Des zoos humains aux apothéoses coloniales

L'ère de l'exhibition de l'Autre

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Il est essentiel d’étudier le regard sur l’Autre tel qu’il se manifestait à l’époque coloniale pour comprendre les préjugés encore à l’œuvre aujourd’hui. Le zoos humains en sont un exemple marquant.

Sur beaucoup d’aspects, l’histoire coloniale est aujourd’hui inaudible, inassumable, dans un pays qui s’ouvre à peine ce passé traumatique. Cette impossibilité à le faire surgir tient donc probablement à plusieurs facteurs qu’il convient d’analyser. D’une part, le simple travail du temps, ce fameux « travail de deuil » qui s’opère sur une ou deux générations, n’a pas véritablement commencé (2). D’autre part, l’histoire coloniale remet en question de nombreux référents identitaires qui forment l’imaginaire social. C’est leur remise en question qui pose problème, car elle nécessite une (re)fondation, une (re)formulation de ces mêmes référents, et simultanément impose une réécriture de l’histoire pour rendre compatible l’incorporation de la mémoire coloniale à l’imaginaire social. Ce travail oblige aussi à revenir sur le contexte, le pourquoi de la colonisation. Les zoos humains et leur continuum, du moins leur analyse, s’intègre dans cette démarche.
La mémoire de la colonisation – et de phénomènes comme les zoos humains – a aussi des effets directs et bien réels sur l’histoire postcoloniale en France. Ainsi, à l’aube d’un nouveau siècle, la crise économique, la sédentarisation d’une partie des immigrés, la crispation du modèle d’intégration républicain, l’essor de l’ultra-nationalisme (ou de l’intégrisme) et le rejet d’une immigration d’origine africaine (ou maghrébine), dans le contexte d’une histoire coloniale non assumée, favorise l’émergence d’une double image de référence de l’Autre : celle de l' » étranger-type  » – potentiellement assimilable – et celle de l’immigré-type – prolongement de l’image coloniale de l’indigène-type. Cette double représentation de l’Autre vient supplanter l’image du travailleur-immigré des années 70 et s’impose comme référence, implicite ou explicite, dans le débat sur l’immigration. Différent des Français, il diffère aussi des autres populations étrangères (3). L’origine de cette situation actuelle remonte, à notre avis, au tournant du siècle dernier.
En effet, à travers les zoos humains (4) c’est tout le processus de la pénétration d’un racisme populaire (et colonial) dans les sociétés occidentales que nous pouvons suivre. Théorisée au siècle précédent et touchant alors exclusivement le monde scientifique, en moins de 50 ans, la vision d’un monde structuré selon la hiérarchie des races est devenue l’idéologie dominante en Occident. Le vecteur – média dirions-nous aujourd’hui – fut sans conteste, au-delà de la grande presse et de la littérature, cette « rencontre » fabriquée de l’autre.
Les zoos humains, symboles incroyables de l’époque coloniale et du passage du XIXe au XXe siècle, ont été totalement refoulés de notre histoire et de notre mémoire collectives. Ils constituent pourtant un fait social majeur, puisque c’est par dizaines de millions que des Français, des Européens ou des Américains sont venus découvrir, pour la première fois, le « sauvage »… dans des zoos ou dans des exhibitions « ethnographiques » et coloniales. Ces exhibitions de l’exotique (futur « indigène ») forment la trame sur laquelle se tisse, pendant près de 60 ans, le passage progressif en Occident d’un racisme « scientifique » vers un racisme colonial et « populaire » qui touchera des millions de « spectateurs » de Paris à Hambourg, de Londres à New York, de Moscou à Barcelone…
Sommes-nous capables de prendre la mesure de ce que révèlent les zoos humains de notre culture, nos mentalités, notre inconscient et notre psychisme collectif ? Ces zoos humains, expositions ethnologiques ou « villages nègres » demeurent des sujets complexes à aborder pour des pays qui mettent en exergue l’égalité de tous les êtres humains, et en tout premier lieu, la France républicaine véhiculant les valeurs de la Révolution française. De fait, ces zoos, où des individus exotiques mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve la plus évidente du décalage existant entre discours et pratique au temps de l’édification des empires coloniaux.
