Nûba d’or et de lumière

D'Izza Génini

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Dans la continuité de ses nombreux films documentant le patrimoine musical marocain rassemblés dans Maroc corps et âme (cf. critique n°3593 sur ce site), Nûba d’or et de lumière s’attache à la musique arabo-andalouse dont la nouba serait la symphonie. La vision de ces musiciens alignés donne souvent l’impression d’une musique savante, ennuyeuse et guindée. Le propos d’Izza Génini est de montrer qu’elle est au contraire profondément populaire. De fait, elle la filme en situation, sa caméra s’attardant sur des spectateurs transportés, qui adhèrent à la musique avec des gestes tendres et chantent avec les choristes. Le rythme nous gagne et l’envie de danse se précise, mais le film ne nous montre pas l’utilisation des noubas dans le cadre familial, où la danse est commune. Les noubas ont des textes puisant dans la poésie persane très ancienne et des mélodies bien établies : seule l’interprétation change. C’est bien cet ancrage culturel en béton qui galvanise les amateurs de cette musique transmise au sein des familles et qui se regroupent au Maroc en associations très actives. On se souvient que c’est ce même ancrage qui donnait toute sa force à La Nouba des femmes du Mont-Chenoua d’Assia Djebar (1977).
Chez Assia Djebar, les textes chantés avaient le même statut que le piaillement incessant des oiseaux, les cris de pleurs ou de joie des enfants, les bêlements des moutons ou des chèvres, invitant à une autre façon de regarder et d’écouter le chant des femmes en les fondant dans le réel. Chez Izza Génini, les moments hors concert inscrivent eux aussi la production musicale dans une temporalité contemporaine. Elle illustre par ailleurs les chants d’amour des noubas par des figures poétiques. Que cela soit souvent des oiseaux ou des soleils couchants peut paraître suranné, mais ces images sont signifiantes aujourd’hui pour ceux que cette musique concerne. Elle adopte ainsi les codes de communication du public des noubas, conférant à Nûba d’or et de lumière une cohérence propre à son objectif de film-mémoire.
Cette double inscription dans le patrimoine et le présent restaure une vision contemporaine d’une musique souvent considérée comme dépassée et figée. Le fait que les noubas ont pris forme durant l’âge d’or de la civilisation arabo-andalouse de l’Espagne médiévale, un moment où l’échange entre les cultures est le plus fort, n’est pas neutre non plus pour le temps présent : comme dans tous ses films, Izza Génini met en exergue la richesse des échanges culturels et leur importance dans le développement du monde arabe. Toutes proportions gardées, elle s’inscrit ici sur les traces de Youssef Chahine qui avait situé Le Destin dans l’Andalousie arabe.
On ne saurait assez rappeler combien ces différents niveaux de référence et d’analyse font de ce travail de mémoire un jalon essentiel pour la compréhension de la culturelle marocaine et de son inscription dans la culture mondiale.

///Article N° : 8200

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