Les courts métrages sud-africains, laboratoire d’un nouveau cinéma

Au Festival de Clermont-Ferrand 2007

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L’édition 2007 du Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand a été l’occasion d’assister à deux programmes sud-africains – Panorama Afrique du Sud. (1) Ces programmes offraient un aperçu d’une production de plus en plus importante et qui constitue un laboratoire pour la créativité d’un cinéma sud-africain en plein essor.

Depuis une dizaine d’années, l’industrie cinématographique et audiovisuelle sud-africaine a commencé à se libérer d’un certain modèle hollywoodien ainsi que du cadre idéologique qui, avec l’instauration de l’apartheid en 1948, avait déterminé son évolution. Cette industrie s’était en partie développée grâce à un système de subventions qui va disparaître avec le régime d’apartheid lui-même. La National Film and Video Foundation (NFVF) constitue, depuis 1999, l’organe institutionnel pour la restructuration d’une industrie et permettre l’émergence d’une production de longs métrages dégagée de la censure de l’apartheid, de séries télévisées qui vont bénéficier d’une aura populaire de plus en plus importante ou de nombreux films documentaires décrivant plus directement les réalités sociales et culturelles de ce pays. Mais il semble qu’aujourd’hui une partie de cette production sud-africaine s’engage davantage dans des recherches d’ordre formel et esthétique, abandonnant les règles du didactisme aussi bien que l’inspiration hollywoodienne et les tendances au politiquement correct.

A Clermont-Ferrand, l’objectif de ce Panorama Afrique du Sud était de présenter un certain nombre de courts métrages réalisés entre 1995 et 2006 qui témoignent de l’inventivité et de la diversité de la production sud-africaine récente. A côté des films documentaires, cette production constitue, en effet, une sorte de laboratoire pour un cinéma national de plus en plus souvent mis en avant dans les festivals à travers le monde. Le court métrage est un domaine où la création cinématographique et audiovisuelle sud-africaine se dévoile en dehors des cadres pré-définis par l’industrie locale et des contraintes que doivent vivre toute production indépendante. En Afrique du Sud, bien entendu, comme dans tous les pays représentés lors du Festival de Clermont-Ferrand depuis près de 20 ans, le court métrage peut servir de tremplin pour la réalisation d’un long métrage. L’enjeu des deux programmes présentés à Clermont était, cependant, de rendre compte de la diversité de cette production sud-africaine et de l’inventivité de ces créateurs, loin donc d’une forme de prégnance hollywoodienne et du conformisme qui pourrait caractériser certains films sud-africains. On sait, par ailleurs, que les longs métrages les plus intéressants qui ont été réalisés depuis 10 ans dans ce pays ont souvent trouvé une première expression dans le court métrage. Une contrainte de taille demeurait le temps alloué à ce programme (200 minutes) qui ne pouvait être, contrairement avec ce qui avait été initialement prévu, une rétrospective. Au total, le style des courts métrages s’étendait du film « réaliste » au film « fantastique », du film d’animation à la comédie…

De Corner Caffie de Tim Greene (1995) (2) à SA/X de Gilli Apter (2004) (3) ou d’Angel de Barry Berk (1996), (4) à Ongeriewe de Robin Kleinsmidt (2006), (5) le court-métrage sud-africain révèle ainsi l’étendue de son répertoire et l’habilité stylistique de ses réalisateurs. Corner Caffie fonctionne comme une métaphore de la société sud-africaine, et c’est sur un mode comique que Timothy Greene a choisi d’aborder les thèmes non seulement des tensions entre des personnes issues de « communautés » différentes mais de ce qui les réunit – à la fin et au début. SA/X est un film dont le rythme et le contenu tranche avec la majeure partie de la production sud-africaine. On y trouve aussi une forme de provocation, principalement au niveau des dialogues truculents entre les jeunes Sud-africains. Ce but a peut-être été atteint si l’on en croit la réaction d’une critique sud-africaine trouvant ce film simpliste, le rapprochant du style MTV, et pouvant, de ce fait, plus facilement attirer l’attention d’un « public international »… Dans le même temps, beaucoup d’éléments de ce film, en commençant par la langue utilisée, ne peuvent être pleinement compris que par des Sud-Africains. (6)
Sur un autre plan, Angel, est l’histoire de deux clochards, Amen et Soentjie, confrontés aux dures réalités de la rue. Dans leur lutte quotidienne pour la survie, ils ne parviennent à faire face à leur sort que grâce à l’humour et au courage développé au cours de ces années vécues dans des conditions d’extrême misère. Finalement, Ongeriewe est un court-métrage d’une grande efficacité, Robin Kleinsmidt filmant d’une manière très fluide la vie de jeunes gens d’une cité de la grande banlieue de Cape Town, entre violences et drogues, disputes et conflits familiaux, jusqu’au suicide tragique d’un adolescent se rendant compte qu’il ne pourra pas rembourser l’argent lié à ces trafics entre personnages ou groupes rivaux.

