«  »Né gros et beau » : histoire d’un clip

Entretien de Christine Avignon avec Idy Oulo

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Idy Oulo est né vers 1977, au sein des peuples Fali et Peul, à Mayo-Oulo, au nord du Cameroun. Rien ne le prédestinait à devenir musicien. C’est en découvrant les rythmes traditionnels de la savane, joués par les griots et bergers de son village, qu’il a compris quelle était sa vocation. Le premier instrument qu’il touche est la garaya (luth à deux cordes), chez sa grand-mère. Il a ensuite fabriqué une guitare avec des morceaux de bois et des câbles de frein recyclés. La suite de son histoire est une accumulation progressive de succès, dû à sa conviction et son acharnement. Il gagne son premier prix en 1988, grâce à l’interprétation de tubes d’Alpha Blondy et Francis Bebey. Il fait ensuite partie du groupe « Faadah Kawtal » (les Messagers de l’Union) qui a notamment participé à la musique du film « Le Maître des éléphants », de Patrick Grandperret). C’est avec ce groupe qu’il participe à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde de football en France, en 1998.
En 2000, il est invité au festival « Musiques Métisses » à Angoulême, et décide finalement de s’installer dans cette ville, puis d’y démarrer une carrière solo. Il a sorti son premier album, « Ténèbres », en 2005. « Né gros et beau », une des chansons de l’album, a donné naissance à un clip à la fois drôle et ironique, que l’on peut aujourd’hui voir sur le site d’Idy Oulo. (*)

La chanson « Né gros et beau » est en fait une reprise. Pouvez-vous nous en parler ?
En effet, c’est Donny Elwood, un guitariste-chanteur camerounais qui a écrit cette chanson. Je l’ai connu à mes débuts, lorsque je jouais avec mon ancien groupe, les Faadah-Kawtal, dans les cabarets de Douala. La chanson de Donny s’appelait « Négros », en référence aux Nègres, et j’ai eu envie de faire un jeu de mot avec ce titre, voilà, c’est comme cela que c’est devenu « Né gros », et puis j’ai rajouté « beau »…
Pourquoi avoir voulu réaliser un clip pour cette chanson ?
Durant ma jeunesse au Cameroun, j’ai toujours fréquenté des Blancs, et je ne connaissais pas le racisme. C’est en arrivant en France que j’ai découvert que la couleur de peau pouvait avoir autant d’importance. J’ai voulu faire un clip sur cette chanson en particulier, parce que je trouve que c’est vraiment un sujet d’actualité, et il est grand temps que cessent tous ces préjugés ridicules à l’égard des Noirs. C’est pour cela par exemple que dans le clip on voit un jeune homme noir qui présente son passeport à un policier, or il s’appelle…Alphonse Martin ! (et non pas Mamadou ou Demba…).
Est-ce que le projet a pu facilement se mettre en place ?
Comme tout projet, cela n’a pas été facile, mais en Charente j’ai été accueilli à bras ouverts par la population, et notamment deux jeunes filles, Marie Georgie et Mélanie Tardif, ainsi que les élèves du LISA (lycée de l’image et du son d’Angoulême). Ils ont flashés sur cette chanson, et avec l’aide du LISA et du Conseil Général d’Angoulême, nous avons réalisé le clip.
Où a eu lieu le tournage ?