Quelle filiation avec les images actuelles de l’Afrique ou des banlieues peut-on voir dans les milliers d’images issues de ces spectacles et largement diffusées alors ? Notre regard, avide d’exotisme, est-il très différent devant la TV réalité et les divers Loft Story qui semblent consacrer une nouvelle ère de l’image en Occident ? Voyeurisme, sensationnalisme, rapport à la différence ou à la normalité, chaque siècle semble avoir les zoos humains qu’il mérite ! Déjà, à la fin du XIXe siècle, quelques récits minoritaires soulignent l’effroi devant de tels spectacles. L’attitude dominante du public est révélatrice d’une mentalité : nombre de visiteurs jettent nourriture ou babioles aux groupes exposés, commentent les physionomies en les comparant aux primates…, telle fut la réalité de ces zoos humains au tournant du siècle.
Les zoos humains ne révèlent évidemment rien sur les populations exotiques ou sur les populations colonisées. En revanche, ils sont un extraordinaire instrument d’analyse des mentalités de l’Occident de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 30. Car ces zoos, expositions et jardins avaient pour vocation de montrer le rare, le curieux, l’étrange, toutes les expressions du non-habituel et du différent, par opposition à une rencontre entre individus ou cultures. Dans cette  » animalisation  » des peuples exotiques par l’Occident, la transgression des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour l’Europe, la civilisation, est un élément moteur. Leur nature d’homme achevé est niée, ils sont donc colonisables, il faut les apprivoiser, les dresser, pour les conduire, peut-être, à l’état d’homme civilisé. Cette mise en scène va concourir à la légitimation de l’action coloniale de l’Occident.
Le plus frappant, dans cette brutale naturalisation de l’Autre, est la réaction des élites. Au cours de ces années d’exhibitions quotidiennes, fort peu de journalistes, d’hommes politiques ou de savants s’émeuvent des conditions sanitaires et de parcage – souvent catastrophiques – des « indigènes » ; sans même parler des nombreux décès de populations peu habituées au climat (comme lors de la présence des Indiens kaliña, en 1892 à Paris). C’est à ce niveau que l’on mesure la pénétration profonde d’un racisme populaire en Occident et que l’on comprend comment, en à peine 30 ans, la grande majorité des Européens a accepté, validé et soutenu l’entreprise coloniale. Dès lors leur devenir paraît tout tracé, puisqu’ils n’étaient que des  » sauvages  » : l’Occident se devait de les amener à la lumière, de les sortir du zoo… où il les avait lui-même fait entrer !
Les zoos humains s’inscrivent dans un contexte spécifique. En effet, au début du XIXe siècle, le besoin de montrer l’Autre, le besoin de l’exhiber dans son contexte naturel ou culturel, s’est accentué avec une rapidité surprenante, très largement liée à la fois au développement de certaines études anthropologiques ainsi qu’à une « curiosité », – attisée par les organisateurs – du public français mais aussi, et surtout, à l’expansion coloniale. Le premier point culminant de cette demande, semble être, en France, l’exposition universelle de 1867 (5). Très vite, ce qui aurait dû rester marginal ou excentrique, devient un genre à part entière, avec l’organisation systématique et régulière de spectacles exotiques en France et dans toute l’Europe (6).
