Portraits musicaux

Entretien de Christine Avignon avec Bill Akwa Betoté

Mai 2007, Paris
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Le photographe camerounais Bill Akwa Betoté expose sa série de photographies « Musafrica » à la Bellevilloise, à Paris. Rencontre autour d’un thème qui lui est cher : la musique.

Pourquoi avoir choisi de photographier des musiciens ?
Lorsque j’ai débuté, au début des années 80, je collaborais à différents organes de presse en France et en Afrique. On ne le dit peut-être pas assez, mais l’arrivée au pouvoir en France des socialistes en 1981 a représenté une formidable ouverture dans le domaine de la culture. À l’époque, j’ai remarqué que les musiciens africains n’avaient pas beaucoup de documents visuels pour communiquer, or le visuel est un élément essentiel, surtout dans la société actuelle. C’est une des raisons pour laquelle je me suis spécialisé dans le domaine de la musique. Par ailleurs, la musique africaine représente pour moi un véritable « arbre généalogique ». On dit encore que la musique n’a pas de frontière… peut-être est-ce pour ça que je l’aime tant.
Que représente une photo pour vous ?
C’est un échange privilégié, un vrai moment de complicité, une opportunité de rencontrer l’autre. C’est aussi un témoignage fort, profond, une porte ouverte, une mémoire culturelle… tellement de choses en fait. C’est en tous les cas ce que j’essaie de transmettre lorsque j’anime des ateliers de photographie. Une photo permet d’arrêter le temps.
Une rencontre vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Non, pour moi toutes les rencontres sont uniques. Chaque moment est fort dans le spectacle vivant. Sans artiste, il n’y a pas de photo, pas d’émotion. Il y a par contre un instant qui est fabuleux pour moi, c’est le début du concert, lorsque les musiciens arrivent sur scène, que la foule les acclame, et que l’on entend les premières notes…ça c’est un moment que j’aime photographier, le rêve qui commence…Au début de chaque concert, je fais une petite prière pour que tout se passe bien, qu’il y ait un véritable échange entre les musiciens et leur public.
Je me souviens par exemple d’un festival où un groupe africain avait dû jouer en plein soleil, parce que les organisateurs n’avaient pas jugé nécessaire de reporter le concert, et cela a été une catastrophe. J’en avais les larmes aux yeux, là en l’occurrence il s’agissait d’un rêve brisé. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour les artistes que je photographie, ils ont énormément d’importance à mes yeux. J’aime les voir satisfaits, j’aime que l’on prenne soin d’eux.
Qui décide des musiciens que vous photographiez ?
Cela dépend, parfois il s’agit de photos de commande, parfois ce sont les musiciens eux-mêmes, ou leurs producteurs, qui me demandent de les photographier. Et puis il y a bien sûr un choix personnel !
Vous arrive-t-il de suivre des musiciens en tournée ?
C’est déjà arrivé, mais je ne les suis que quelques jours, pas sur toute la tournée. Je couvre aussi des festivals, ce qui permet de faire des photos d’autres instants que la scène, des photos plus intimes.
Êtes-vous touché de l’accueil réservé à « Musafrica » par le public ?
Oui, bien sûr, parce que c’est un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps. A travers cette exposition, je voulais montrer ce que l’artiste peut être, aussi bien sur scène que dans le privé.
L’exposition a tout d’abord été présentée aux rencontres photographiques de Bamako en 2001, puis nous avons décidé d’en faire un livre, illustré par des textes de Frank Tenaille(1). Aujourd’hui elle est présentée dans des centres culturels, des écoles, et je donne parfois des conférences sur le thème de la musique africaine pour l’accompagner. J’aime aussi voir sur les visages les émotions que suscitent mes images. Enfin, lors des vernissages, certains musiciens viennent parfois avec leurs instruments : on peut alors assister à des concerts improvisés. Ce sont des instants riches.
Pourquoi avoir choisi ce lieu d’exposition, « La Bellevilloise » (2) ?
C’est important pour moi d’exposer dans un espace multiculturel. J’ai toujours considéré que la musique était liée à la nature. J’aime cette idée que les gens découvrent mes photos en mangeant, en buvant un verre. Qu’ils lèvent la tête et que soudain ils soient transportés ailleurs, où que mes photos leur donnent envie d’aller voir un concert. Cela correspond aussi à une volonté de Philippe Jupin, qui s’occupe de la programmation. Nous nous connaissons depuis longtemps et nous avions envie de monter ce projet ensemble.
