Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure

D'Anne-Laure de Franssu

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Professionnels du cinéma, amateurs, militants et responsables d’associations, officiels, chercheurs, étudiants, le public a largement répondu à l’invitation de la CADE (Coordination pour l’Afrique de Demain), le 11 février dernier pour voir Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure, documentaire (71mn) d’Anne-Laure de Franssu et en débattre en présence de la réalisatrice. La projection a eu lieu dans une salle de la Mairie du 3ème arrondissement, à Paris.

Ce sont des images de femmes en marche qui passent au ralenti. Ces images plus ou moins floues de femmes ordinaires dans une rue d’Abidjan ouvrent ce documentaire pas comme les autres, Yere Sorôkô, en quête d’une vie meilleure d’Anne-Laure de Franssu (France, 2007). Mais où vont-elles, ces femmes, d’un pas si décidé ? Peut-être à la recherche d’elles-mêmes, en quête de moyens de survie mais aussi de bonheur. Vers la fin du film, un homme parle de sa ville, on le voit en compagnie de sa mère à Odienné, au nord de la Côte d’Ivoire. Il raconte en quelques mots la dureté de l’exil en France et dit combien il aime revenir dans cette ville de plus en plus déserte, cette ville et ce pays qui, malgré tout, ne le quittent pas. Entre ces deux séquences se tient la trame du documentaire qui met en scène les multiples facettes de la quête de soi et les retrouvailles avec l’autre au moment où celui-ci (celle-ci, nommée Mariam) peut manquer à l’appel et intensifier la quête. C’est une expression propre à l’univers de celles et ceux qui parlent dans ce film qui lui donne son titre qui signifie, littéralement : l’expérience fondamentale de se chercher soi-même en espérant pouvoir se retrouver. Ce film n’est donc pas un reportage sur une Côte d’Ivoire en crise comme on pourrait le penser. Il n’est pas non plus un documentaire sur la vie quotidienne des gens du sud au nord du pays. Il est jalonné de séquences très fortes qui nous amènent à le lire à plusieurs niveaux.
L’image du temps et de l’attente s’impose en premier lieu, comme dans cette séquence tournée au Foyer des jeunes travailleuses de Cocody devenu pratiquement vide, où une femme s’occupant de l’administration parle du départ des filles qu’Anne-Laure de Franssu connaît pour avoir réalisé un film sur leur vie à cet endroit (1). Le visage de cette femme, désœuvrée ou presque, dit bien le temps qui passe, s’allonge, n’en finit pas de passer pendant qu’elle est assise près d’un téléphone d’un autre âge. À Bouaké, pendant que la vie se retire des grandes artères de la ville, dans une cour commune, un homme parle, entouré de femmes et d’enfants, il donne son point de vue sur la crise que traverse le pays. Il s’inquiète des nouvelles lois du vivre ensemble et constate les mutations intervenues dans la mentalité des gens ordinaires. Et puis la voix off, celle de la réalisatrice elle-même, qui tient son carnet de route et mentionne, à chaque étape, le temps et l’attente…
La recherche de l’amie disparue depuis le début des « évènements » sert de fil d’Ariane au documentaire, de prétexte à cette traversée du pays du Sud au Nord. Le paysage est filmé (vert et faussement idyllique), la route aussi (déserte ou presque) et quelques étapes essentielles, les villes de l’itinéraire. Ce fil est rompu de temps à autre par des séquences à la recherche d’autres personnages féminins ayant quitté la Côte d’Ivoire pour Paris ou pour Londres.
Mais la quête de soi est omniprésente. Est-ce un hasard si le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire est évoqué plus d’une fois ? La voix off dit bien de quoi il s’agit. La recherche d’autres personnages féminins rencontrés auparavant, au moment où le pays connaissait une relative stabilité, est partie intégrante de l’univers de la réalisatrice. Elle essaie d’écrire et de comprendre sa propre histoire liée à celle d’un pays qu’elle a connu dès les premiers jours de sa vie ; ce pays qui forme une partie de ses souvenirs. « Là-bas, j’ai passé mon enfance et longtemps j’aurais aimé dire : je suis une Ivoirienne, pourtant je suis une blanche. » dit-elle. Le retour chez soi peut être mouvementé, jalonné de violences inouïes, apparemment banales et quotidiennes. Une des scènes symboliquement très forte est celle qui se passe à l’abattoir de Bouaké où le bœuf est une bête née pour être abattue par des humains employés à cet effet. La vulnérabilité de la bête n’est peut-être pas comparable à celle de l’humain. Voire… Le montage des images et les effets sonores intensifient ce sentiment d’insécurité que peut ressentir le spectateur même pendant des moments où passent des images de toute beauté. L’humain est sans doute invité, à chaque étape de sa vie, à affronter et à exorciser ses démons intérieurs. Le cinéma est un art qui participe de ce regard cathartique, afin que chacun puisse avoir une image plus sereine de demain.
Car la quête identitaire n’est jamais un long fleuve tranquille. Yere Sorôkô, film sur l’exil et la quête de soi, préfigure déjà cet autre documentaire que la réalisatrice a en projet, sur la difficile traversée des frontières, sur la vie entre ici et là-bas, sur les multiples facettes de l’exil chez soi et ailleurs, en prenant en compte des événements récents, fortement médiatisés.

1. Sini makônô, en attendant demain, 2001.documentaire, France, 2007///Article N° : 7411

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