Hormis le Jardin d’Acclimatation, de nombreux autres lieux vont rapidement promouvoir de tels « spectacles » ou les adapter à des fins plus « politiques », à l’image des expositions universelles parisiennes de 1878, 1889 – un « village nègre » et 400 figurants « indigènes » en constitue l’une des attractions majeures – et celle de 1900 avec ses 50 millions de visiteurs et son célèbre diorama « vivant » sur Madagascar ou, plus tard, les expositions coloniales comme Marseille en 1906 et 1922, mais aussi Paris en 1907 et 1931. Des lieux se spécialisent dans le « ludique » comme les représentations programmées au Champ de Mars, aux Folies Bergère ou à Magic City, ainsi que dans la reconstitution coloniale, avec par exemple, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, celle de la défaite des Dahoméens de Behanzin devant l’armée française. C’est dans cette dynamique que se structurent, très rapidement, les « troupes » itinérantes – passant des expositions aux foires régionales -, et que se popularisent les célèbres « villages noirs » ou « villages sénégalais », comme lors de l’exposition de Lyon en 1894. Il n’est dès lors pas une ville et pas un Français qui ne découvrent, à l’occasion d’un après-midi ensoleillé, une reconstitution « à l’identique » de ces contrées sauvages, peuplées d’hommes et d’animaux exotiques, entre un concours agricole, la messe dominicale et la promenade sur le lac.
Mesurer ces « sauvages », les montrer mais aussi distraire un certain public, tout ceci répondait à différentes attentes du moment : la quête d’exotisme, la curiosité, les demandes des sciences de l’Homme. Une longue suite de stéréotypes diffusés par le biais de l’iconographie est alors mise en place ou simplement accentuée. Les zoos humains et « villages nègres » vont devenir les marqueurs d’une époque et se comptent par centaines entre 1875 et 1931. Dans le processus complexe de la construction d’un regard sur l’Autre et d’imaginaire raciste, ils représentent le premier « contact » réel et quotidien entre l’autre-exotique et l’Occident, ou le « nous-civilisé ». Ces zoos sont au cœur des mécanismes qui ont engendré le stéréotype du « sauvage africain ». L’apparition, puis l’essor de la mode pour ces exhibitions d’êtres humains, ressort de l’articulation entre trois processus concomitants : d’une part, la construction d’un imaginaire social sur l’Autre, d’autre part la théorisation scientifique de la « hiérarchie des races » dans le sillage des avancées de l’anthropologie physique et enfin l’édification d’un empire colonial alors en pleine expansion.
L’iconographie est alors un matériau essentiel à la compréhension de ce phénomène et se trouve au cœur de cette étude dans la mesure où ces images, d’un accès plus immédiat pour tous, ont largement circulé et diffusé un « discours » sur les « races humaines », bien au-delà des spectacles « vivants » du Jardin d’Acclimatation. L’objectif initial de tous les organisateurs étant de créer l’illusion de l’authenticité, du tableau vivant, en reconstituant à travers les décors et les spectacles présentés, la vie quotidienne supposée de l’autre. Dans quelle mesure ces « zoos humains » ont-ils alors constitué un carrefour, un lieu de rencontre et de découverte de l’Autre, perçu comme réel, alors qu’il s’agissait d’une mise en scène totalement fabriquée ? Quel rôle ont-ils joué dans la structuration et la diffusion de la pensée raciale ?
Les différences physiques étaient alors pensées comme étant la clé de la classification des « races » humaines. Or les exhibitions ethnologiques ont permis, au tournant du siècle, de pratiquer toutes les mesures nécessaires aux analyses physiques et sociales de ces « spécimens » qui étaient mis temporairement à la disposition des savants. Les anthropologues ont sans doute caressé le projet d’établir par ce biais (mais aussi par les enquête « de terrain » qui se multiplient à la fin du XIXe siècle) une véritable encyclopédie physique capable de contribuer à la théorisation des hiérarchies raciales. Avec l’établissement des empires coloniaux, la puissance des représentations sur l’Autre s’impose dans un contexte politique fort différent et dans un mouvement d’expansion territoriale d’une ampleur inédite. Le tournant fondamental reste donc la colonisation car elle impose la nécessité de dominer l’Autre, de le domestiquer et donc de le représenter. Si, à l’origine (1877), les exhibitions reçoivent explicitement une justification scientifique et sont présentées comme des lieux de rencontre et d’objets d’études sans précédent pour l’ensemble de la communauté anthropologique, la rupture est née finalement de l’importance croissante donnée à ces divertissements appréciés du public, et surtout à leur caractère de plus en plus populaire et théâtral. Par ailleurs, les zoos humains sont considérés comme des vitrines et des instruments, à la fois symboliques et pratiques, de la domination coloniale.