Par ailleurs, des films déjà reconnus comme The Storekeeper de Gavin Hood (1998), (7) Portrait of A Young Man Drowning de Teboho Mahlatsi (1999) (8) ou Lucky Day de Brian Tilley (1999) (9) peuvent introduire aux thèmes de Triomfeer de Jan-Hendrick Beetge (2001) (10) et, plus récemment, d’Elalini de Tristan Holmes (2005). (11) The Storekeeper est un film dont le procédé narratif est relativement classique : la mise en suspend jusqu’à la fin du film d’un dénouement inattendu et violent. Un enfant qui tentait de voler des friandises dans une épicerie se fait tuer par un système de protection artisanal mis en place par un marchand fatigué de se faire cambrioler mais qui n’avait pas envisagé une telle tragédie. Un récit qui revêt un sens particulièrement fort dans le contexte sud-africain où ce sont bien souvent les plus faibles qui deviennent les victimes d’actions à courte vue. Portrait of a Young Man Drowning de Teboho Mahlatsi, sur l’histoire d’un jeune tueur en quête de rédemption, est déjà connu et a fait date ; il était pourtant nécessaire de revenir sur ce film très dense sur le plan narratif, très élaboré visuellement, et qui a certainement eu une influence sur la production contemporaine. Lucky Day de Brian Tilley raconte l’histoire d’un travailleur journalier embauché pour la journée par un fermier (Ian Roberts) qui reste très évasif sur la nature du travail et le montant de la rémunération ; de fait, il a été engagé pour creuser la tombe de son employeur qui se suicidera sous ses yeux… Triomfeer fait probablement partie des films les plus importants de ces deux programmes, si on veut bien faire abstraction d’une fin un peu convenue, notamment sur le plan du filmage. Ce film fait référence à Sophiatown et à la déportation forcée de cette ville noire et métissée dans les années 50 – « We built a country on his grave« , est-il justement dit par le personnage du policier mourrant. Indépendamment de cette référence, si Triomfeer marque, c’est aussi parce que ce film évite tout manichéisme et cherche à se situer au niveau d’un inconscient collectif. Quand à Elalini, il est plus intéressant par son scénario que par sa réalisation. Le fait de se concentrer sur le personnage d’une femme policier constitue un élément significatif pour aborder l’incontournable problème de la violence et de sa banalité ; paradoxalement, cette jeune femme noire semble s’être plus accoutumée à la violence qu’elle peut rencontrer dans la grande ville que par celle liée à des souvenirs d’enfance au village, alors que son père vient à sa rencontre pour lui demander de revenir avec l’enfant qu’elle élève seule.

Finalement, And There In The Dust de Lara Foot Newton et Gerhard Marx (2004) (12) et The Mamtsotsi Bird de Jo Horn (2006) (13) viennent rappeler que ce cinéma, qu’il fasse référence à une violence réelle ou mythologique, peut aussi revêtir les formes du film d’animation et du film de genre avec effets spéciaux. Bien qu’il s’agisse d’un film d’animation, And There In The Dust se réfère à des faits réels on ne peut plus crus et violents : le viol et le meurtre d’un bébé, un fait divers qui avait été l’objet d’un grand émoi dans l’opinion sud-africaine en 2001. Dans une tout autre perspective, The Mamtsotsi Bird peut impressionner par ses effets spéciaux et dans la mesure où le récit, en apparence anodin, glisse progressivement vers une dimension fantastique, à mi-chemin du mythologique et de l’horreur. Questionnée à ce sujet, Gilli Apter a pu confirmer l’effet de « surprise » provoqué par ce court métrage, tout en faisant part du côté improbable de ce genre de film, en particulier concernant ce couple de Sud-Africains noirs vivant dans un univers apparemment déconnecté de tout lien tangible avec les réalités sud-africaines. Pourtant, indépendamment de ce développement vers le fantastique, la situation de ce couple lui-même n’est pas fondamentalement différente de celle du couple à qui on a volé un enfant dans Mon nom est Tsotsi de Gavin Hood (2006) : ce pourrait être aussi l’image d’une (nouvelle) classe moyenne noire qui est donnée à voir.

