à propos de La Vie sur Terre

Entretien d'Olivier Barlet avec Abderrahmane Sissako

Cannes, mai 1998
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Je suis frappé par la continuité de La Vie sur Terre avec Rostov-Luanda et même Octobre, dans la place donnée à l’implication personnelle.
Quand on fait ce métier, on a profondément envie de dire des choses et je crois que la meilleure façon est de parler de soi ou autour de soi. C’est la meilleure façon de se rapprocher de l’Autre. Des similitudes existent mais chaque film est un apprentissage, une leçon de la vie. Quand je m’approche de ceux que je veux filmer, j’ai en moi une confusion qui s’éclaircit petit à petit : ce qui me manque, je le trouve chez l’Autre et je le prends. Je me reconnais aussi en lui et je m’accepte davantage. C’est ce qui me paraît fondamental dans le regard. A Sokolo, mon père m’a donné une leçon. Je voulais le filmer et il m’a fait comprendre que pour parler de lui, il me fallait filmer les autres. Je ne savais pas trop où j’allais et je n’ai eu à convaincre personne de me faire confiance.
C’est ce que tu exprimes à la fin du film : cette attente d’une solidarité dans le monde qui serait à la fois reconnaître quelque chose de soi chez l’Autre et quelque chose de l’Autre chez soi.
Complètement. C’est pourquoi je souhaite que ce film soit un hymne à la justice, à l’amour, à la justice, au partage, au respect, compris comme philosophie de la vie, pas spécialement africaine, une vie sur terre possible même en un lieu où l’on touche difficilement la terre.
Douceur du regard sur les gens et violence du texte de Césaire font un couple se répondant sans cesse.
Absolument, car il fallait coûte que coûte éviter de donner l’image magnifique d’un village tranquille ! Sokolo, c’est la douleur ! C’est aussi le rejet de ceux qui l’ont abandonné. Et Sokolo est sensible à l’indifférence des Autres ! Cette mort qui clopine, comme le dit Césaire. Il fallait construire une harmonie entre les deux termes.
D’où l’importance donnée à la communication notamment téléphonique avec l’extérieur ?
L’intention de communiquer est plus importante que la communication elle-même. Quand on a décidé de parler à l’Autre, le geste d’amour est fait. Si quelqu’un cherche à me parler, j’existe pour lui. A aucun moment on entend la réponse de l’Autre. Pour la radio c’est pareil : il ne faudrait pas que RFI croie qu’on les comprend toujours ; c’est le geste d’écoute qui importe. Et cela montre à quel point la culture africaine est universelle et le prouve à tout moment.
Tu cites Césaire en début de film :  » la vie n’est pas un spectacle « . N’est-ce pas contradictoire avec le cinéma ?
J’essaye de ne pas faire un spectacle. L’Afrique a si souvent été filmée de façon spectaculaire. La douleur de l’Autre ne peut être un spectacle.
Tu le cites encore :  » L’Europe se surestime « …
Mon cinéma n’est pas révolutionnaire mais il faut dire les choses, dans l’amour de l’Autre mais sans les taire ! Le pardon symbolique n’a pas eu lieu. Elle glorifie maintenant ceux qui ont aboli la traite négrière. Elle n’arrête pas de se surestimer…
Pourquoi la jeune fille a-t-elle le visage triste ?
Elle représente l’énergie, la beauté, la femme qui va au devant des choses, son courage, son audace. Mais je ne voulais pas qu’un sourire de nana en permanence gomme ce qu’elle peut avoir de triste et que j’ai peu sentir. Je cherche toujours une mesure, un équilibre.
 » La force n’est pas en nous mais au-dessus de nous « , dit encore Césaire…
Je ne sais pas si c’était ce que voulait exprimer Césaire… Je comprends que nous n’avons pas la force aujourd’hui mais que nous la voyons et tendons vers elle. Ce que j’essaye par ce film qui est parfois un cri mais surtout un chuchotement, d’autres le font tous les jours dans leur quotidien. Je ne suis pas au devant des combats. Ma forme est visible mais d’autres ont plus de mérite.
Tu t’habilles dans le film avec un habit que ne portent pas beaucoup les locaux.
Je fonctionne sur le hasard, le clin d’œil, le jeu de l’Autre. Quand je suis parti de Bamako pour aller à Sokolo, ma mère m’a offert ce costume. Et le chapeau m’a été offert à Sokolo. Tout le monde le porte sous le soleil. Mon oncle a offert à toute l’équipe un chapeau… Cela fait partie du chemin du retour, de valoriser ce qu’on a.
Tu disais dans Rostov-Luanda que tu fais partie d’une génération qui croit encore en l’avenir. On a l’impression que tu le répètes dans ce film…
Je disais à Raymond Depardon, à propos de son film Afrique, comment ça va avec la douleur ? qu’on ne peut pas souffrir plus que ceux qui souffrent vraiment. J’ai vu à Sokolo des gens qui souffraient mais ne se plaignaient pas. Chaque rencontre est une leçon. C’est ça l’espoir.
Et tu mets une autre phrase de Césaire en encart :  » l’oreille collée au sol, j’entendis passer demain « .
L’An 2000 est déjà là. L’avenir est déjà présent. Mon oncle souhaite moins souffrir que l’année précédente. Je voudrais que mon film aiguise un sentiment de responsabilité et de partage.
Tu as tenu a exprimer cette demande d’aide dans le film.
Elle est demandée dans l’intimité d’une lettre à son frère. L’aide, c’est le partage. Je peux aider car quelqu’un, hier, m’a aidé. C’est une chaîne de partage.

///Article N° : 469

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