Le nouvel objectif d’Afrique en Créations : créer des emplois dans le secteur culturel

Entretien d'Ayoko Mensah avec Olivier Poivre d'Arvor

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Richesses culturelles et développement économique : le thème des Rencontres « Maintenant l’Afrique ! » indiquait déjà la nouvelle tendance de CulturesFrance. Son directeur, Olivier Poivre d’Arvor, la confirme. Le temps n’est plus aux préoccupations et jugements d’ordre esthétique. La nouvelle agence française entend désormais privilégier une approche économique de la coopération culturelle en Afrique.

Quel bilan tirez-vous des Rencontres « Maintenant l’Afrique ! » que CulturesFrance a organisées en octobre dernier ?
Les rendez-vous qui permettent à autant d’acteurs africains et européens de la culture de se rencontrer sont rares. J’en conclue qu’il faudrait peut-être institutionnaliser ce forum : qu’il ait lieu tous les trois ou quatre ans.
Je suis impressionné par les opérateurs africains. Comme je l’avais déjà perçu à Lille en 2000 (1), ils ont une intelligence des problématiques tout à fait remarquable ! Les problématiques sont aujourd’hui identifiées, repérées… On les répète, on les ressasse, on ne fait que tourner autour. Il faut arriver à autre chose…
Ma petite déception, c’est que nous ne sommes pas parvenus à explorer vraiment ces questions de marchés et d’économie. Trop souvent à mon avis, des questions d’ordre esthétique, philosophique ou même politique sont entrées en ligne de compte. Pour les prochaines éditions, il faudrait qu’une partie de ce forum ne soit consacrée qu’aux questions liées à l’emploi, à l’économie, à la création de richesses… Plus qu’un espace de discussion, j’aimerais que ce forum soit un observatoire des métiers et des revenus de la culture. Avec pour objectif que ces emplois et ces richesses contribuent véritablement au développement de l’Afrique.
Dans cette perspective, la culture n’est-elle pas réduite à une simple marchandise ? N’est-ce pas s’inscrire entièrement dans le courant de la mondialisation libérale tant décriée pour ses injustices et ses ravages sociaux ?
On peut se permettre d’avoir ce genre de discours en France car il y a un contrepoids : l’État. On sait qu’il va protéger la création, parfois se substituer au marché. En revanche, concernant les productions culturelles en Afrique, l’État étant absent, je pense aujourd’hui qu’il faut, sans a priori idéologique, faire face à la question du marché. Le discours altermondialiste sur la culture a ses limites.
Pourtant, n’est-ce pas la France elle-même qui a inventé et fait valoir le principe « d’exception culturelle » ?
Oui, bien sûr, la France peut se permettre d’avoir ce discours car il existe ne serait-ce qu’un marché intérieur. Elle est parfois tentée d’imposer sa vision à d’autres. Mais la réalité en Afrique est tout autre. Je suis conscient des critiques que cela va soulever mais je suis partisan d’une approche plus économique du développement culturel en Afrique. Il y a déjà tellement de discours sur le formatage, la « Françafrique », etc. que j’ai envie de compenser cela en ayant une approche radicalement différente. De plus, CulturesFrance et Afrique en Créations doivent rendre des comptes sur l’utilisation de l’argent public qui leur est confié. Cela se traduit par des évaluations. Je dois pouvoir indiquer le nombre d’emplois, de compagnies de théâtre, etc. que nos programmes créent ou soutiennent.
D’autre part, aujourd’hui, la création africaine contemporaine existe. Elle est plébiscitée, parfois décriée… Pour ma part, je la trouve souvent excellente. Bref, elle est là. Il me semble que notre rôle évolue. Notre regard sur cette création, notre jugement de valeur sur les œuvres n’est plus utile. Nous avons été, il faut bien le dire, un peu paternalistes durant la première décennie d’Afrique en Créations. Aujourd’hui, je voudrais mettre en place des critères plus « froids », plus simples, comme celui-ci : en quoi notre soutien contribue-t-il à la création d’emplois dans le secteur culturel ? Pendant toutes ces années, j’ai beaucoup dû répondre de la position d’où je parle. Je souhaite désormais avoir une approche plus pragmatique.
