Je suis une légende (I am Legend)

De Francis Lawrence

Comment les acteurs noirs américains sont entrés dans la légende
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New York, 2007. C’est la troisième fois que le roman éponyme de Richard Matheson est adapté à l’écran. L’intrigue du livre se déroule de 1976 à 1979. Il a donc fallu procéder à quelques mises à jour pour cette nouvelle adaptation qui débute en 2009, alors que le vaccin contre le cancer se révèle fatal pour toute l’humanité. Le docteur Neville, un des rares survivants mystérieusement immunisés, s’efforce de découvrir le remède qui permettra de guérir la minorité d’êtres humains ayant survécu sous forme de zombies prédateurs.
Le docteur Robert Neville a d’abord été incarné par Vincent Price dans The Last Man On Earth, en 1964. Acteur fétiche des films d’épouvante et de science-fiction, Vincent Price se bat contre des vampires recrutés sur les lieux du tournage, en Italie. Ce casting entièrement blanc passe inaperçu parmi la production de l’époque. Cette même année, Sidney Poitier est le premier Noir à recevoir l’oscar du meilleur acteur pour Lilies of the Fields où, tout habillé de blanc, il vient en aide à une communauté de bonnes sœurs allemandes fraîchement émigrées et leur construit une chapelle dans le désert.
En 1971, alors que la Blaxploitation prend son envol (c’est l’année de Sweet Sweetback Badassss Song et de Shaft ) et que Charlton Heston hésite à ressusciter dans un troisième volet de la Planète des Singes, Warner Brothers produit le deuxième remake de I Am a Legend, intitulé The Omega Man. C’est donc Charlton Heston qui se bat cette fois contre des ennemis bigarrés : le commandant adjoint des vampires est incarné par Lincoln Kilpatrick, un acteur noir.
La troisième adaptation du roman de Matheson, qui devait être confiée à Ridley Scott et fut abandonnée il y a presque dix ans pour cause de budget inflationniste, donne finalement la vedette à un acteur noir, Will Smith, habitué des films de science-fiction écrits pour des personnages blancs (I, Robot, adapté du Roman d’Isaac Asimov, Wild Wild West, adapté de la série télé avec Robert Conrad, Men in Black, rôle que Chris O’Donnell et David Schwimmer ont refusé).
On peut y voir la consécration d’un mouvement amorcé il y a de nombreuses années, où les acteurs noirs, d’abord relégués aux rôles de brutes ou de bouffons, ont plus tard décrochés des rôles principaux dans des films abordant les questions raciales et des rôles secondaires dans des films d’action, pour enfin apparaître dans une grande majorité de films, quel que soit le genre, et finir par incarner ces sauveurs de l’humanité parfaitement improbables dont les blockbusters américains sont friands. On a enfin la chance d’admirer les impecs pectoraux de Will Smith dans le rôle du scientifique chevronné. Si la plausibilité du personnage laisse à désirer, la performance d’acteur est certainement oscarisable, à l’instar de cette scène de chasse au cerf motorisée, parfaitement ridicule dans le style jeu vidéo (il suffirait de se poster sur un building pour dégommer les quadrupèdes), mais fort bien réalisée.
Si le docteur Neville se sacrifie pour sauver la race humaine et permettre une fin sirupeuse aux accents bibliques et bucoliques, absente des précédentes versions, on peut dire que la performance de Will Smith sauve Je suis une légende dont les deux premiers tiers sont poignants. Un homme seul dans un New York vide, organisant sa survie, luttant contre la folie en parlant à des mannequins, voilà qui n’est pas sans rappeler le petit film produit par Harry Belafonte en 1959, The World, The Flesh and the Devil (Le Monde, la chair et le diable) où un mineur noir se retrouve livré à lui-même dans New York après une catastrophe atomique. Comme Will Smith, il se débrouille tout seul, mais issu d’une autre époque, sa condition de Noir ne sera pas indifférente à l’intrigue. Est-ce la société qui a évolué, ou sa représentation ? Certainement les deux à la fois, pour le meilleur et pour le pire.

///Article N° : 7184

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