Paroles et voix de femmes

Seconde et dernière partie des poèmes publiés le 3 mars 2009

à l'occasion de la journée de la femme du 8 mars 2009.
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Catherine Boudet

Chant de nuit

Le lagon reprend son heure au jour d’avant / C’est mon chant de nuit à cran de volcan et par sang de corail étoilé / Je dévoile l’eau bue qui n’a pas de mise et le sommeil me prend / Enfin pouvoir dormir une litanie d’étoiles au petit matin / Sur la pointe des pieds le poète entre dans ma vie et partout le soleil luit épousant la misère / Il sanctifie au plus offrant ce qui autrement serait poussière

Sur la blessure du monde

Je n’écris pas sur la blessure du monde / Je me tiens loin d’elle / De ses lèvres rouges / Il n’y eut qu’une seule peau entre le soleil et moi / J’avais entendu la terre porter à son terme une gésine de fleurs / Nous étions alors des enfants de porcelaine / Combler le trou de la pluie à présent / Le trou que la pluie a laissé

Sakyamuni

De leurs bouches de terre / Bordées d’encens de prière que la mer a lavé / S’épuisent les messagères en desseins avortés / Sakyamuni / Sans illumination / Nous veille / La flétrissure nous parle / Faite de jours tronqués / Sakyamuni nous veille / Et sa main nous renverse

Quand le matin a ouvert sa porte

Elle avait une classe folle, le bleu du ciel au bord des lèvres. Mais le bleu du ciel me direz-vous ne suffit pas contre la folie des hommes. Elle est partie quand le matin a ouvert sa porte et elle a dit : je vous vois venir muette mais je n’ai pas cette urgence archaïque des œuvres à piller. Solaire clémence ou saison de paille, je déserte pour de bon le désert de vos sens. Dans ce monde de limites je me fraie un regard, à travers le désert de vos cœurs dont l’écorce est tombée.

Edwige Aplogan

Je suis passée te voir
Te voir ?
te parler un peu
de parole essentielle
depuis que tu t’es tu.
Par-delà les silences
Je te dis, je te crie parfois.

Je suis partie à Anis pour te voir
te rencontrer ailleurs
te parler de toi de nous,
de ces deux-là
qui s’aimaient et se cognaient
et se riaient l’un de l’autre.

Je suis allée à Miel pour te voir
te dire que rien n’a changé
mais que je ne sais plus parler,
sentir, pleurer et dire.

Je suis revenue ici te voir
te dire me dire et te raconter
que tous mes voyages n’ont plus de départ
que mes au revoir sont sans joie
et mes parcours immobiles,
dans un océan de sang versé,
de doute indicible
et de certitudes bues.

Tu es resté
Tu es resté pour me voir
me dire qu’il faut partir
que le silence crée
mais que la nuit a l’odeur du soufre et du sang
que la nuit dans le silence,
a la mémoire des amours perdues.

Tu es parti
et je pars aussi
Mais quand partirons-nous ?
Que dis-je !
Quand nous reverrons-nous ?

Le présent et le futur s’entremêlent.

Fatoumata Fathy Sidibe

Nuit Noire

Nuit noire,
Nuit étoilée,
Dans la tiédeur du crépuscule terminal,
Dans ce silence de métal,
Les femmes allaitent.
La lune veille
Et baigne de sa lumière pâle
La terre d’où s’exhalent
Les relents d’un jour en déclin.
Un jour qui se tait
Pour avoir trop crié.
Sous l’aiguillon de l’obscurité
La misère hideuse
Se travestit en richesse
Devant les enfants
En quête de leur enfance.
Des enfants
En quête de leur enfance,
Des enfants aux yeux flétris par la désespérance.
Des enfants aux dos voûtés par l’attente.
Des enfants aux mains tendues vers l’aumônier
Des enfants aux pieds ensanglantés
Par la longue marche de la nuit vers le jour.

Nuit noire,
Nuit étoilée,
Sous la langue du conteur,
Jaillit comme un oiseau
Fuyant la solitude,
Le chant nègre.
Le chant des pêcheurs devant le filet vide.
Le chant de la mère devant sa casserole vide.
Le chant du paysan devant ses champs desséchés.
Le chant du père devant sa bourse vide et trouée.
Le doux chant de la mère qui jure au crépuscule
De cueillir la rosée du jour
Pour la désaltérance de ses enfants.

Mallaïl Lellel

Ma robe bogolan

Des doigts agiles l’ont tissée

Ma grand-mère me l’a offerte
J’avais seize ans

Seize saisons chantant la gaieté du p’tit matin
Seize saisons dansant la joie des amoureux jamais rassasiés

À seize ans le cœur dans les étoiles j’ai porté ma robe bogolan
J’entends encore le rire si frais si gai de mamie
Mamie aussi émerveillée que moi
Sa joie fusionnait la mienne
Nous nous regardions et esquissions des pas de danse
Le rire plus fort que tout nous dominait
Fous rires en cascades
Nous portions toutes les deux dans un bel élan la couronne du rire
Mamie si belle merci de cet infini trésor qui à jamais illumine mon cœur

Tanella Boni

Et ta raison fout le camp
tu n’as jamais rien compris à la vie
cela te revient de manière cyclique
tu ne sais plus
si tu dois te jeter par la fenêtre
enroulée dans les bras du rideau
appelé par le rythme du vent

Tu avais appris les lois
des mots clairs
des mondes complexes
des univers flous
l’art de faire un choix
parmi les dessins du jour

Et les empreintes de l’histoire
dessinées à fleur de peau
te rongent les tripes
un psychanalyste aurait donné
sa langue au chat

Et tu ne sais plus
comment noyer ce poids
qui te pèse si lourd
comme tes paupières
incapables de se fermer la nuit
tes paupières
transformées en veilleuses
au chevet de ta vie
battue en brèche

Mais les premiers morts
ne tomberont pas
du rang des femmes qu’on assassine
sans le savoir
celles dont les Anges bafouent
l’honneur au grand jour
comme si la terre tournait toujours
autour du soleil
sans l’alternance des nuits et des jours

///Article N° : 8432

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Les images de l'article
Fatoumata Fathy Sidibé © DR
Catherine Boudet © DR
Tanella Boni © DR





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