« Nous sommes tous responsables »

Entretien d'Olivier Barlet avec Bomou Mamadou

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Sa voix tendue sortant du fond des tripes et son incroyable présence sur scène rendent inoubliables Bomou Mamadou. Né en 1961 à Dimbokro (Côte d’Ivoire), il est comédien, danseur, chanteur, auteur et compositeur, autant dire polyvalent puisqu’également chorégraphe et metteur en scène. Alors qu’il obtient en 95-96 le Kili d’or du meilleur chorégraphe de Côte d’Ivoire, il décroche le Kili d’or du meilleur metteur en scène dès l’année suivante en 97-98, ainsi qu’au Festival international de Théâtre de la Ville d’Abidjan en 98. Son parcours se confond avec celui du Ki Yi M’Bock qu’il co-fonde avec Were Were Liking en 1985. C’est en 92, avec Un Touareg s’est marié à une pygmée, que, sur une musique de Ray Lema, son travail vocal prend toute son ampleur, puis dans le spectacle Berceuses d’Eveil qui reprend tous les chants du Ki Yi. Il a mis en scène La Queue du diable qui a été sélectionné pour le Masa 99. Durant une résidence d’écriture organisée par Contre Jour à Marseille en 98-99, il renoue avec les grands chœurs africains pour son projet  » Nlelo « , ( » c’est moi « , en bambara), un cri pour rappeler à chacun sa part de responsabilité dans le monde d’aujourd’hui et à l’Afrique la sienne. Entretien.

Que représente une résidence d’écriture pour un chanteur-acteur comme vous ?
C’est prendre de la distance et intérioriser, au calme, loin des miens, par rapport à ce que j’avais déjà écrit. Mon projet est dans l’optique des grands chœurs d’Afrique. Dans Quand un Touareg s’est marié à une Pygmée, j’avais travaillé sur les différents timbres vocaux de l’Afrique et sur la richesse de ses langues. Je voulais poursuivre cette recherche.
Dans quelle langue écrivez-vous ?
En français, que je fais traduire dans toutes ces langues lorsque je ne les parle pas, pour pouvoir les utiliser dans le spectacle.
Quels contenus abordez-vous ?
L’espoir, la mort, la sorcellerie, le vécu africain mais aussi les chiens des Blancs qui me frappent tant ici ! Donc avec humour aussi, dont nous avons besoin aujourd’hui avec tout ce qui se passe en Afrique !
Une résidence est proche de la méditation…
Oui, c’est pourquoi j’en apprécie le calme. Au Ki Yi, c’est l’effervescence avec la préparation du spectacle du Masa. Ici, je sors très peu ; je mets un fond musical et les mots résonnent si fort en moi que j’ai hâte de réaliser ce projet !
Parlons de ce projet.
Ce sera d’abord un disque avec les voix que j’ai rencontrées ici : Emmanuel Djob et les Black and White Gospel Singers. Ils travaillent ici depuis longtemps et nos techniques de chœurs peuvent se rencontrer et s’apprendre. Je connais mal les techniques vocales : ce sera une découverte. Comme on dit :  » Quand tu vas à la rencontre de ta belle-mère, ne demande pas qui elle est : de toute façon, tu vas la rencontrer !  »
Qu’est-ce qui vous rapproche avec les Afro-américains ?
La polyphonie, bien sûr, qui est presque l’essence du groupe Ki Yi. Le sacré nous réunit aussi. Nous partageons la même quête de valeurs. Ce qu’on dit peut tuer ou donner la vie : nous sommes responsables. Et nous avons trop longtemps cherché des boucs émissaires.
Pensez-vous déjà la musique et la chorégraphie durant ce travail d’écriture ?
Pas pour le moment. Je voudrais m’en détacher, bien que je sache que ma formation est plurielle. Je veux me concentrer sur la portée des textes. On leur cherchera une forme musicale ensuite, au sein du Ki Yi ou ailleurs.
Après 13 années d’existence du Ki Yi, quelles ont été les grandes avancées ?
Aujourd’hui, ce qui me frappe est que le Ki Yi est une référence. Les débuts ont été difficiles ; il a fallu travailler dur. Nous étions quatre, avec Were Were Liking, décidés à agir artistiquement dans notre société. En deux ans nous étions une cinquantaine de personnes à être convaincus que cela pouvait être un métier. A près de 100 personnes, nous étions organisés comme un village, avec une chefferie de 5 ou 6 personnes, un conseil des sages qui tranchait lorsque la chefferie bloquait, une administration, une cuisine etc. Des personnalités extérieures nous ont fait avancer, comme Ray Lema pour la musique, Claire Laroche de Féline pour l’administration des spectacles… Lorsque l’Etat ivoirien nous a confié la grande fresque à l’occasion de la mort d’Houphouët Boigny ou celle d’ouverture du Masa, ce fut une vraie reconnaissance.
Ceux qui sont partis en ont conservé les marques : la rigueur et la responsabilité dans le groupe. Notre source première était le conteur traditionnel auquel venait s’ajouter les regards : les acteurs vivaient avec la sculpture, la peinture, les tâches quotidiennes de chacun, un enrichissement permanent. Les arts de la scène n’étaient finalement qu’un prétexte pour une démarche de profondeur.
Je me souviens avoir entendu Were Were Liking regretter les départs successifs.
Avec la distance, je trouve cela normal. Il nous est difficile de fonctionner sans cesse dans le rêve et l’utopie. Les jeunes qui sont partis devaient tenir compte des pressions de leur famille : être célèbre et désargenté n’est pas compris ! C’est le destin de tout groupe de former des responsables dans d’autres milieux.
Comment voyez-vous votre parcours dorénavant ?
J’ai beaucoup formé les jeunes et aimerais m’occuper de moi-même. Le ministère de la Culture m’a confié le Ballet national de Côte d’Ivoire que je dirige depuis quatre ans, ce qui est un honneur. Au théâtre, j’ai fait La Queue du diable qui a été retenu pour le Masa. Maintenant, je travaille ce projet musical pour finalement rassembler le tout dans une sorte d’opéra. Et j’ai un œil pour le cinéma… !
Parlons-en !
Je tatonne : j’ai réalisé tous les clips vidéo du Ki Yi M’Bock. Ainsi que ceux de Meiway. Le cinéma a l’avantage de réunir toutes les expressions pour parler à la nature de l’être à partir de la réalité africaine.

Emmanuel Djob s’est également rendu à Abidjan pour travailler les choeurs avec Bomou Mamadou. Il explique la communauté d’approche des Black and White Gospel Singers et du Ki Yi M’Bock :
 » Nous avons en commun de chercher le fond de nous-mêmes, de fouiller au fond de soi, ce qui se retrouve dans une façon de dramatiser sur scène et produit une émotion liée à ce travail intérieur. Ce qui a intéressé Mamadou est que les Black and White Gospel Singers, d’origine africaine, antillaise et française, font un gospel métissé. Mais avec ses mélopées africaines, il nous a ressourcé, redonné le sens de notre musique que nous avions tendance à trop polisser. L’album que nous préparons sera le résultat de cette rencontre. « ///Article N° : 677

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Les images de l'article
Bomou Mamadou © Suzuki





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