BD et dessin de presse : vers une autonomisation progressive ?

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Un peu partout dans le monde, bon nombre de caricaturistes et de dessinateurs sont redevables à leurs premiers géniteurs que sont les journaux. La presse pourrait être, pour la BD, un passage obligé consacrant celle-ci dans un format pérenne malgré l’utilisation éphémère que le lecteur fait d’un périodique.

La presse qui a traditionnellement publié de nombreux dessinateurs a toujours entretenu une relation étroite avec le dessin et plus précisément le strip (1) qui est devenu un argument de vente et de concurrence pour bon nombre de journaux aux États-Unis puis en France. La révolution industrielle au XIXe s. en Europe s’est toujours apparentée à « l’apparition de la presse populaire en France, en Angleterre et aux États-Unis, prélude nécessaire à la naissance de la bande dessinée. » (2) Les suppléments en couleurs sont devenus, pour la première fois, le support de la bande dessinée : « On peut situer son émergence historique aux États-Unis, à la fin du siècle dernier, et plus précisément encore, dans le contexte de lutte que se livre Hearst (le « Citizen Kane » d’Orson Welles en 1940) et Pulitzer, le premier, propriétaire du World et le second, du Journal. Pour tenter de supplanter l’adversaire, chacun recourt aux suppléments du dimanche, en couleurs à destination de la jeunesse. » (3)
Ceci dit, nous pouvons nous poser des questions sur une éventuelle prise en charge sur cette transition presse-album par l’industrie du livre, et ceci dans le but de capter l’intérêt du lectorat : un lecteur assidu du daily-panel ressemble-il à celui de l’album ? Ou encore, la publication en format d’album, est-elle une recherche d’une certaine légitimité auprès d’un grand public ?
Ceci revient à dire que la BD serait subordonnée à des intérêts commerciaux suscitant, au passage, un débat : « …qui oppose les tenants de la presse comme support d’élection de la bande dessinée et ceux qui considèrent l’album indépendant comme l’incarnation même du genre. » (4) L’exemple français incarne, d’ailleurs cette tendance, selon Thierry Groensteen :
« Le nombre d’albums croit très rapidement à la fin des années 1970. Le livre supplante la presse comme support de référence de la bande dessinée […] qui depuis le début du siècle était avant tout un phénomène de presse, est redevenue ce qu’elle était à l’origine : un produit de librairie. » (5)
Aujourd’hui, la BD est devenue un phénomène commercial qui semble s’éloigner de la presse qui faisait jadis sa notoriété. Pour Benoît Mouchart : « L’époque où la bande dessinée faisait les beaux jours des seuls supports de presse est révolue… La bande dessinée représente à présent le deuxième marché du livre en France. » (6) L’engouement pour la BD en France a dépassé toutes les espérances : « Depuis quelques années, la politique du flux tendu semble être devenue une sorte de credo dans la stratégie marketing des éditeurs de bande dessinée. Conséquence : les libraires voient les piles de nouveautés se succéder à un rythme de plus en plus effrén酠» (7)
Marshall met l’accent sur l’union qui s’est tramée, par la force des choses, entre l’industrie du livre et la BD : « la bande dessinée n’était pas seulement le mélange de la littérature et de l’art mais aussi de la technologie et du commerce. » (8)
De son côté, Jean Christophe Menu (9) commente l’émergence et l’omniprésence d’un standard de publication qu’il nomme le 48 CC (48 pages, cartonné, couleurs). Ces canons du genre contraignent le créateur de BD à rallonger ou, au contraire, raccourcir son récit pour qu’il puisse se fondre dans un moule. Pomier précise que la règle du 48 CC est : « une spécificité française. Il semble que le lecteur lambda s’accommode mieux d’un objet conforme à ses habitudes, évoquant par sa forme l’objet livre. » (10) Il souligne que ce standard restreint l’esprit d’inventivité du bédéiste et que : « la seule politique éditoriale qui vaille consiste à offrir aux créateurs le format et la présentation qui correspondent au propos qu’ils souhaitent développer. » (11) Il faut donc considérer la transition presse-album comme une étape de « prépublication » qui : « sous-entend pour les uns comme pour les autres que la publication de pages de bande dessinée dans la presse magazine ne saurait être que le prélude à la consécration en librairie et consacre l’opposition entre jetable et pérenne. » (12)
En abordant la BD francophone, Benoit Peeters remarque que : « l’immense majorité des albums de bande dessinée francophone repose à cet égard sur un fonctionnement conventionnel. D’un format voisin d’une feuille de papier A4, cartonnés et en couleur, les albums ont pour la plupart une longueur de 48 pages. »
Aujourd’hui, nous pouvons dire que le divorce est consommé entre la presse et la bande dessinée. Le dessin de presse ne pourrait être considéré comme un genre résiduel puisqu’il possède son propre public et beaucoup de journaux misent sur la caricature comme un condensé d’informations incontournable. Autant pour la BD qui alimente une industrie du livre dont le succès est parfois démesuré.

1. Bande horizontale composée d’une ou de plusieurs cases.

2. TILLEUIL, Jean Louis et Vanbraband, Catherine et MARLET, Pierre, Lectures de la B.D : théorie, méthode, applications bibliographiques. Paris, Académia, 1991, p.39.

3. Ibid.

4. POMIER, Frédéric, Comment lire la bande dessinée. Paris, Klincksieck, 2005, p.45.

5. GROENSTEEN, Thierry, La bande dessinée : une littérature graphique. Toulouse, Editions Milan, 2005, p. 16-17.

6. MOUCHART, Benoît, La bande dessinée. Paris, Le Cavalier Bleu éditions, 2004, p. 91.

7. Id., p.92.

8. MARSHALL, Rick, « Que faut-il inscrire sur le gâteau d’anniversaire ? ». Sous la direction de Thierry Groensteen, Le Collectionneur de bandes dessinées, hors-série, Les origines de la bande dessinée, printemps 1996, p.48.

9. Jean Christophe Menu, Plates-Bandes. S.l, L’Association, coll. « Eprouvette », 2005, p.45.

10. Cf. POMIER 2005, p. 48.

11. Id., p.50.

12. Id., p.49.///Article N° : 9087

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