À Bordeaux, et aussi dans certains quartiers dits « chauds » d’Angoulême. Les scènes d’intérieur ont été tournées au LISA. Il y avait une quarantaine de bénévoles qui étaient présents sur le tournage, et les différents figurants se sont vraiment comportés en professionnels. Cela a été un moment merveilleux pour moi, ce tournage, même si on travaillait comme des esclaves, de 7h00 à 22h00, pendant trois semaines….
Comment avez-vous ensuite procédé pour la diffusion ?
On a sorti un single avec la vidéo. Lors de mon premier concert en Charente après la sortie de ce single, des jeunes qui étaient là ont repris la chanson en chœur, et ils voulaient absolument avoir le CD. Comme j’en avais sur moi, j’ai commencé à les distribuer et à les dédicacer, et c’est comme ça que tout a démarré. Le clip a commencé à circuler sur le net, d’abord sur des blogs, puis ensuite sur quelques chaînes musicales de la TNT (Europe2 TV, NRJ 12…). Il ne passait pas en boucle malheureusement, et pas assez souvent pour que mon message puisse être largement diffusé… Enfin, aujourd’hui on peut encore le voir sur des chaînes américaines et canadiennes, ce qui est plutôt bien !
Était-il possible de le voir sur des chaînes de télévision au Cameroun ?
Oui, bien sûr, sur la CRTV, Canal 2, ou encore Équinoxe. Il passe toujours aujourd’hui d’ailleurs.
Quel a été l’accueil du public ?
Formidable, et je m’en réjouis. Parfois on se demande pourquoi on fait ce métier, qui est dur, mais lorsque l’on reçoit des messages d’encouragements des fans, ou que des gens nous disent qu’ils aiment notre musique, les paroles de nos chansons, vraiment ça fait chaud au cœur. Sans parler de la scène, bien entendu, qui est aussi un moment riche d’échanges et de partage.
On peut aujourd’hui voir le clip sur votre site ou sur « You Tube », ce qui permet aux internautes de le découvrir, mais il n’est plus diffusé sur des chaînes de télévision en France. Que pourrait-on faire d’après vous pour améliorer la diffusion des clips des artistes africains ?

Vaste débat…peut-être que si les chanteurs des groupes africains étaient blancs ce serait plus facile… non, je rigole. Plus sérieusement, je suis de ceux qui croient à la réussite et au mérite, à force d’insister, on finira par voir plus de clips de groupes africains sur les chaînes françaises, j’en suis persuadé, mais cela prendra du temps…et d’ici là nous serons sûrement déjà bien diffusés en Chine et aux USA, comme cela commence à se faire maintenant d’ailleurs. Parfois on a vraiment l’impression que la France est à la traîne….
Dans cette chanson, vous mettez en avant de nombreux clichés sur les Africains. Pensez-vous que ce sujet soit encore « tabou », et que cela ait pu empêcher sa diffusion sur certaines chaînes nationales ?
Bien sûr, d’ailleurs ce n’est pas un hasard si les seules chaînes à l’avoir diffusé sont des chaînes du câble ou du satellite, et elles ne l’ont pas diffusé très longtemps. Il va couler encore beaucoup d’eau sous les ponts avant que l’on puisse voir ce genre de clips sur TF1 ou France 2, c’est évident… d’ailleurs je n’ai jamais été invité dans des émissions de télévision pour des chaînes nationales françaises, et si vous regardez bien, c’est rare de voir des artistes africains à la télévision… évidemment il y a Noah, mais c’est bien le seul, et ce n’est sûrement pas le musicien « africain » le plus représentatif…
Vous allez bientôt faire une tournée au Canada, alors qu’en France vous avez toujours du mal à trouver des endroits où jouer dans des conditions décentes. N’êtes-vous pas parfois découragé ?
Si, évidemment, cela m’arrive, mais même pas pour moi en fait, plutôt pour le monde actuel… En France on a souvent l’impression que l’on a affaire à des marchands d’art, plutôt qu’à des producteurs ou à de vrais programmateurs de spectacle. La plupart des professionnels du milieu sont plus intéressés par leur porte-monnaie que par la création, c’est triste. Heureusement il y a des gens ailleurs pour reconnaître la valeur des musiciens africains, et aussi certains journalistes en France qui font un vrai travail d’investigation et ne se contentent pas de parler uniquement des artistes qui leur envoient leurs CDs. Je suis un citoyen du monde, et mes musiciens viennent de France, d’Afrique ou du Brésil. Si la France ne s’intéresse pas à nous, tant pis, nous irons conquérir le monde !

(*) site de l’artiste : www.idyoulo.com///Article N° : 7569

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