En allant à Saint-Ives

De Lee Blessing

Deux piétas émouvantes de beauté
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Mary : Je suis celle qui est venue à Saint-Ives. Personne d’autre ne l’aurait fait. Je suis celle qui peut vous aider à tuer le monstre qui est dans votre cœur. Je suis votre espoir. Je suis votre honneur. Je suis votre vengeance. (Acte 1, scène 2)

Comment ne pas sortir du Théâtre Marigny, et quitter le Saint-Ives de Lee Blessing sans le cœur chaviré et l’œil embué ? La pièce est étonnante d’efficacité et de justesse, d’évidence et de complexité, la mise en scène de Béatrice Agenin a le naturel de la simplicité et les deux comédiennes qui portent chacune la faille béante de leur personnage sont bouleversantes.
Deux comédiennes, deux femmes aussi, deux mères martyres dont les histoires se croisent tragiquement. Béatrice Agenin n’a pas choisi de mettre en scène une esthétique, mais avant tout de faire passer des émotions et de convoquer un théâtre qui s’appuie d’abord sur la force du jeu. Deux comédiennes qui jouent donc sans autre fioriture, dans un décor simple et poétique pour deux temps, deux espaces : d’un côté l’Angleterre et son petit salon ouaté, son thé, sa porcelaine, ses raffinements et la douleur rentrée de Cora venue à Saint Ives, un village de Cornouailles pour oublier ; de l’autre un pays d’Afrique, la vie rude, sans confort, et la terre là tout près, le sang aussi des victimes d’un dictateur devenu fou et la détermination de Mary une mère qui a choisi de ne pas couvrir les massacres de son fils et d’en finir. Violences urbaines occidentales contre violences guerrières des dictatures africaines ; entre ces deux mondes de violence et d’absurdité la ligne droite de deux femmes, deux mères l’une est européenne, médecin ophtalmologiste de renom international et a perdu son jeune fils, victime d’une balle perdue dans un quartier chaud d’une grande ville américaine, l’autre africaine vient se faire soigner les yeux à Saint-Ives, mais elle a surtout résolu de faire disparaître son fils président tyrannique d’un pays d’Afrique où ses tortures sont sans nom. Elle demande l’aide du médecin pour lui fournir le poison, mais comment un médecin peut-il administrer la mort ? Pourtant ces deux femmes vont trouver un accord dans le sacrifice. Aucune moralité, aucun didactisme dans cette histoire dont l’ouverture pleine d’ambiguïté laisse avant tout entrevoir l’abyme des paradoxes de l’humanité. Elles sont toutes deux d’une grande beauté, des femmes « piétas », condamnées à porter la mort d’un enfant : dignité, générosité et douceur chez la blonde Cora que joue Béatrice Agenin ; noblesse, force et détermination chez Mary que joue Yane Mareine dont la voix impressionnante emplit le théâtre quand elle chante sa douleur. Deux noblesses d’âme émouvantes, et un jeu extraordinaire qui vous tire des larmes. Ce spectacle qui ne propose pas une lecture simpliste des conflits humains et des relations à la vie et à la mort a été présenté au Marigny en automne dernier, mais une reprise s’impose qui ne tardera pas, nous l’espérons.

En allant à Saint-Ives, Une pièce de Lee Blessing
Adaptation française : François Bouchereau
Mise en scène : Béatrtice Agenin
Collaboration artistique : Jean Mouriere
Décor Jacques Voizot
Costumes : Caroline Martel
Lumières : Roberto Venturi
Son : Michel Winogradoff
Avec Béatrice Agenin et Yane Mareine///Article N° : 5899

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Les images de l'article
Yane Mareine © Vincent Flouret
Yane Mareine et Béatrice Agenin © Vincent Flouret





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