« Qui connaît un métier peut en vivre et en faire profiter un pays »

Entretien d'Aline Assankpon avec Jean Odoutan, à propos de l'édition 2006 de Quintessence, le Festival international de cinéma de Ouidah.

Print Friendly, PDF & Email

Cinéaste béninois, Jean Odoutan est l’initiateur et délégué général du Festival international de Cinéma de Ouidah, Quintessence. Au terme de la 4ème édition de ce festival (7-11 janvier 2006), une rencontre-bilan à son domicile à Ouidah.

 » La culture sans ma culture m’acculture  » : ce slogan mis est-il un raccourci de votre ambition ?
Jean Odoutan : (Rires…) C’est un slogan qui veut dire ce qu’il veut dire : dans le magma culturel de la mondialisation, il faudrait que nous trouvions notre place. Nous n’y existons pas. Il nous faudrait savoir qui nous sommes et nous créer notre propre identité. C’est ce qu’on essaie de démontrer avec le festival Quintessence qui cherche à se démarquer des autres organisés dans la sous-région.
Quel bilan en dressez-vous ?
On est contents. Si on nous avait dit un jour qu’on arrivait là, personne ne l’aurait cru. Il y a eu beaucoup de monde. Nous avons organisé cinq ateliers qui se sont bien déroulés, avec la participation de nombreux jeunes, notamment aux ateliers de son, de praxinoscope et d’animation. Certes, les films choisis par le jury nous ont désorientés mais il est souverain : c’est la loi démocratique.
Cette année, nous avons séparé des ateliers d’initiation et d’autres de perfectionnement, à destination de ceux qui vont avoir des badges de cinéma, ayant déjà participé 3 ou 4 fois au festival et qui participent chaque fois aux ateliers. Nous avons organisé des tables rondes dont l’une était consacrée aux enjeux d’une école de cinéma au Bénin et une autre sur les rapports entre un auteur, un écrivain, un réalisateur et un producteur.
Grosso modo, ça va, même si on peut nuancer mes propos puisqu’il y a eu des ratés. Nous avons connu beaucoup de difficultés au début, notamment les coupures intempestives de l’électricité. Ce qui fait que le premier jour, nous n’avons pas pu passer les deux films programmés. Le deuxième jour, tout le matériel est tombé en panne en raison de ces coupures. Il a fallu réparer alors que c’est du matériel neuf et acheter un tas de pièces pour que tout se déroule normalement. C’est notre pays. Nous allons essayer en 2007 de corriger quelques erreurs « fatales ». Mais dans l’ensemble, le public est content, le jury et les invités sont repartis satisfaits.
Un réalisateur s’est insurgé contre le fait que les spectateurs restent debout ou assis à même le sol pour suivre les projections.
Les projections se sont déroulées en six lieux : l’amphithéâtre de l’IRSP (une salle climatisée de 300 places) ; l’amphithéâtre 10, où il y a des fauteuils ; la salle Quintessence où il y a les meilleurs fauteuils de cinéma au Bénin (une petite salle de paille en toit de chaume) et trois lieux de projection en plein air dans la ville. Qui dit projection en plein air, dit sans siège… En France aussi, en plein air, on s’assoit par terre, à la Villette à Paris par exemple.
Le festival a-t-il innové cette année ?
Oui, nous avons voulu mettre l’accent sur la formation. Le 11 janvier, jour de la clôture, nous avons inauguré l’Institut cinématographique de Ouidah – ICO qui a ouvert ses portes le 16 janvier et où douze jeunes sélectionnés commencent une formation avec deux intervenants : Claude Bataille et Jean Michel Kibushi.
Le festival coïncide chaque année avec la fête de Vaudou du 10 janvier. La présence de nombreux réalisateurs, de grands noms du cinéma, de groupes professionnels, permet de nouer contrats et partenariats. Séraphin Zounyekpe, photographe béninois, ira ainsi à Berlin pour présenter Quintessence dans le cadre de « Campus à Berlin ». L’année dernière, c’était Sylvain Adjahossi. Notre ambition est de pouvoir ainsi vendre notre cinématographie et notre culture à l’étranger.
Le fait que le festival soit basé à Ouidah et non à Cotonou est–il un handicap incontournable ?
Moi, je crois que c’est un atout. C’est un havre de paix, sans la pollution de Cotonou. Ceux qui pensent que Ouidah est un village font insulte à une ville historique qui a été l’un des plus gros comptoirs de la traite du bois d’ébène. Le festival de Cannes n’est pas dans une grande ville mais il a trouvé sa place. Cela a mis du temps.
Quels sont les enjeux des ateliers, tables rondes et débats ?
Les cinq ateliers ont été essentiellement financés par Africalia, une association belge. Nous avons essayé de respecter le cahier des charges soumis, mais comme beaucoup d’invités qui avaient donné leur accord pour les animer ne sont pas venus, ce ne fut pas très simple. On leur téléphone la veille, on leur paye leur billet d’avion et ils ne sont pas là ! On les a remplacés par des gens qui n’avaient pu préparer mais quand même, les jeunes ont été nombreux et contents. Du côté des institutions, on aimerait bien avoir la présence de l’Union européenne, notamment en lien avec les programmes de soutien aux initiatives culturelles décentralisées. C’est la première fois que c’est organisé au Bénin et nous comptons dessus.
Ces absences doivent ne grèvent pas trop votre budget ?
C’est vrai que les billets sont déjà achetés, mais c’était prévu dans le budget. C’est leur présence qui nous fait défaut. Je sais que lorsqu’on fera le point, on risque de trouver quelques dettes, mais ce sera moins catastrophique que l’année dernière !
