Lion of Africa / Live in London

De Manu Dibango

L'hommage de Manu Dibango à Fela Kuti : Coup de coeur
Print Friendly, PDF & Email

Fêtard invétéré, Manu Dibango est devenu le recordman absolu des anniversaires : chaque nouvel album est infailliblement pour lui l’occasion de trinquer et de souffler des bougies, et le larron fait l’occasion à défaut du contraire, si nécessaire ! Enregistré et filmé en octobre 2004, ce concert était censé célébrer, certes un peu prématurément, le 71° anniversaire de Monsieur Dibango N’Djocké Emmanuel, « né à Douala le 12 décembre 1933 à 11 heures de nuit » selon son autobiographie, fac-similé du faire-part à l’appui.

Personne ne se plaindra de ces petits arrangements avec le calendrier, car cet opus nous semble être à ce jour, à tous égards, le meilleur témoignage sur l’ingéniosité musicale et scénique de Manu Dibango. C’est aussi le plus riche et le plus subtil en matière d’improvisation, celui qui ravira les amateurs de jazz autant que d’afrobeat..
En vérité, peu de musiciens africains ont réussi aussi bien que Manu Dibango à maîtriser les contraintes du « concert », ce rituel occidental profane dont la complexité n’a rien à envier à celle de bien des cérémonies musicales sacrées en Afrique.
Ajoutons donc un anniversaire approximatif à un autre : le 3 août 1973
Manu Dibango fut le premier musicien africain à triompher face au public le plus exigeant du monde : celui de l’Apollo de Harlem. Pour la circonstance, ce grand malin s’était vêtu d’un boubou sahélien. Avec ses lunettes noires et ses saxophones, Manu sortait vainqueur de cette épreuve du feu : porté par le succès inattendu et phénoménal de son « Soul Makossa » – la face B oubliée de l’hymne de la CAN – il devenait en quelques mois l’une des deux icônes de la fusion entre les musiques africaines et afro-américaines.
L’autre icône, c’était bien sûr son cadet Fela, qui venait la même année d’enregistrer « Shakara », véritable matrice de son afrobeat. Ils ne manquaient pas de points communs : tous deux issus de familles protestantes très pieuses, imprégnés de musique religieuse occidentale, puis marqués par la découverte du jazz et de la soul.
« Lion of Africa » est un concert de Manu capté lors d’un festival en hommage à Fela organisé au Barbican Centre, équivalent londonien du Centre Pompidou – sauf qu’on a du mal à imaginer, hélas, Beaubourg dédiant une manifestation à un musicien africain !!!
Remarquablement enregistré et filmé, « Lion of Africa » est aussi la carte de visite du nouvel orchestre de Manu, le Maraboutik Big Band qui faisait alors ses débuts, succédant au Makossa Gang dont il est en somme une excroissance. Le tandem rythmique camerounais infernal (Noël Ekwabi à la basse et Jacques Conti-Bilong à la batterie) est agrémenté par les percussions poétiques et universelles du provençal Xavier Desandre-Navarre – qui a collaboré aussi avec Salif Keita, Sam Mangwana et Sally Nyolo. Une section de cuivres réduite mais terriblement efficace suffit à faire du Maraboutik un vrai big band, moins proche de celui de Fela (compact et massif) que de ceux du jazz des années 1930-40. Cette référence est d’ailleurs justifiée par une partie du répertoire (« Midnight Sun » de Lionel Hampton et surtout « Morning Glory », magnifique composition méconnue de Duke Ellington qui fut un éblouissement pour le jeune Manu, et où il tente de ressusciter au sax alto les volutes aériennes de Johnny Hodges.
Le Maraboutik est à l’évidence pour lui la réalisation d’un vieux rêve.
Manu a fait ses débuts professionnels dans l’African Jazz de Joseph Kabasele et l’on se souvient aussi qu’il a dirigé (de 1975 à 1978) le grand orchestre de la RTI, radiotélévision ivoirienne. C’est plus qu’il n’en fallait pour maîtriser cet outil musical idéal qu’est le big band.
Le morceau qui ouvre ce concert, « Wambele » (d’après le nom du plus mystérieux des masques sénoufo) est superbement arrangé, dans une veine be-bop et funk qui fait penser à la fois à Dizzy Gillespie et à Jaco Pastorius. Dès la reprise de « Soma Loba » (et plus encore sur « Midnight Sun »), Manu nous rappelle que si son premier instrument connu est le saxophone, le second (et peut-être le principal, celui qu’il pratique sans doute le plus sérieusement) est le xylophone, instrument camerounais par excellence, sur lequel il improvise aussi habilement que librement sous l’influence des grands vibraphonistes de jazz.
Parmi les invités de ce concert, le griot sénégalais Baba Maal est le plus présent, et son fameux « Chérie » lui donne l’occasion de rendre hommage à Manu dans un style griotique-humoristique qui en fait un vrai morceau d’anthologie. On croise aussi Courtney Pine, le grand saxophoniste anglo-jamaïcain qui prend un solo émouvant bien qu’un peu trop banalement coltranien sur « Big Blow ». Plus intéressant est le duo de Manu au sax soprano avec sa jeune compatriote Coco Mbassi, sur le joli « Dube » qu’elle a composé avec Richard Bona.
Bizarrement, il n’y a aucun morceau de Fela dans ce concert qui lui est pourtant dédié. L’essentiel de l’hommage que lui rend Manu Dibango est concentré dans le finale du concert : une magnifique reprise de la fameuse chanson « Le Bûcheron » du Congolais Franklin Boukaka, titrée de façon erronée d’après son refrain « Aye Africa ».
C’est une bonne façon de rappeler que si Fela est devenu « le » héros panafricain de la lutte contre la corruption et le néocolonialisme, il n’était pas le seul, et d’autres, moins célèbres, ont payé de leur vie leur liberté d’expression en Afrique francophone, comme Boukaka, assassiné en 1972.
Bien au-delà des circonstances de son enregistrement, ce Cd/DVD est avant tout un moyen idéal d’accéder à l’univers personnel de Manu Dibango, à travers tous les styles musicaux qu’il aime fréquenter.
Ancré par sa rythmique dans la plus pure tradition camerounaise, ouvert à toutes les formes d’improvisation héritées du jazz, de la soul et du funk, « Lion of Africa » résume parfaitement l’histoire musicale exceptionnelle d’un adolescent africain émigré en France dans les années 1950, devenu un « afro-européen » fasciné par toutes les musiques afro-américaines, et qui finit par revendiquer sans complexe ses racines africaines.
À bien des égards, « Lion of Africa » marque une date importante dans l’histoire de la musique africaine contemporaine.

Lion of Africa / Live in London, de Manu Dibango (Cd + DVD Global Mix / Nocturne)
Concerts de Manu Dibango les 12 et 13/06 à Paris (Petit-Journal Montparnasse), le 16/06 à Pessac, le 29/06 à Bruxelles, le 13/07 au Festival de Vienne, le 25/07 au Festival de Nice, le 4/08 au Festival de Sète.///Article N° : 5959

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire