Gerty Dambury : L’espace qui nous habite

Entretien de Stéphanie Bérard avec Gerty Dambury

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Dramaturge et metteur en scène guadeloupéenne, Gerty Dambury vit aujourd’hui en France où elle écrit et monte ses pièces de théâtre, la dernière en date étant Trames, qui met en scène la relation violente entre une mère et son fils dans un contexte social tourmenté. Rencontrée à Avignon en juillet 2008, l’auteur nous explique les origines de cette pièce – notamment la violence croissante dans les rues de Pointe-à-Pitre la nuit – et son désir de collaborer avec des artistes antillais. Sensible à « l’espace qui nous habite » (titre du numéro des Cahiers de Prospero qu’elle a dirigé en 1999), Gerty Dambury compare l’espace ouvert de la Guadeloupe à celui fermé de la région parisienne où elle met pour la première fois en scène l’un de ses textes avec tous les défis que suppose une telle aventure.

Vous travaillez actuellement sur la mise en scène d’une nouvelle pièce « Trames », dont vous êtes l’auteur et qui sera prochainement jouée à Paris. De quoi est-il question dans cette pièce ?
Je n’ai pas envie de raconter l’histoire. Ce qui est important pour moi, c’est que c’est un texte qui a une très vieille histoire car cela fait une dizaine d’années qu’il est là au fond de moi. Il prend sa source dans la lecture des textes de France Alibar, Se kouto sel, et le choc que j’ai ressenti à la mort de cet auteur en 1995 ou en 1996. C’est vraiment un texte qui offre une réflexion sur la condition de la femme et qui traite d’une relation entre une mère et son fils. Ça devient personnel car ce texte, je l’ai écrit pour mon fils qui joue dans la pièce. A un moment donné, il était en tel doute sur ses capacités de comédien que j’ai eu envie de lui dire que si on travaillait ensemble, je pourrais lui montrer qu’il a des capacités de comédien que j’admire non pas en tant que mère mais en tant que personne aimant le théâtre. Il a certes encore beaucoup de travail à faire mais pourquoi ne pas faire ce travail ensemble ? Voilà l’histoire de Trames.
Cette relation mère / fils se trouve au cœur même de l’intrigue de la pièce qui traite de relations familiales tendues et d’un dialogue difficile à établir. Avez-vous puisé votre inspiration dans une expérience personnelle vécue ou une réalité sociale connue ?
Au départ, c’est un texte qui était à deux voix et que j’ai transformé par une série de défis. Le premier c’est que lorsque j’ai fini d’écrire ce texte, je l’ai proposé à Philippe Adrien ; je voulais faire la mise en scène tout de suite car je voulais travailler avec mon fils. Il m’a répondu qu’il aimait beaucoup le texte mais que c’était trop fermé sur soi, trop intimiste dans cette relation mère-fils. Je ne voyais pas du tout ce texte comme intimiste car c’est aussi lié à la situation de la jeunesse guadeloupéenne, un sujet qui me travaille depuis un moment car il apparaît dans trois de mes textes. Cela apparaît dans Confusion d’instants, dans Enfouissements et dans Trames, et aussi dans un texte poétique « Nuit pointoise » qui va être publié dans un recueil de textes de plusieurs poètes antillais qui va sortir en novembre. « Nuit pointoise », c’est précisément ça : que reste-t-il de ma ville que ces hommes aux pieds drapés de plastique bleu, ces jeunes qui déambulent dans les rues et qui s’adonnent à la drogue, au krak, une ville où les gens disent qu’ils ne sortent pas la nuit dans Pointe-à-Pitre car c’est dangereux et l’on risque de se faire agresser, parce que des femmes, même âgées, se font violer. C’est ma ville, j’y suis née et j’y ai grandi. Je suis particulièrement attachée à Pointe-à-Pitre. Ce que cette ville est en train de devenir m’interroge. Je ne trouvais donc pas que Trames était un texte fermé et j’ai donc décidé de faire émerger ce que Philippe Adrien n’avait pas vu. Il m’est alors apparu un personnage, une femme qui s’appelle « la femme sur le boulevard » et qui est