Dany Laferrière (Haïti)

écrivain
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Et si une identité décloisonné, c’était être présent à son environnement plutôt qu’à un territoire ? Pour finalement être  » Américain « .

 » Le Québec est au cœur de mon travail d’écrivain parce que tous mes livres traduisent mon propre cheminement, à la différence d’autres écrivains émigrés qui ne parlent que de leur pays d’origine. Ainsi L’Odeur du café et Le Charme d’un après-midi sans fin évoquaient la première rupture avec le monde de mon enfance quand j’ai quitté Petit Gonaïves pour Port-au-Prince. Le Goût des jeunes filles évoque l’adolescence dans la capitale haïtienne. Mais Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? ou Chronique de la dérive douce sont ancrés dans Montréal.
Je me suis construis à partir d’un univers qui est le mien, pas à partir d’un territoire. Et au regard de ce constat, j’affirme que je suis pleinement américain. Si j’appartiens à l’Amérique, je ne suis pas un exilé quand j’habite au Québec, à Miami ou en Haïti. Je refuse catégoriquement la  » danse du ventre devant l’autre  » telle que l’évoquent Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant. Or, si je n’appartiens qu’à la Caraïbe, je deviens colonisé, ça m’est insupportable. En élargissant mon territoire, je peux écrire n’importe où.
Dans ma construction mentale, Montréal est une ville d’Amérique parmi d’autres. Je ne cherche pas à y être accepté. D’ailleurs, l’acceptation des autres ne m’intéresse pas. Et comme écrivain, je n’ai jamais souffert du complexe selon lequel mon peuple ne me lit pas. Moi, je viens simplement du pays de mes lecteurs.
Aujourd’hui, je me demande comment faire pour être là où je suis, pleinement. Beaucoup d’exilés consentent à demeurer dans la nostalgie et à se gaspiller eux-mêmes dans cette démarche. Même si leur douleur est légitime, les choses de la vie de tous les jours comptent beaucoup plus. Mon discours est d’affirmer haut et fort  » Soyons heureux « . Un jour, une vieille dame dans la rue m’a interpellé, me signifiant qu’elle m’aimait bien parce que j’étais porteur de bonnes nouvelles. J’écris sur mon itinéraire personnel et une femme trouve cela bénéfique pour elle et sa communauté, c’est délicieux !
Les gens sont habitués à vivre dans un univers fermé, dans un espace culturel cloisonné. Moi, je décloisonne tout. Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas passer un jour à la météo et le lendemain à une émission intello. Je fais ce que je veux de mon esprit et de mon corps. J’aime tout désacraliser, c’est aussi une part de mon américanité parce que l’Europe charrie quant à elle une lourde conformité intellectuelle. Devenir ce qu’on est, en référence à Goethe, est un travail quotidien parce que cette route est parsemée de pièges comme le succès ou l’échec. Les échecs sont simples parce que nous y sommes nombreux et qu’ils justifient qu’on se plaigne. Le succès lui, rend les choses faciles et les gens jaloux. Je suis l’expression d’un présent constant et je veux pouvoir élargir cadres et théories afin qu’elles finissent par s’éliminer ! « 

Dany Laferrière. Écrivain né en Haïti, Dany Laferrière partage sa vie entre Montréal et Miami. Auteur prolifique, on lui doit entre autres : Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), grand succès adapté au cinéma, Eroshima (1987), L’Odeur du café (1991), Le Charme d’un après-midi sans fin (1997), La Chair du maître (1997), Pays sans chapeau.///Article N° : 728

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