Le développement culturel se joue à différents plans : du local à l’international. Comment comptez-vous intervenir au plan local ?
Je prends un exemple très simple. Pour le moment, nous intervenons essentiellement dans l’aide à la création. Une fois, qu’elle existe, celle-ci vaut de l’argent. Mais qui l’achète ? Rarement un compatriote de l’artiste, sauf à développer un nouveau « snobisme » au bon sens du terme. Il existe un snobisme qui consiste à avoir une belle voiture, de beaux vêtements… Pourquoi n’y aurait-il pas un jour, pas si lointain, une mode d’acheter des œuvres d’art ? Souvent, lorsqu’on organise une réception en Afrique, l’on fait venir des musiciens pour jouer. Pourquoi ne pas, un jour, mettre des œuvres d’art aux murs ? Si l’on peut trouver des mécanismes pour développer le marché local, pourquoi pas ? Pour le moment, le marché n’est pas là. Il est essentiellement au Nord et il n’y a aucune bonnes nouvelles financières à attendre du Sud. Les États et les pouvoirs publics africains, les mécènes et les entreprises ne vont pas se mobiliser davantage. Il faut donc bien aller prendre l’argent quelque part…
L’exemple de la compagnie de danse Salia Nï Seydou est significatif. Une fois sa création terminée, elle part en tournée internationale. Elle récolte alors de l’argent qui est en partie réinvesti dans ses projets locaux : le festival Dialogues de corps et le centre de développement chorégraphique La Termitière à Ouagadougou. Il faut donc que les artistes aillent faire recette à l’extérieur…
Les artistes internationaux paraissent, en effet, de plus en plus soucieux de participer au développement culturel local. Vous écartez toute mobilisation des États. Pourtant, certains d’entre eux font déjà preuve d’une certaine volonté politique en matière culturelle : l’Afrique du Sud bien sûr, mais aussi le Ghana, le Mali ou encore le Burkina Faso….
L’Afrique du Sud présente une économie totalement différente du reste du continent. C’est un autre monde : j’ai tendance à le mettre un peu de côté. Cela dit, les politiques publiques sud-africaines restent encore relativement faibles. Si le marché se développe dans ce pays, c’est parce qu’il y a une classe moyenne locale qui a les moyens de consommer des produits culturels. Concernant le Mali et le Burkina Faso, il y a des artistes merveilleux dans cette région mais l’investissement des États dans le secteur culturel me semble encore très limité, même si la volonté politique est là.
Localement, vous souhaitez axer votre action sur la création d’emplois culturels. Comment allez-vous procéder ?
Il s’agit, tout d’abord, de faire la démonstration aux États africains que la culture est une chose sérieuse, qui justifie la création d’emplois correctement rémunérés. Aujourd’hui, les moyens financiers qui existent au Nord sont très dispersés. Les États ne se mettent pas d’accord entre eux, il y a des problématiques d’ego, nous intervenons tous sur les mêmes thématiques : la circulation des artistes, l’aide à la création, etc.
Il faut se fixer pour objectif la création d’emplois dans le secteur culturel. Pour cela, il faut travailler davantage avec les opérateurs. L’idée serait de signer des conventions avec des opérateurs privés (associations, compagnies, agences, festivals, etc.) qui soutiennent la création d’un certain nombre d’emplois durant une période fixée : trois ou quatre ans. Il s’agit de montrer que les métiers de la culture sont des métiers comme les autres. Être artiste en Europe revêt une certaine forme de prestige social. Ce n’est pas encore le cas en Afrique car ces métiers n’ont pas de statut.
N’avez-vous pas peur que ces emplois soient créés tout à fait artificiellement et qu’ils s’arrêtent le jour où cesseront les subventions ? On en revient à l’importance de développer les marchés locaux et régionaux pour garantir une certaine pérennité des emplois. Dans ce cadre, pourriez-vous apporter un soutien à la mise en place de politiques culturelles locales ou régionales ?
