Brassens en Afrique

De Kristo Numpuby

Coup de cœur
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Je vous dois d’abord des excuses car il y a bien deux mois que ce disque épatant traînait sur mon bureau, sans que j’osasse le dépuceler, encore moins l’écouter. Je le cachais très soigneusement à tous mes amis. J’avais presque honte de l’avoir reçu et de devoir un jour vous en parler. Je me disais que si jamais je devais le faire, ce ne pourrait être qu’à contrecœur et par pure conscience professionnelle.
Comme tous les admirateurs respectueux de Brassens, j’ai toujours été méfiant et rétif à l’égard de tous ceux, si nombreux, qui prétendent s’approprier son œuvre géniale comme si elle n’était qu’une savonnette avec laquelle chacun peut se laver.
D’abord les chansons de Brassens sont si profondément liées à sa personnalité, à son propre choix de vie qu’il est difficile de l’oublier.
Je me souviens d’ailleurs d’avoir été l’un des rares « critiques de jazz » à m’insurger contre la scandaleuse manipulation / récupération orchestrée par Chirac peu avant la mort de Brassens et en son absence pour effacer son identité anarchiste. Il faut aussi vous avouer que si je ne fais pas partie « des imbéciles heureux qui sont nés quelque part » comme il disait, je suis quand même content, sinon fier, d’appartenir à la France de Brassens, et d’être né dans sa région.
Chez nous, à cent kilomètres à la ronde autour de Sète, Brassens est devenu une gloire régionale et touristique, un saint sans auréole, une statue à moustaches, bref, tout ce qu’il détestait le plus ! En même temps, dans ma génération, celle des enfants qu’il n’a jamais eus (« mes seuls enfants seront mes chansons », disait-il) nous sommes presque tous capables de chanter un grand nombre de ses chansons par cœur, elles font partie de notre culture bien plus que la Marseillaise.
Alors imaginez mon étonnement et mon ravissement en écoutant Brassens chanté par un Camerounais !
Il faut dire qu’au Cameroun, comme j’ai pu le remarquer sur place, ils sont vraiment assez forts pour la musique en général et plus particulièrement quand il s’agit de voler la musique des autres, de se l’approprier ; ni vu ni connu – là on le sait, ils sont champions !
En écoutant ce disque, on se dit que dans une autre vie, Georges Brassens aurait pu être facilement camerounais. En même temps on est bien obligé de constater que son extraordinaire liberté d’expression et de ton n’a pour l’instant aucun équivalent dans la chanson africaine urbaine. Il est difficile d’imaginer un chanteur africain actuel qui oserait enregistrer au sujet de sa propre société une chanson aussi décapante que ce que représentaient pour la société française, au temps de Brassens, « Corne d’aurochs », « Le Gorille », ou « La mauvaise réputation » sans encourir les rigueurs de la censure.
Elles figurent heureusement dans ce cd.
« Le Gorille » (cette chanson géniale dont François Mitterrand avoua qu’elle avait fait bien plus que tous les discours politiques pour l’abolition de la peine de mort en France) est interprété ici d’une façon un peu désinvolte et nonchalante, mais elle est là, tant mieux.
Kristo Numpuby, avec sa diction délicate et parfaite, est particulièrement émouvant sur des chansons plus anodines, comme « Brave Margot » ou « Le Parapluie ». La façon dont il interprète « Les Copains d’abord » est aussi audacieuse qu’ingénieuse : sachant qu’il n’est nul besoin de chanter les paroles, il se contente de jouer la chanson en tapant sur ses joues, et le résultat est vraiment stupéfiant !
Les parties de guitares sont parfaites, bien entendu (on est au Cameroun) bien meilleures que celle de Brassens, qui d’ailleurs n’en attendait pas tant et serait sûrement très content en écoutant ce cd.

Africultures est partenaire de la sortie du disque Brassens en Afrique et de toute la tournée de Kristo Numpuby. Retrouvez ci-contre les informations sur quelques prochains concerts, et plus en page d’accueil d’Africultures, en tête de notre lettre d’information et dans la fiche personnelle de l’artiste.Brassens en Afrique, de Kristo Numpuby (Nocturne)///Article N° : 6628

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