Namur 2009 : cinéma miroir

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Le Festival international du film francophone de Namur, qui tenait sa 24ème édition du 2 au 9 octobre 2009, reste un festival convivial et chaleureux. Dans les films africains programmés, la question lancinante du regard sur soi…

Durant une semaine, la ville de Namur, capitale de la Wallonie, vit au rythme d’une programmation éclectique de 142 films d’auteurs venus des quatre coins du monde francophone. Le cinéma belge est sans surprise à l’honneur – et au regard du programme, on peut constater qu’il se porte bien, avec une production qui n’a jamais été aussi importante. Mais le FIFF se donne comme objectif de faire découvrir à l’international des films qui reflètent toute la diversité de la planète francophone. A juger par les files d’attente devant l’Eldorado et le Caméo, les deux belles salles de cinéma où se déroulent les séances, le pari est réussi : le public est bel et bien au rendez-vous.
Bien que loin d’être majoritaires, les films du continent africain, de la diaspora, ou des jeunes générations issus de l’immigration africaine sont bien présents dans toutes les sections du festival cette année, grâce notamment à une production maghrébine actuellement plus abondante que celle de l’Afrique sud-saharienne. Mais ce qui est peut-être avant tout intéressant à Namur est le fait que, de par la nature même du festival, ces films sont avant tout présentés en tant que films francophones. La nuance est importante, comme le souligne le réalisateur Moussa Touré, présent au FIFF cette année avec deux nouveaux documentaires, Les Techniciens nos cousins et Xali Beut Les yeux grands ouverts, ainsi qu’en tant que parrain de l’atelier « De l’écrit à l’écran ». (1) Le FIFF permet ainsi aux films africains de prendre leur place au coeur d’une cinématographie internationale, plutôt que d’être cantonnés dans des sélections ou des festivals dédiés à l’Afrique, certes destinés à mettre en lumière ces films, mais qui au même temps contribuent paradoxalement à les enfermer dans une spécificité qui à force devient réductrice.
Les quelques films vus durant mon court séjour ont en commun d’aborder, chacun à leur manière, la question de l’identité, de l’appartenance et du regard sur soi.
Présenté en ouverture du festival, Les Barons, premier long-métrage du Belge Nabil Ben Yadir, est une comédie déjantée, enlevée, où ça « tchatche » et blague à cent à l’heure, mais aussi un film touchant où l’humour cède la place à des scènes d’une réalité bien plus écorchée. Hassan, Mounir et Aziz, trois amis d’enfance sont « les barons » de leur quartier populaire. Leur philosophie : « Chaque humain naît avec un crédit de pas et chaque pas te rapproche de la mort, donc il faut en faire le moins possible ». Professionnels de la zone, ces ados attardés trouvent le sens de leur existence dans le confort du groupe. Or Hassan se cherche, tiraillé entre son désir de devenir comique professionnel, entre les pressions d’un père immigré avec qui il n’arrive pas à communiquer (le sempiternel conflit des générations exacerbé ici par les différents vécus culturels), qui souhaite que son fils trouve enfin un vrai métier (chauffeur de bus) et se marie, et la pression des amis de ne rien faire et de rester solidaire avec le groupe. Il tentera envers et contre tout d’affirmer ses propres rêves, à trouver sa voie, à définir en somme sa propre identité.
Autre film centré sur l’amitié, Waramutseho ! (Bonjour !), le très réussi court-métrage du franco-camerounais Auguste Bernard Kouemo Yanghu, évoque le génocide rwandais. De facture réaliste, plutôt classique dans sa forme, la force du film vient de la manière dont le réalisateur réussit à aborder le génocide sans en montrer directement la violence, tout en évitant de rentrer explicitement dans l’opposition Tutsi-Hutu à laquelle renvoie automatiquement la tragédie rwandaise. En situant l’histoire en France – deux étudiants rwandais vivant ensemble à Toulouse apprennent par les informations et par les rares coups de fils passés au pays le chaos qui s’y déroule – le film dépeint la manière dont le génocide, ici vécu à distance, influe sur les rapports entre Rwandais. Cette distance, ce choix de ne pas s’étaler dans la démonstration, donne une sobriété au film qui est au final d’autant plus émouvant. Et sous-jacente à l’histoire est la question : les protagonistes vont-ils pouvoir dépasser les clivages que leur appartenance pose dans ce contexte, où vont-ils pouvoir affirmer leur amitié et finalement leur propre identité ?
Et finalement, coup de cœur personnel de ces premiers jours du festival, Xali Beut les yeux grands ouverts, le très poétique film documentaire de Moussa Touré, qui est certainement son film le plus personnel et méditatif à présent, soulevant en filigrane de nombreuses interrogations. Racontant dans une belle voix-off en wolof que le premier film que ses parents l’ont emmené voir à l’âge de six ans était un film indien, un film « de rêves et de danses », Moussa Touré part en Inde découvrir de ses propres yeux si ces rêves et danses existent vraiment. Le film est littéralement un regard. Caméra à la main, voyageant de Bombay à Bénarès sur le Gange en train, arpentant les ruelles de la ville, Moussa Touré regarde avec sa caméra ; les images sont souvent belles, flottantes, sa voix off est dans la contemplation, le rythme du film hypnotique. En même temps, ceux qu’il filme le regardent également, intensément, le regardant devenant le regardé – « Les regards reprennent et fusent de partout. On me regarde. On me renifle presque » – jusqu’à la scène où un vendeur dans une échoppe finit par le photographier et Moussa apparaît lui-même à l’image. Qui regarde qui ? Loin des images des films de Bollywood, loin des images touristiques, l’Inde que filme Moussa Touré s’approche davantage de l’Afrique. De nombreux Indiens croisés pensent d’ailleurs que Moussa est Sri Lankais ou de l’est de l’Inde. Cela crée un jeu de distance et de proximité, d’étrangeté et de familiarité. Qui est l’étranger ? Au fur et à mesure des conversations, certains habitants font part de leurs impressions d’Afrique, glanées le plus souvent à la télévision : sida, jungle, beaux paysages. Ces clichés sur l’Afrique renvoient aux clichés sur l’Inde véhiculés par le cinéma bollywoodien, soulevant ainsi la question de la représentation de soi, de l’autre qui a toujours été au cœur du cinéma africain. Si le film commence « Je m’appelle Moussa Touré. Je suis Sénégalais », Moussa répète à chaque rencontre son prénom, presque comme une affirmation de soi. Et le film se termine sur le plan très touchant d’une petite fille dans la rue scandant « Moussa ! Moussa ! » que désormais tout le monde reconnaît ; l’étranger l’est devenu moins. Son voyage en Inde à la rencontre de l’autre devient ainsi un regard sur soi, le film une forme de miroir…

1. Le FIFF est aussi l’occasion de plusieurs rencontres professionnelles destinées à aider des projets de film francophones à voir le jour. L’atelier « De l’écrit à l’écran » permet cette année à quatre auteurs-réalisateurs – Mohamed Bahri Ben Yahmed (Tunisie), Alaa Eddine Aljem (Maroc), Souad Douibi (Algérie) et Adama Salle (Burkina Faso) – de retravailler avec des professionnels du cinéma leurs scénarios de court-métrage.///Article N° : 8948

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Les images de l'article
"Les Barons", de Nabil Ben Yadir
"Xali Beut Les yeux grands ouverts", de Moussa Touré
Bernard Auguste Kouemo Yanghu © Melissa Thackway
Présentation du film "Les Barons" à la soirée d'ouverture © Melissa Thackway
Moussa Touré © Melissa Thackway





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