Des films sud-africains récents participaient, d’autre part, à la compétition 2007 du Festival de Clermont-Ferrand ; ainsi, Sakalli sa Meokgo de Taboho Mahlatsi (2006) (14) devrait constituer une étape importante dans l’évolution de cette production depuis une dizaine d’années. Meokgo et l’homme au bâton (Sakalli sa Meokgo) : Kgotso, armé de son bâton, vit reclus et mène une existence solitaire dans les montagnes Maluti du Lesotho. La légende veut que sa mère soit morte en couches et lui ait légué une malédiction. Il fut élevé par un vieux guérisseur dont il hérita du bien le plus précieux : un concertina. Puis, à l’âge de 8 ans, Kgotso disparut dans les montagnes… Personnellement, je considère qu’il pourrait s’agir là d’un des films sud-africains les plus réussis sur le plan esthétique – même s’il n’a pas été primé durant le festival. Mais, Sakalli sa Meokgo ne doit pas être seulement remarqué pour ses qualités esthétiques – lesquelles sont spectaculaires, principalement dans le rapport image / son -, c’est aussi un film qui reste ancré dans une culture populaire, intégrant la référence au Western ou établissant un branchement entre des éléments sud-africains et une imagerie cinématographique « universellement » admise.

Au-delà de la fascination pour la technologie qui, pour des films tels que The Mamtsotsi Bird pourrait être proche de l’excès, il convient de considérer les recherches effectuées par les réalisateurs sud-africains sur les plans esthétiques et stylistiques… Le principal obstacle au déploiement de cette créativité nouvelle se situe au niveau économique et de l’éducation à l’image. De là découle le rôle déterminant joué par les écoles de cinéma et télévision – une école nationale est, d’ailleurs, actuellement en projet – ou les diverses stratégies des indépendants. La plupart de ces réalisateurs et producteurs ont conscience de leur responsabilité face au conformisme d’une production standard, dans une société largement soumise à l’influence d’une imagerie audiovisuelle globalisée. En ce début de XXIème siècle, l’Afrique du Sud se trouve précisément à la charnière entre, d’un côté, une logique purement marchande et publicitaire et, d’un autre côté, la nécessité, partagée avec d’autres pays émergeants en Afrique ou ailleurs, de produire des films qui soient plus à l’image de la diversité des cultures et des personnes.

1. Ces deux programmes ont été réalisés par Samuel Lelièvre en collaboration avec le Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand. Contact : Sauve qui peut le court métrage, La Jetée, 6 place Michel-de-L’Hospital, 63058 Clermont-Ferrand Cedex 1. Tel : +33 (0)4 73 14 73 21 Fax : +33 (0)4 73 92 11 93. Internet : http://www.clermont-filmfest.com/
2. Tim Greene, Corner Caffie, Afrique du Sud, 1995, fiction, Beta SP, stéréo, 20 minutes.
3. Gilli Apter, SA/X, Afrique du Sud, 2004, fiction, Beta SP – 4/3, stéréo, 18 minutes.
4. Barry Berk, Angel, Afrique du Sud, 1996, fiction, Beta SP, stéréo, 26 minutes.
5. Robin Kleinsmidt, Ongeriewe, Afrique du Sud, 2005, fiction, Beta SP – 4/3, stéréo, 14 minutes.
6. Le traducteur du festival de Clermont-Ferrand a pu témoigner du fait qu’il ne pouvait apporter une information complète sur les dialogues de ce film. Voir l’entretien avec Gilli Apter.
7. Gavin Hood, The Storekeeper, Afrique du Sud / Royaume Uni, 1998, fiction, Beta SP, dolby SR, 22 minutes.
8. Teboho Mahlatsi, Portrait of a Young Man Drowing, Afrique du Sud, 1999, fiction, Beta SP, stéréo, 11 minutes.
9. Brian Tilley Lucky Day, Afrique du Sud, 1999, fiction, Beta SP, stéréo, 11 minutes.
10. Jan-Hendrik Beetge, Triomfeer, Afrique du Sud, 2001, fiction, Beta SP, stéréo, 19 minutes.
11. Tristan Holmes, Elalini, Afrique du Sud, 2005, fiction, Beta SP – 1,85, stéréo, 29 minutes.
12. Lara Foot Newton et Gerhard Marx, And There in the Dust, Afrique du Sud, 2004, fiction, 35 mm, stéréo, 8 minutes.
13. Jo Horn, The Mamtsotsi Bird, Afrique du Sud, 2006, fiction animation, Beta SP – 16/9, stéréo, 12 minutes.
14. Teboho Mahlatsi, Sekalli sa Meokgo, Afrique du Sud, 2006, fiction, 35 mm – 1,85, 18 minutes. Indépendamment, toutefois, de la présentation Cricket Head de Grant Greenberg (Afrique du Sud / Etats-Unis, 2006, fiction, Beta Digital – 4/3, stéréo, 18 minutes) également pour le programme International, de Gangsta Project 1 de Teboho Edkins (Afrique du Sud / France, 2006, expérimental, Beta SP, 7 minutes) pour le programme Le Fresnoy, et du très beau film d’animation Tale of How (Afrique du Sud, 2006, animation expérimentale, Beta SP – 4/3, stéréo, 4 minutes) pour le programme du Labo.
Lire également l’entretien de Samuel Lelièvre avec Gilli Apter sur ce site.///Article N° : 6685

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