très précisément liée à un souvenir que j’ai car j’ai vécu à Pointe-à-Pitre en 1995-96 quand je suis revenue aux Antilles et que j’ai habité à nouveau dans la maison familiale. Juste sous mes fenêtres, il y avait un couple et j’entendais la femme qui disait : « Tu me fais mal, tu me fais mal ». Je regardais par les persiennes et je m’apercevais qu’il y avait un homme qui lui tordait les mains, les doigts. Pratiquement toutes les nuits, deux femmes se battaient pour un homme, toujours des histoires de drogués ; je me rappelle aussi une autre dont on a retrouvé le corps dans un immeuble, dans un dépôt à ordures. Tout ça, c’est dans la pièce et je l’ai fait émerger en faisant apparaître ce personnage de femme dont je me souviens et qui n’était pas née en Guadeloupe ; j’entendais à sa voix, à son accent qu’elle n’était pas du pays tout en étant noire sans être née là. Il y a donc aussi dans cette pièce quelque chose sur ces jeunes qui sont nés en France et qui rentrent espérant trouver quelque chose mais qui ne retrouvent pas les repères qu’ils espèrent car la famille ne les accepte pas comme ils sont et ils se retrouvent alors dans la rue. Pointe-à-Pitre est donc là et ce n’est pas une pièce qui est fermée sur elle-même. Ce n’est pas une pièce intimiste. C’est une relation entre une mère et un fils mais autour il y a la vie dans la ville, et ce que fait ce garçon quand il n’est pas chez sa mère. Ils se rencontrent deux fois par semaine et entre-temps il vit dans la ville. Comment apparaît cette ville et que s’y passe-t-il ?
Vous mettez en scène votre propre texte. Quels sont vos choix en matière de distribution et de scénographie ?
J’ai proposé dans un premier temps le texte à une comédienne qui m’a dit qu’il ne lui semblait pas que le rôle de la mère lui convienne. Sur le conseil de plusieurs personnes, j’ai donc proposé ce rôle à Firmine Richard. Ce qui m’intéresse dans cette mise en scène c’est le travail avec trois comédiens que je connais bien et que j’ai vus dans plusieurs pièces : Firmine, Martine Maximin et Jalil mon fils que je connais pour l’avoir vu jouer dans d’autres pièces que dans les miennes. J’avais envie de faire émerger quelque chose que je perçois chez eux mais que je n’ai pas encore vu sur le plateau parce que je les connais intimement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été bien dirigés mais que quelque chose que j’aime chez eux, je ne l’ai pas encore vu sur le plateau. Donc j’ai envie de travailler avec eux. Je me suis également entourée d’une équipe de complices, Catherine Calixte (scénographe), Jacques Cassard (son), Anthony Marlier (lumières). Les comédiens se retrouvent donc plongés dans un univers qui leur rappelle leurs origines mais qui, en même temps, se distancie de ces origines car je travaille beaucoup avec eux sur un espace assez peu encombré, pour ne pas dire, vide.
Vous avez jusqu’à présent monté toutes vos pièces en Guadeloupe. Quel effet cela fait-il de mettre en scène « Trames » en France ?
C’est beaucoup plus difficile pour moi de monter des pièces en France pour de nombreuses raisons. En Guadeloupe, j’ai un réseau, je connais beaucoup de gens, j’ai grand plaisir à travailler avec eux et je crois qu’ils m’aiment bien. Je suis chez moi. Ici, j’ai des problèmes avec l’espace fermé. C’est pourquoi j’avais dirigé un numéro des Cahiers de Prospero sur « l’espace qui nous habite ». J’ai beaucoup d’interrogations sur l’espace fermé et j’ai d’ailleurs eu des difficultés à rentrer dans le travail de Trames. En Guadeloupe, lorsque je partais travailler, je traversais un espace ouvert – souvent entre Pointe-à-Pitre et Basse-Terre – je voyais le paysage, la mer, les gens en mouvement, les voix qui se hélaient et ça se ressentait dans le travail que je faisais. J’essaie de retrouver l’espace ouvert dans un espace fermé. C’est un peu difficile à expliquer, mais c’est ce que je ressens intimement au fond de moi. Trames est la première pièce que je mets en scène en