Waramutseho ! (Bonjour !)

De Bernard Auguste Kouemo Yanghu

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La force émotionnelle incontestable de ce court métrage du franco-camerounais Bernard Auguste Kouemo Yanghu tient dans ses silences. Il pourrait être un cas d’école pour illustrer combien le non-dit est plus fort que le dit, le suggéré plus fort que le montré. Et combien c’est le sujet lui-même qui peut imposer ce traitement.
Deux amis d’enfance rwandais, Kabera et Uwamungu, vivent ensemble en France à Toulouse, l’un travaillant l’autre étudiant, et s’entendent à merveille quand tout à coup, le silence les sépare. Ils tombent à distance dans le gouffre du génocide : l’un sait ce que l’autre ne sait pas mais qu’il ne peut lui dire.
Ce silence, il est d’abord celui de l’effroi au regard de ce que les rares images de télévision révèlent. Puis il est celui de la distance, de l’ignorance, de ne pas savoir ce qu’il advient de leurs proches. Puis il est celui de cet abyme que la terreur fait naître en chacun. Puis, il est celui de l’indicible, qui piège la relation, brise les liens et engendre la violence. Il est alors le douloureux écho du silence des morts. Enfin, il est celui de l’inconnu : comment vivre avec ? La fin restera ouverte, car ça, c’est notre problème à tous.
Il est frappant de voir dans ce parcours combien le génocide reconstruit le triple gouffre de la traite négrière qu’évoque Edouard Glissant : l’ignorance de la direction et du pourquoi, la mer vécue comme un abyme, l’inconnu dans le pays où l’on arrive. « Les Peuples qui ont fréquenté le gouffre ne se vantent pas d’être élus. Ils ne croient pas enfanter la puissance des modernités. Ils vivent la Relation qu’ils défrichent, à mesure que l’oubli du gouffre leur vient, et qu’aussi bien leur mémoire se renforce. »*
C’est tout cela que porte ce petit film, sans prétention autre que celle d’évoquer ce qui divise avec la distance nécessaire pour pouvoir bâtir du lien. Il a l’imparable intuition d’établir cette relation entre la forme et le fond, comprenant que c’est dans le hors champ, dans l’ellipse, dans le non-dit que le cinéma fait le mieux sentir les choses. C’est ainsi que naît l’émotion car le spectateur est libre d’y mettre ce qu’il porte au fond de lui, un écho de ses solitudes et de ses blessures, et de son désarroi face à la violence du monde.
Un simple échange de regards suffit alors à suggérer que l’espoir est dans la reconnaissance de ce qu’on partage.

* Edouard Glissant, Poétique de la Relation, Poétique III, NRF-Gallimard, 1990, p.20.///Article N° : 8974

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