entretien de Sylvie Chalaye avec Binda N’Gazolo

Abidjan, février 1999
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Mettre en scène Dieu et son royaume, n’est-ce pas une entreprise périlleuse ?
Le gros problème c’est que l’auteur voyait des humains faisant véritablement un voyage chez Dieu. De mon point de vue Dieu est une idée, ce n’est pas un être anthropomorphe, on ne peut le voir. Je ne pouvais pas représenter sur scène quelque chose que je ne peux même pas imaginer. Mais je pouvais représenter sur scène ceux qui parlent au nom de cette idée : des êtres humains qui se font passer pour Dieu sur terre. En fait, on a jamais vu Dieu sur terre, mais on a toujours rencontré des humains qui viennent nous dire Dieu a dit ceci. Mes personnages ne sont finalement que des êtres humains.
Vous avez donc écarté l’option surréaliste. Vos personnages n’accomplissent pas un voyage extraordinaire vers le paradis.
Le parti pris était celui de la manipulation mentale. C’est un délire, on a jamais bougé de la planète. On leur a fait croire qu’ils étaient au paradis alors qu’ils se sont fait manipuler par un imposteur. J’ai beaucoup discuté avec l’auteur à ce sujet, car je souhaitais représenter un être humain qui se prend pour Dieu. Mais ce choix n’exclut pas le surréalisme, car c’est tout de même un voyage dans l’imaginaire des gens.
Mais votre personnage n’est pas seulement un imposteur qui se ferait passer pour Dieu. On peut y voir une émanation de l’ordre totalitaire, l’image du  » big brother  » par exemple.
J’aime beaucoup la littérature d’anticipation. Certains aspects de la pièce me faisaient penser à L’Incident Jésus de Frank Herbert. Ce sont des humains qui ont mis au point un ordinateur pour essayer de le pousser jusqu’à l’absolu, jusqu’à ce que l’ordinateur intègre la conscience totale, et cet ordinateur finit par devenir une divinité. C’est l’être humain qui se pose le problème de Dieu
Quelles images vous ont inspiré ?
Les images des sectes. Tous ces faits divers récents : le Temple solaire, les Enfants de Dieu, etc. En Afrique l’essentiel du pouvoir politique est contrôlé par des forces occultes, des cercles mystiques, métaphysiques ou philosophiques… D’une manière ou d’une autre les hommes de pouvoir sont manipulés par des éminences grises, des conseillers, des marabouts, des astrologues, qui prétendent lire l’avenir, donner des forces surnaturelles… il y a toujours une sphère d’influence autour d’eux. Je voulais une métaphore de ce genre d’embrouille !
C’est pourquoi vos personnages bibliques sont aussi très parodiques.
Ce sont tous de petits escrocs qui se sont réunis autour d’un plus grand et qui ont pris des noms bibliques. Ils se prennent tellement au sérieux qu’il se prennent eux-mêmes à leur propre jeu. Ce sont des mythomanes qui croient à leurs propres mensonges.
Pourquoi le personnage du libérateur est-il une femme ? Une vraie Lilith qui lève le poing et brandit son cache-sexe !
On dit chez nous que quand Dieu s’est fatigué, il a délégué son pouvoir aux femmes. Alors qui d’autre que la femme pouvait contester son pouvoir à Dieu ? Au Togo, il y a quelques années, il y avait eu ce mouvement de révolte des femmes qui avaient menacé de descendre toutes nues dans la rue… Un femme qui montre ses fesses, c’est une malédiction en Afrique.
Il y a aussi beaucoup d’humour dans le spectacle…
Même les situations les plus tragiques, quand on les regarde avec un certain recul, on s’aperçoit qu’elles contiennent des choses cocasses. Surtout dans ce genre de psychose collective. Il y a des esprits manipulables ; certains le sont moins et cela finit par créer des situations comiques. Il s’agissait de montrer que quand les choses atteignent ce niveau, on est dans le ridicule.

///Article N° : 811

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