Ismaëla Manga (Sénégal)

Plasticien
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Le passage par l’ailleurs dénoue de lointains refoulés et libère l’expression.

 » À Dakar, j’étais connu, trop connu, suite à une série de toiles faites autour des lévitations. J’avais peur de passer de mode, d’être catalogué. Bref, je commençais à vouloir partir. Et je suis venu au Québec pour participer à un Symposium, et je suis resté. J’ai le sentiment d’être enfin moi-même, j’ai trouvé la paix que je recherchais et je peins enfin ce que je veux vraiment.
Je ne vis pas encore de ma peinture mais je survis convenablement ! Maintenant, je travaille surtout des installations dans lesquelles j’associe plusieurs éléments : peinture, sculpture, artefacts, etc. Je ne peins plus juste pour peindre, j’élabore des concepts autour d’idées spécifiques. Je travaille d’abord en écrivant, en faisant des recherches sur un sujet particulier et je me fiche royalement du temps que ça prend. En fait, peu de temps après mon arrivée à Montréal, j’ai trouvé un travail qui est rapidement devenu lucratif, très lucratif. Je gagnais de l’argent, mais je ne vivais plus, je n’étais pas heureux, je n’avais aucun challenge intellectuel. Alors j’ai tout lâché.
J’ai reçu une éducation religieuse musulmane extrêmement rigide. Comme tous les petits enfants, je répétais par cœur les sourates et je n’en comprenais pas un traître mot. En vieillissant, ça m’a révolté. Puis un jour, j’ai lu une traduction du Coran. Elle m’a bouleversée. J’ai réalisé combien l’application de cette religion ne correspondait en rien à ce qui était écrit initialement. On inocule la religion, les religions, par la peur. Et la peur que nous avons de l’au-delà justifie que les individus croient ce qu’on leur dit. J’ai vraiment eu le sentiment de m’être fait berné. Je me suis posé des tas de questions et j’ai développé une véritable aversion contre les dogmes, tous les dogmes officiels. En arrivant à Montréal, j’ai réalisé que les Québécois avaient ce même sentiment à l’endroit du catholicisme : une relation attirance-répulsion qui ressemblait à la mienne et que je comprenais parfaitement.
Pour ma première installation-concept, je me suis intéressé au Chemin de Croix. C’est fou, Montréal est la ville où il y a le plus d’église par habitant, je pense ! Et dans chacune, on trouve un Chemin de Croix. J’ai cherché à comprendre l’histoire locale. Moi, néo-Québécois, j’entretiens une entente tacite avec la population locale parce que même si j’abhorre les dogmes, je respect profondément les préceptes religieux – spirituels – universels. Bien que le public n’ai pas forcément compris la signification des détails, chacun appréhendait la présence d’une combinaison de symboles universels et spirituels. Nous sommes tous des métisses culturels. En ce qui me concerne, j’utilise la réalité du village mondial et de ses valeurs à ma manière. À Montréal, je peux enfin extérioriser tout ce que je sentais enfoui au fond de moi depuis longtemps. « 

Ismaëla Manga. Né en 1957 au Sénégal. Maîtrise en sémiologie de l’image, Paris Nanterre et Licence es Arts, université de Dakar. Expositions individuelles : CIAC (Centre international d’art contemporain) Montréal 1998, Galerie Neustrasse Saarbrücken Allemagne 1987, Galerie Tencq Dakar 1984. Expositions collectives en France, Allemagne, et au Sénégal, Québec, Maroc. Ismaëla Manga est arrivé à Montréal en 1988.///Article N° : 713

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