« L’Aventure ambiguë » de l’art conceptuel

En partenariat avec le Dak'Art
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Quand les goûts et les modes de création évoluent très vite, dans un émiettement qui prend de vitesse les éclectismes les plus laxistes, la définition même de l’art a tendance à perdre de son évidence.

Transposer le débat politique et social dans l’art
Ces penseurs, concepteurs ou artistes installateurs en général, ont exprimé à travers divers supports les aspirations fondamentales qui ont toujours inspiré ou accompagné l’image que les Hommes se font d’un monde meilleur. Ces aspirations sont relatives au bien-être, à la sécurité, à la justice sociale. Par son pouvoir intellectuel, l’installation contribuerait ainsi à l’émergence et au triomphe des causes justes. Incrustation réaliste de figures ou d’événements historiques par quoi s’opèrent des changements politiques et sociaux, elle a la possibilité d’exalter des repères réels, relais objectifs par lesquels les forces du changement prennent conscience d’elles-mêmes. Le traitement formel appliqué à ces photos, images, coupures de presse et textes ajoute à cette note d’objectivité une charge encore plus forte.
Dans son installation  » Weernadé  » (divagation, épanchement), l’artiste sénégalais Cheikhou Bâ parcourt un monde physique et métaphysique à travers toutes ses formes de création. Entre cet espace ouvert de l’installation et celui, clos, de la feuille de papier, Cheiky, comme l’indique sa signature, se transforme en metteur en scène de nos  » âmes préoccupées « . À travers ses dessins de personnages anthropomorphes coincés dans des cadres noirs qui se déroulent comme des négatifs de films, ses corps sculptés, entassés, qui rappellent le drame du  » Joola  » (ce bateau sénégalais qui a sombré le 26 septembre 2002 au large des côtes gambiennes, faisant près de deux mille morts), il tend à la société le miroir de ses maux. Le courant conceptuel sénégalais ne s’arrête pas à l’œuvre de ce jeune artiste. L’installation de Soly Cissé, présentée dans le cadre de l’exposition Africa Remix à Paris et retraçant l’itinéraire d’un jeune soldat au front, rappelle les conflits qui existent de par le monde, comme pour dire :  » Arrêtez de nous faire souffrir ! « . Dans  » Mbënd Mi  » (inondation) Auro Nalla Ndiaye, dans un savant jeu de démultiplication de figures sculptées, décline des corps aux caractéristiques semblables, tous différents les uns des autres, mais qui partagent une seule et même préoccupation : survivre !
Sur toiles installées, sur vidéo ou à travers des sculptures théâtralisées, l’écho du monde envahit totalement  » l’œuvre-vie  » de ces artistes installateurs sénégalais. Loin de faire du suivisme comme le pensent certains spécialistes de l’art contemporain, les artistes africains pour qui les moyens et supports esthétiques traditionnels ne suffisaient plus pour exprimer de façon adéquate la complexité de la nouvelle réalité africaine, ont trouvé dans l’installation le support idéal leur permettant de transposer le débat politique et social dans l’art. Tant mieux s’ils parviennent à chausser avec audace et sans complexe ce  » grand soulier  » appelé  » art conceptuel  » qui leur va si bien et qui leur permet ainsi de faire leur entrée dans le marché international de l’art. Pour une fois, l’artiste africain n’a pas besoin d’avoir une fenêtre en Afrique pour exister en Occident. Il n’est, en effet, recherché dans son œuvre aucun aspect de cette  » authenticité  » qui reste à définir et qui fait  » Afrique  » comme ont dit. Tant mieux si, loin d’un quelconque jardin exotique, le créateur africain éclaire notre chemin de son génie et nous entraîne grâce à la force de son imagination et de sa capacité d’initiative. Et tant mieux si au-dessus des intérêts mercantiles, l’installation permet aux artistes africains d’appartenir au village global sans cesser d’être des membres de leur village local.
Loin de nous l’idée de sous estimer les difficultés de réception de l’installation et celles qui sont liées à la logistique qu’elle implique pour un collectionneur d’art et qui fait qu’elle est réservée aux collections des Musées. Enfin le coût de ces œuvres empêche bon nombre de collectionneurs privés de s ‘en porter acquéreurs. Mais ces difficultés n’enlèvent rien à la force conceptuelle de cette modalité d’expression visuelle. Au contraire, elle porte en elle un potentiel d’expression et de communication avec le plus large public, à condition que ce dernier soit formé ou informé des nouveaux paradigmes de l’art. Et plus que le débat biaisé qui est posé, c’est là où réside le véritable enjeu du développement et de la réception des arts visuels en Afrique.

Depuis toujours, il y a eu très souvent une vive tension entre les goûts (divers par essence), les modes (changeantes par définition) et les courants artistiques (évolutifs par essence). Aujourd’hui plus encore qu’autrefois, il n’est pas rare de constater de la part de certains professionnels une volonté délibérée de vouloir enfermer l’art dans ses supports traditionnels, à savoir la peinture et la sculpture. Cette conception étroite tranche tout débat du haut de sa propre autorité, au nom de la protection de ces disciplines artistiques. Ces  » protecteurs  » de l’art se font ainsi les gardiens du temple désireux de protéger les arts visuels de toute innovation ou de tout ce qu’ils considèrent comme une déviation. Ainsi, selon certains spécialistes, l’art contemporain est dans une impasse, centré sur une prétendue auto complaisance présentée comme une catastrophe intellectuelle. Or, si l’art est éducation du sensible, ses  » protecteurs  » considèrent qu’il doit être préservé de formes nouvelles comme les installations ironiquement présentées comme  » médiatiquement correctes « . Ainsi caricaturée, l’installation est assez contestée dans le Monde de l’art. Qualifiée la plupart du temps  » d’extrême-contemporain « , elle fait pourtant sortir l’art des galeries et autres espaces conventionnels et le présente au cinéma, dans la danse, dans l’art vidéo…
Cependant,  » l’art contemporain « , entendu dans ce sens intolérant et étroit, est devenu l’idéologie officielle de certains critiques d’art, commissaires d’expositions. Qu’elle soit numérique ou théâtrale, l’installation est, de toutes les formes contemporaines de création, le seul ou du moins le principal secteur dans lequel des artistes africains se sont distingués à plusieurs reprises comme… les égaux des meilleurs. En effet, l’art contemporain du continent africain subit de nos jours un bouleversement esthétique notoire. Les paramètres traditionnels de la peinture et de la sculpture cèdent de plus en plus de place aux installations. Loin d’être des pamphlets, les installations du Béninois Romuald Hazoumé, du Camerounais Pascale Marthine Tayou, du Sud Africain Andries Botha, pour ne citer que ceux-là, expliquent le Monde au monde à travers cette forme de création. Au Sénégal, des artistes comme feu Moustapha Dimé, Ndary Lô, Serigne Mbaye Camara, Viyé Diba ou Auro Nalla Ndiaye, transposent le débat social dans l’œuvre d’art. Ils sont, semble-t-il, tous favorables à un retour à la simplicité. Ainsi utilisée comme document social, l’œuvre d’art devient plus accessible au public.
* Membre du staff de la Biennale de Dakar///Article N° : 4399

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