France. J’ai toujours mis en scène en Guadeloupe et c’est donc vraiment un challenge pour moi parce que je ne suis pas sur mon territoire. Mais j’ai décidé de le faire non pas pour moi car si ça n’avait été que pour moi, je ne l’aurais pas fait ; il y a trop de choses autour, trop de compagnies, trop de spectacles merveilleux, il y a aussi la recherche de lieux, le coût de location des lieux de répétition, une législation beaucoup plus prégnante ; ici il y a tellement de contraintes administratives qu’on a envie d’abandonner ; il y a aussi une réduction des capacités financières. Je le fais parce que je ne suis pas seule, j’avais envie de redonner de l’espoir, de l’envie, du courage à ceux qui sont autour de moi. Mais cela me demande énormément, ça m’angoisse beaucoup et ça m’empêche de dormir. Mais j’espère que ça se fera. Pour l’instant, ça se passe bien ; j’ai été accueillie à Montreuil en résidence de création, donc je n’ai pas eu de problèmes de location de lieu de répétition, je suis soutenue par une association où les gens sont très impliqués, j’ai des comédiens qui sont totalement avec moi ; on a été retenu pour l’aide à la création sous condition qu’on ait vingt représentations. Ca se passe plutôt bien comparé à d’autres compagnies. J’ai choisi de le faire donc j’irai jusqu’au bout, mais je n’ai pas choisi de quitter la Guadeloupe pour venir mettre en scène en France.
Est-ce important pour vous de mettre en scène vos propres textes ?
J’ai peur de mettre en scène les textes des autres. J’aime beaucoup le travail de mise en scène, le travail avec les comédiens, la réflexion sur l’utilisation de l’espace. J’aime le fait que ce soit un art total qui réclame un travail sur le rythme, sur la musicalité, sur l’espace sonore et physique, sur la psychologie, la peinture, les lumières. Tout ça mis ensemble fait que c’est exigeant. Le travail de mise en scène pousse à aller tout le temps découvrir d’autres univers. Dans ce cadre-là, ça me panique moins de mettre en scène mes propres textes que de mettre en scène les textes des autres. Pour Trames, c’est un peu différent car je suis assez effrayée. J’ai mis en scène des textes poétiques, Saint John Perse par exemple ou Césaire ou Damas, mais j’ai peu mis en scène les textes des autres. Je décide aussi de mettre en scène mes textes car il y a quelque chose d’un peu frustrant dans le travail d’écriture théâtrale qui est que si un texte n’est pas mis en scène, il est quasiment inexistant. Par conséquent, pour lui donner vie, il faut passer par le plateau. Je redonne une deuxième vie à mes textes après les avoir écrits.
Pensez-vous à la mise en scène quand vous écrivez une pièce ?
Non, quand j’écris, j’écris simplement l’espace qui me vient au moment où il me vient. Mais quand je mets en scène, l’espace que je vais utiliser peut-être totalement différent de celui que j’ai écrit. Je n’écris donc pas en tant que metteur en scène. Quand on travaille sur le théâtre, on travaille forcément sur l’image. Par conséquent, il y a quelque chose qui a à voir avec ce qu’on prévoit sur le plateau. Mais cela ne veut pas dire que le travail de mise en scène qui suivra s’arrêtera à ce qui a été écrit dans le texte. Bien sûr je vois des images et ces images, je les mets dans ce que j’écris. Lorsque je mets en scène, il me vient d’autres images qui ne sont pas dans le texte d’origine. Si le texte est édité, j’aime qu’il soit édité à partir du travail de mise en scène. Je pense à un texte comme Carêmes qui n’était pas du tout le texte que j’avais écrit lorsqu’il a été monté. Je l’ai monté totalement différemment. S’il était publié, j’aimerais qu’il le soit tel qu’il est maintenant dans ma tête après le travail de mise en scène. Pour Trames, qui va être publiée, ce que les gens ont lu n’est pas du tout ce qui va être publié car ce sera ce sur quoi on a travaillé pendant la mise en scène.

Avignon, le 26 juillet 2008.///Article N° : 9353

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