait pas de musiques arabes. Ce sont des musiques qui proviennent d’Afrique Noire. Je suis entré dans leur musique, sans changer quoi que ce soit. C’est vrai qu’un piano ne pèse pas lourd par rapport à la force de leur percus, mais avec le temps, j’arrive à leur proposer des nuances, leur demander d’assouplir, un peu leurs mains. Ce sont des négociations. A chaque fois que nous nous rencontrons, nous polissons les nuances.  » Cette prestation, sur la grande scène de la mosquée de Langon, était une étape importante dans sa délicate quête  » d’un piano africain  » et dans la préparation de l’album qui doit sortir cet automne.
La pluie fit place à un soleil de plomb tout le reste du temps. Les allées du village atypique, désertes la veille, grouillèrent rapidement de monde ; des individus de tous les âges, regroupés autour de stands allant des lampes indiennes au bar associatif en passant par le tipi des Libertaires du groupe Nique la Taule, comité basé dans la région, mobilisé contre la peine de mort, la prison et actuellement l’affaire Mumia Abu Jamal, le journaliste afro-américain, qui depuis 17 ans pourrit dans le couloir de mort d’une prison de Pennsylvanie. En fin de matinée, les intellos pouvaient s’exercer leurs neurones autour de débats sur l’identité, l’économie informelle et la mondialisation, le commerce et la solidarité internationale, juste avant les premiers sons venant de la scène située au milieu du village atypique. Plus que sur la grande scène de la Mosquée, légèrement en retrait, c’est ici, qu’eurent lieu les grands moments. Les alliances inédites, comme celle de Celso Machado, le Brésilien, et Qiu Xia He, la Chinoise. Résidant tous deux à Vancouver, au Canada, ils travaillent depuis deux ans un dialogue à cordes où avec son luth, l’Asiatique intègre très subtilement les mélodies rythmées et les excentricités musicales du Sud-Américain.  » Tout a commencé par des improvisations. J’essayais de suivre ce qu’elle me proposait, dit Celso. Ensuite, chacun c’est imprégné de la culture de l’autre. Ça, c’est du travail et c’est long.  » Multi-instrumentiste, le Brésilien est un habitué du festival, une figure, et n’a cessé, tout un long de la manifestation, de renouer ce genre d’expérience, la plupart du temps en improvisation totale. Avec Renée La Caille, l’accordéoniste malgache, le Marocain Camel Zékri à la guitare et avec Annie Flore Batchiellys, la chanteuse gabonaise, qui d’ailleurs, au cours d’une improvisation avec Qiu Xia He, la luthiste chinoise, offrit à l’auditoire intimiste des Arcades ses vocalises afro-jazz.
La scène de la mosquée par contre fut un échec. Après l’annulation des Gnawa et de Ray Lema, les spectateurs n’ont eu droit qu’à un fade et hautain Faudel, de soporifiques voix corses, un encore plus soporifique Orlando Maraca Valle de Cuba et un mitigé Massilia Sound Système. La venue d’Occitania, le collectif régional occitan dont fait partie le groupe marseillais, occasionna d’ailleurs une vive polémique sur le régionalisme lors de la conférence de presse.
Enfin, le festival fut l’occasion du présenter le travail de production de Daqui ( » d’ici « , en Occitan), le nouveau label de musique du monde distribué par Harmonia Mundi, qui se veut être l’expression discographie des Nuits Atypiques. Monté en 98, il compte six albums à son actif, dont celui de René Lacaille, Celso Machado et Mamar Kassey, le groupe nigérien. Prévu le premier jour avec Ray Lema, il se rattrapa sur la scène du village atypique. Très appréciée, leur musique, tout en étant fidèle à ses origines sahéliennes, laisse très nettement percevoir leurs influences urbaines. Accessible à tous, elle illustre un son africain urbain qui parvient de plus en plus à se situer musicalement.

///Article N° : 946

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Les images de l'article
Gnaouas marocains
Djiguiya & Yacouba (Mamar Kassey) © Olivier Habrial
Les danseuses du groupe Mamar Kassey © Olivier Habrial





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