La Grande Guerre représente alors un tournant dans la découverte à l’autre et la mise en scène des populations colonisées puisqu’elle est marquée par l’arrivée massive de contingents de tirailleurs et de travailleurs (maghrébins, indochinois, africains). L’imagerie fait apparaître un nouveau personnage, faisant place au « sauvage-sanguinaire » de la période précédente il s’appuie sur l’imaginaire déjà ancien du supplétif. L’image ambiguë du tirailleur Banania en est la traduction la plus populaire (7). Cet archétype du bon et brave indigène de l’Empire, qui a donné son sang pour la France, s’impose dans le paysage visuel et mental français. Le « nègre sauvage » devient ainsi l’enfant adoptif de la Plus grande France. Lors de l’entre-deux-guerres, qui marque l’apogée de la propagande coloniale en France, les « villages noirs » ne disparaissent pas, les exhibitions non plus, mais ces manifestations s’intègrent désormais dans les apothéoses coloniales que sont les expositions de 1922 et 1931.
En effet, à l’Exposition Coloniale de Marseille en 1922, les « villages noirs », provenant de la plupart des territoires Africains, sont érigés au moment où le genre commence à perdre de sa popularité partout ailleurs en Europe (8). L’Exposition Coloniale Internationale de 1931 représente ensuite l’un des derniers lieux dans lequel des villages ethnologiques ont été recréés et tolérés officiellement, tout en apparaissant dans un contexte spécifiquement colonial. Apogée de ce mode de présentation, l’Exposition de Vincennes fait ainsi l’inventaire de la Plus grande France à travers ses pavillons architecturaux « typiquement indigènes » et les populations issues de l’Empire, venues présenter l’artisanat « indigène » ou jouer des représentations. La disparition des barrières physiques est ici évidente mais la distanciation culturelle n’en est pas moins affirmée. Architecturalement tout d’abord, puisque chaque pavillon représente visuellement la place de chaque partie de l’Empire à la fois au sein de la Plus grande France et sur l’échelle de la civilisation. L’exemple le plus flagrant étant la différence notable entre pavillons de l’Afrique Occidentale Française ou de Madagascar et ceux de la métropole avec à un stade intermédiaire, symbolisé par l’architecture des pavillons antillais, ces « vieilles colonies », où l’assimilation est censée être réalisée depuis longtemps. Humainement ensuite dans la mesure où, bien que réticents vis-à-vis des anciens modes d’exhibition – la présentation des Canaques dans l’enceinte de l’Exposition avait en effet suscité nombre de débats et de larges critiques, révélant alors une opposition à un mode de présentation considéré désormais comme dégradant par les autorités coloniales -, les organisateurs n’en avaient pas moins pour objectif essentiel de cantonner les colonisés dans leur rôle d’acteurs, d’après une mise en scène savamment préparée aux fins de louer le progrès et la civilisation européenne en général et française en particulier. De fait, l’Exposition donne aux Français le sentiment d’un droit de propriété sur les mondes conquis et sur leurs populations, un droit alors consubstantiel à l’idée de nation et à l’adhésion d’une majorité de Français aux idéaux de la République. C’est aussi, au-delà de l’auto-congratulation coloniale, une allégorie efficace et une volonté explicite de définition de l’identité française, capable de civiliser et d’assimiler les peuples placés sous sa conduite. Un génie national (et racial) en quelque sorte, une mission dévolue à la République et, à travers elle, à chacun des Français. En un mot, un destin commun.