Je suis assez méfiant vis-à-vis des politiques publiques. Prenons l’exemple du Sénégal. Je suis allé rencontrer le ministre de la Culture pour voir comment nous pourrions soutenir la Biennale de Dakar. Mais cela s’est avéré compliqué. Sept ministres différents ont été nommés depuis que je dirige l’Afaa/CulturesFrance. C’est difficile d’avancer lorsque les interlocuteurs changent aussi souvent. Cela dit, je serais tout à fait favorable au soutien d’organisations professionnelles, comme les bureaux de droits d’auteur.
Comment allez-vous sélectionner les opérateurs qui bénéficieront de ces conventions ?
Prenons un exemple précis. Nous avons des manifestations dont nous sommes coproducteurs comme les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien ou les Rencontres photographiques de Bamako. Jusqu’à alors, on assignait à ces manifestations des objectifs d’ordre esthétique : montrer le meilleur de la photographie ou de la chorégraphie africaines. Les expositions de Bamako sont d’excellente qualité : on pourrait les montrer dans les prestigieux festivals internationaux comme celui d’Arles. Le problème est que ces expositions ne rencontrent pas assez de public à Bamako.
Désormais, le critère pour Bamako ne sera pas d’éblouir le monde ou les quinze journalistes français invités mais d’avoir une approche économique de l’événement. Pendant qu’elle se déroule mais aussi pendant ses mois de préparation, cette biennale doit créer des emplois, notamment dans le domaine de la médiation. Il y a beaucoup à faire entre les artistes qui sont présents et le public. Il s’agit aussi de faire travailler ou de développer sur place des métiers : encadreurs, tireurs, etc. Enfin, il faudra évaluer tout cela en termes d’impact économique. Je souhaite que nous transférions un maximum de compétences dans les pays africains. Par exemple, nous n’allons pas produire les prochaines rencontres chorégraphiques comme nous le faisions auparavant. Nous allons nous appuyer sur un festival déjà existant : les Rencontres chorégraphiques de Carthage dirigées par Syhem Belkhodja.
Cette perspective de création d’emplois ne nécessite-t-elle pas l’implication du secteur privé et notamment des grandes entreprises locales ?
Le mécénat culturel des grandes entreprises françaises implantées en Afrique est quasi inexistant contrairement à d’autres régions du monde : aux États-Unis, en Chine ou au Brésil. Nous allons essayer de jouer le rôle de rassembleur financier. Je pense qu’il est plus facile d’impliquer les entreprises dans un programme de création d’emplois que dans le soutien à la création en Afrique. Nous allons aussi créer des bourses d’encouragement au développement d’entreprise qui pourraient être cofinancées par un partenaire privé. Les risques étant grands, nous soutiendrons sans doute des structures qui existent déjà.
L’un des défis actuels semble, en effet, de parvenir à réunir pouvoirs publics, coopération internationale et secteur privé dans une approche concertée du développement culturel…
Oui, en effet et CulturesFrance peut avoir une valeur d’exemplarité dans sa capacité à monter des partenariats privé-public. C’est pourquoi, il faudra organiser des plate-formes professionnelles en Afrique. Mais il faut qu’il n’y ait pas seulement des ministres de la Culture qui y assistent mais aussi des ministres de l’Économie et des Finances. On pourrait organiser dans chaque pays une journée consacrée à la création d’emplois dans le secteur culturel qui rassemblerait ainsi l’État, les bailleurs de fonds – notamment les ambassades occidentales – et les opérateurs intéressés.

1. Cf. Rencontres internationales « Territoires de la création : artistes, institutions et opérateurs culturels. Pour un développement durable en Afrique. », 26, 27, 28 septembre 2000 à Lille. Cf. Bibliographie en fin de dossier.///Article N° : 5828

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