Joujou Turenne (Haïti)

Conteuse
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 » Montréal, c’est chez moi !  » Itinéraire d’une ambassadrice d’une culture autre qui ne prétend pas la représenter entièrement.

 » J’ai été élevée en français dans un milieu haïtien où l’on pense que la planète vit plus en français qu’en créole. Et quand j’ai quitté mon île, j’étais trop jeune pour avoir appris ma culture. J’ai été arrachée de ce terroir trop tôt. Je n’avais pas ma langue en poche. À l’adolescence, je me suis dit qu’il me manquait quelque chose. Pour répondre à mes propres questions, à tâtons, je suis partie chercher mes origines. Je ne savais pas alors que je partais à la quête de mon identité. J’ai commencé par la danse, ses mouvements, ses rythmes puis la langue créole, ses subtilités, ses phrasés, ses onomatopées, ses images. En fait, j’ai fini par acquérir plus de connaissances que si j’étais restée en Haïti.
J’ai ensuite enseigné la danse à des enfants ayant des difficultés d’apprentissage et de motricité. Je leur apprenais à sortir de leurs problèmes par le mouvement. Petit à petit, je faisais tellement de danse avec eux, que la danse est devenue une alliée, tant pour eux que pour moi. Puis la danse n’a plus suffi à exprimer ce que je cherchais alors j’ai ajouté des sons, puis des mots. Et j’ai basculé dans le théâtre. La fusion corps-parole s’est inversée et j’ai commencé à écrire des textes qui me ressemblaient. Alors je suis entrée dans l’univers des auteurs afro-antillais. Et là j’ai découvert des textes qui me ressemblaient encore plus puisqu’ils étaient écrits avec les mots de mes aïeux (…) Et je suis devenue conteuse.
Je peux être ambassadrice d’une culture peu ou mal connue. Car c’est en allant vers l’Autre qu’on casse les murs de l’intolérance. C’est la seule façon de ne pas avoir peur du voisin et de réaliser qu’au-delà des différences, nous avons beaucoup de points communs. Quand on amène la différence sur le tapis, elle s’apprivoise plus facilement. Mais à partir du moment où on devient ambassadrice, on nous met dans une boîte : et je suis devenue LA conteuse Haïtienne à Montréal. (…) Bien que je raconte toutes sortes d’histoires, et que j’en invente également. Je ne peux pas porter ce chapeau sans faire quelques nuances : ma culture est bigarrée, ma langue est hybride, mon vécu est partagé. Je trouve dommage que l’on définisse l’identité de quelqu’un uniquement entre sa terre natale et sa terre d’adoption parce que l’identité se nourrit au passage de tout ce qu’on croise.
Mais quoiqu’il m’arrive, je reviens à Montréal. C’est là où j’ai grandi, où j’ai reçu mon premier baiser, où j’ai appris à vivre, où j’ai eu mal. C’est vraiment chez moi ! « 

///Article N° : 724

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