Pour que le concept très idéologique du progrès de la civilisation occidentale puisse être accepté à l’intérieur du contexte impérial des expositions, les représentations de l’altérité étaient nécessaires pour mesurer les accomplissements des pouvoirs coloniaux. Pour autant, là où les précédentes expositions avaient insisté sur un jeu de fascination/répulsion, de curiosité et de peur mêlées afin d’attirer le public, celles de l’entre-deux-guerres mettent davantage en scène l’abdication du « sauvage », sa lente mais possible évolution vers la civilisation. Plus que le « sauvage » c’était alors l’artisan, le travailleur qui, grâce à leur guide, mettaient leurs capacités au service de la Plus grande France. Le « sauvage » est alors domestiqué par la puissance coloniale française (9).
Cette exploration de certaines des interdépendances complexes entre phénomène colonial, courant scientifique, et appropriation visuelle des cultures « autres » dans le contexte des expositions ethnographiques et villages indigènes, permet de comprendre comment les populations ainsi mises en spectacle en Occident ont été objectivées, essentialisées, décontextualisées, racialisées, les enfermant dans une arriération immémoriale justifiant la « mission civilisatrice » de la métropole.
Aujourd’hui, grâce à la télévision et aux magazines, on peut contempler chez soi les images de cet ailleurs si différent. On peut aussi retrouver les « autres » in situ lors de voyages organisés par les tours operators qui proposent les nouveaux « safaris humains »… ou tout simplement en regardant nos banlieues (comme hier nos colonies) ! Mais notre regard est-il pour autant, si différent de celui de nos grands-parents ? On peut en douter en constatant que les zoos humains existent encore. A Nantes par exemple, au milieu d’un Safari Parc, un village africain offrait au regard du visiteur à la veille du XXIème siècle les mêmes images qu’hier. Il permettait en outre à celui-ci d’augmenter notablement la fréquentation des visiteurs… et très peu de personnes en ont souligné le caractère choquant. Nous l’acceptons, nos enfants croisent le regard du singe, celui de la girafe… et celui du « nègre » dans le même mouvement : nous sommes toujours des clients avides d’exotisme. C’est cette demande sociale qui contribue à créer l’offre. On nous propose ainsi toujours du monstre et du sauvage. Nous en avons besoin pour nous rassurer, pour définir, non pas ce que nous sommes, mais ce que nous ne voulons pas être. Tel est le constat de la face noire du pays des Lumières, qui affirme dans ses valeurs les plus essentielles l’égalité de tous les hommes.
D’ailleurs, la victoire de l’équipe de France – autre grand moment de ce siècle d’union nationale -, dite métissée, colorée, tranquillement multiethnique, cosmopolite ou universelle, est devenue depuis peu le symbole du « modèle d’intégration républicain » (10) et pourtant, la cérémonie d’ouverture de ce même Mondial a été sans conteste le plus grand show raciste parisien depuis l’Exposition coloniale de 1931 avec ces quatre colosses en polyester (Ho le « jaune », Pablo le « bronzé », Roméo le « Blanc » et Moussa le « Noir ») défilant dans nos rues. Comme hier, le retour – même à travers une volonté « positive » – au faciès et à la race, ethnicise le débat et réaffirme la bipartition occidentale de l’altérité avec le « Blanc » d’un côté comme guide comme ce fut le cas déjà sur l’affiche de l’exposition de 1931 de Bellenger et, de l’autre, les hommes de couleur. D’une certaine manière la frontière tracée entre le visité et le visiteur par les zoos humains fonctionne toujours. Il y a Eux et Nous. A regarder l’actualité de ces dernières semaines et les relations internationales, on peut se demander si le spectacle n’a tout simplement pas quitté le zoo pour mieux entrer dans nos maisons, via la télévision… Il y aurait toujours nous (l’Occident) et eux (l’ailleurs), la « civilisation » d’un côté et la « barbarie » de l’autre. Les frontières sociétales sont dès lors renforcées par un manichéisme mettant en exergue l’altérité.