J’aime la Bellevilloise parce que c’est un lieu ouvert, qui est fréquenté par des personnes d’horizons très divers. Récemment on a même pu y voir Ségolène Royal, qui est venue dîner ici après son débat télévisé avec Nicolas Sarkozy. Jack Lang était là aussi, il reconnaissait certains des artistes, mes photos lui rappelaient des souvenirs. C’est un autre public qui est touché lorsque l’on expose dans ce type d’endroits, différent ce celui qui vient dans les galeries. J’aime exposer partout, afin que mes photos soient vues par le plus grand nombre, et afin de faire partager ma passion pour la musique. Je veux provoquer quelque chose, l’essentiel étant que je sois en accord avec moi-même et le lieu.
Peut-on voir vos photos sur Internet ?
Pas pour l’instant en fait, une réflexion est en cours, mais c’est beaucoup de travail, c’est compliqué. Avant de créer un site personnel, je veux réfléchir à son but et à son utilité. Je ne veux pas que ce soit juste une vitrine pour mes photos. Je sais que cela peut parfois être frustrant pour les personnes qui apprécient mon travail, mais c’est un choix. J’aime mûrir mes projets.
Vous faites à la fois des photos en couleurs et en noir et blanc ?
Oui, en effet, l’exposition « Musafrica » exposée à la Bellevilloise regroupe uniquement des photos en couleurs, mais il existe une monographie en noir et blanc parue dans la collection « Afriphoto » (3). J’ai aussi réalisé une autre série de photographies en noir et blanc, sur le thème de la musique et du corps. Cette série, intitulée « Corps Instrumental » sera d’ailleurs prochainement visible à Paris, du 16 mai au 1er juin, à la Heartgalerie.
Quel est le matériel que vous utilisez ?
J’ai commencé par des appareils argentiques, évidemment, d’ailleurs toutes les photos de « Musafrica » ont été prises avec un argentique. Aujourd’hui le numérique permet d’avoir des tirages de grande qualité, donc j’utilise aussi des appareils numériques, mais par contre pour les photos noir et blanc, je préfère utiliser mon appareil argentique, pour différentes raisons, notamment à cause du grain au moment du tirage. Pour moi les images sont forcément liées à un support, c’est aussi cela qui est important.
Est-ce que vous développez vous-même vos photos ?
Je l’ai fait il y a longtemps, parce que c’était une nécessité, mais aujourd’hui j’ai arrêté. Je considère que l’on a chacun notre métier ; je préfère laisser les professionnels effectuer les tirages.
Quelle est la situation de la photographie africaine aujourd’hui ?
Elle est en plein essor, et j’en suis heureux. Les artistes photographes sont de plus en plus nombreux sur le continent africain.
Pour conclure, pourriez-vous nous raconter l’histoire de la photo d’Ali Farka Touré, qui illustre le carton d’invitation de l’exposition ?
En fait cette exposition lui est dédiée : c’était un homme, un musicien extraordinaire. Je tiens beaucoup à cette photo de lui, parce qu’elle représente un instant rare. Elle a été prise au festival d’été de Nantes, en 1990. Cette année-là, le festival était dédié aux musiques du Sahel (Niger, Mali…).C’était une période faste, où l’on pouvait découvrir les musiques du monde. Ce festival n’existe plus aujourd’hui, c’est dommage.
J’avais eu une séance de photos le matin avec Ali Farka Touré, mais je n’étais pas très content de ce que j’avais fait. Je suis passé près de la scène où il faisait sa balance l’après-midi, et je l’ai vu là, tranquille, concentré sur son violon, avec son mégot dans la bouche… je me suis dit voilà, ça c’est un moment à garder… j’ai pris ma photo sans qu’il s’en rende compte, et je suis reparti, discrètement. Je regrette un peu qu’il ne l’ait jamais vue, mais je suis heureux de pouvoir la faire découvrir au public aujourd’hui, parce que ce que j’aime dans la photo, ce sont ces moments hors du temps.

1. « Musafrica », Editions du Layeur
2. Exposition « Musafrica » à la Bellevilloise (http://www.labellevilloise.com/) jusqu’au 23 mai – 19-21, rue Boyer, 75020 Paris.
3. « Corps Instrumental », co-édition Africultures/Filigranes
Exposition « Corps Instrumental » dans le cadre de l’exposition collective « Présences africaines en France, Heartgalerie (http://www.heartgalerie.fr/), du 13 mai au 1er juin 2007 – 30 rue de Charonne, 75011 Paris.
///Article N° : 5934

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Les images de l'article
Kaloum Stars © Bill Akwa bétoté
Antoine Mudanda © Bill Akwa bétoté





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