1. Tous trois historiens, Nicolas Bancel est maître de Conférences (Université Paris XI-Orsay/ UPRES EA 1609/CRESS), Pascal Blanchard est docteur de l’Université de Paris I et dirige les BDM (Paris), Sandrine Lemaire est agrégée et docteur de l’Institut Universitaire Européen de Florence. Responsables de l’ACHAC (Association Connaissance de l’Histoire de l’Afrique Contemporaine) avec Emmanuelle Collignon ([email protected]) – ils sont les auteurs de plusieurs ouvrages sur les représentations coloniales tels Images et Colonies (1993), L’Autre et nous (1995), Images d’empire (1997), De l’indigène à l’immigré (1998), ils coordonnent le programme Mémoire coloniale. Zoos humains (avec Gilles Boëtsch /GRD CNRS 2322 et Éric Deroo) initié par un colloque international à Marseille intitulé Corps exotiques, corps enfermés, corps mesurés, prolongé par différentes actions à Paris d’octobre à décembre 2001.
2. Voir sur ce point notre article « Les pièges de la mémoire coloniale », Cahiers français, La documentation Française, juillet-août 2001, pp. 75-82.
3. Pour plus de développement sur cette question voir notre dossier et nos articles dans la revue Hommes et Migrations, « Imaginaire colonial, figures de l’immigré », n° 1207, mai-juin 1997.
4. Grâce aux récents travaux de Joël Dauphiné sur cette histoire, Canaques de la Nouvelle-Calédonie à Paris en 1931. De la case au zoo, Paris, L’Harmattan, 1998 mais aussi au livre événement de Didier Daeninckx, Cannibale, et à l’histoire de Christian Karembeu concernant ses ancêtres présents à Vincennes en 1931 (Canal + et VSD) ainsi qu’aux recherches menées par l’Achac depuis maintenant deux ans, nous commençons à peine à entrouvrir cette page de notre histoire récente.
5. Voir à ce sujet Paul GREENHALGH, Ephemeral Vistas. The Expositions Universelles, Great Exhibitions and World’s fairs, 1851-1939, Manchester, Manchester University Press, 1988.
6. Nous renvoyons à l’ouvrage collectif BANCEL N., BLANCHARD P., BOETSCH G., DEROO E. et LEMAIRE S., Zoos Humains, Paris, La Découverte, à paraître en mars 2002, qui aborde à la fois la genèse des exhibitions ethnologiques, leur dimension internationale ainsi que l’impact du phénomène sur les sociétés contemporaines.
7. Voir BLANCHARD P. et BANCEL N., De l’indigène à l’immigré, Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 2001, 128 p. (nouvelle édition revue et augmentée).
8. Pour une analyse des expositions coloniales de l’entre-deux-guerres, nous renvoyons à l’article de HODEIR C., LEPRUN S. et PIERRE M., « Les expositions coloniales » in BANCEL N., BLANCHARD P. et GERVEREAU L., Images et Colonies (1880-1962), Paris, BDIC-Achac, 1995, 302 p.
9. Ces aspects sont repris de l’article de LEMAIRE S. et BLANCHARD P., « Montrer, Mesurer, Distraire. Du zoo humain aux expositions coloniales (1870-1931) » in MOUSSA S. (Ed), La construction de la notion de « race » dans la littérature et les sciences humaines (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, L’Harmattan, à paraître 2002.
10. Voir l’article d’Esmeralda dans la revue Quasimodo (Fiction de l’étranger, printemps 2000), United colors of France qui gagne, qui s’attache spécifiquement et avec justesse au discours qui a accompagné la victoire de l’équipe de France. Sujet intouchable, s’il en est un aujourd’hui en France, l’auteur ne signe d’ailleurs son article… que par un pseudonyme.
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