Sur quel financement et avec quelle équipe démarrez-vous l’ICO ? Ce n’est pas casse-gueule ?
Dès qu’on organise quelque chose dans notre pays, c’est casse-gueule ! Ce n’est pas forcément casse-gueule de monter une école de cinéma. Quand on a créé Quintessence, on nous a aussi dit que c’était casse-gueule ! L’école a démarré le 16 janvier avec 12 étudiants béninois. L’école est destinée à tous les Africains et certains sont inscrits, mais on a opté cette fois pour ces 12 jeunes pour des raisons financières. Les gens qui viendront donner des cours sont des professionnels du cinéma ; ils sont aussi bien africains qu’européens. Ceux qui vont ouvrir l’école sont Claude Bataille, spécialiste de praxinoscope et de film d’animation, et Jean Michel Kibushi.
Les financeurs seront à nouveau l’Agence de la Francophonie, Africalia, l’Union européenne, le ministère français des Affaires étrangères, la Ville de Ouidah, le Centre national de la Cinématographie (CNC) en France et des partenaires du Festival comme Vues d’Afrique ou le Fespaco qui a été représenté par son délégué général Baba Hama.
Il y a déjà au Bénin une école de cinéma, le FIWE : comment les différentes démarches s’articulent telles ?
Son animateur a travaillé avec nous au début. Il a été chef opérateur sur tous mes films et a participé à la première édition de Quintessence. C’est du bluff de dire qu’il existe une école de cinéma au Bénin. C’est quelque chose qui est là pour nous faire de l’ombre. Il n’y a pas que lui ! J’ai ramené des gens dans notre pays pour essayer de construire quelque chose collectivement et ils se l’accaparent pour dire ensuite qu’ils en sont les instigateurs, les initiateurs. Bon, je pense que les gens vont vite voir qui agit, qui dit la vérité ou qui raconte des conneries.
Quels sont vos rapports avec l’administration béninoise ?
Je sollicite un peu les politiques, ils répondent mais pas toujours. Quand on fait de la culture et qu’on est un aventurier, on n’attend pas grand-chose des politiques, surtout dans nos pays, car la priorité n’est pas la culture. La culture pour eux, c’est un truc réservé aux gens qui n’ont pas faim, ceux qui sont rassasiés.
J’ai appris mon métier, j’en vis, j’ai organisé Quintessence ici et je fais vivre beaucoup de gens. Je fais vivre une ville et je fais parler d’une ville et d’un pays. Il faut comprendre que ce n’est pas de l’amusement, quand on fait du cinéma ou quand on est réalisateur ou comédien.
On ne vous voit plus faire des films alors que vous aviez un bon rythme !
Effectivement, je voulais qu’on bâtisse quelque chose de très fort ici pour qu’on entende parler de notre pays. Dans le domaine cinématographique, le Bénin était inconnu. Maintenant, grâce à Quintessence, il y a des grands noms du cinéma qui débarquent à Ouidah. L’ICO ira dans le même sens et on en entendra parler par rapport à la pédagogie et d’une école à fort potentiel. Cela fait cinq ans que je travaille à mettre en place cette structure. En tout cas, cette année je ferai tout pour réaliser mon prochain film qui sera entièrement tourné ici à Ouidah.
Vous ne manquez pas d’énergie !
Créer un festival, une école, c’est – comme j’aime à le dire – initier les analphabètes du 24 images par seconde de notre pays, pour qu’il y ait des noms de cinéma. C’est vrai qu’on entend parler de Jean Odoutan par-ci, par-là. Mais, j’aime aussi qu’on dise Jean Odoutan, réalisateur béninois. Je suis un Béninois, mais malheureusement, il y en a qu’un qui a été réalisé ici, les trois autres à Paris. Ce que je veux, c’est qu’il y ait des gens d’ici qui fassent des films qui parlent de notre culture. Et je ferai tout pour y arriver. Je me suis équipé d’un peu de matériels pour qu’on puisse raconter notre histoire. Quand Sylvain Adjahossi est allé avec son film à Berlin, c’était une histoire qu’il a tournée avec Séraphin Zounyekpe dans le village de mon père, Gbagbomey, qui n’est pas très loin de Ouidah. Ils ont tourné sur le marché de Zobè, en y mettant une musique toute simple et cool comme je leur avais conseillé. Ce sont ce genre de petites choses que je veux mettre en avant pour faire bouger notre culture.
Vous habitez en France et faites beaucoup de choses au Bénin. Comment vous situez-vous entre les deux pays ?
Je suis partagé effectivement entre ces deux pays. Je suis resté longtemps en Europe, et comme j’ai acquis une petite notoriété, je voulais en faire profiter mon pays. Actuellement, je suis six mois en France et six mois au Bénin. Avec l’Ecole, je suis obligé de venir ici souvent pour que les choses bougent. Mais c’est en France qu’il faut chercher l’argent et mes enfants sont là-bas, encore tout petits, il faut que je sois avec eux de temps en temps, pour leur donner un peu d’amour paternel. Sinon, je pense qu’on a tout dans notre pays pour qui sait se débrouiller et qui est malin. Mais j’ai démarré en France, j’ai semé des graines, il faut les arroser pour que ces graines poussent.
Quelle star (acteur ou actrice) accepterait de travailler avec un provocateur comme vous ?
Moi ? Je ne suis pas provocateur ! Les gens, quand on leur dit deux ou trois choses, ils disent que c’est de la provocation, de la mégalomanie. Moi je crée, je bosse avec plein de gens, des comédiens et comédiennes. Il y a en qui désirent bosser avec moi. Pour l’instant, comme je n’ai pas de projet pour eux, ils attendent. Sinon, je préfère des gens qui ont une forte personnalité, sinon ça ne m’intéresse pas.
Quelles sont vos influences cinématographiques ?
Je n’ai aucune influence. Je me suis nourri de beaucoup de films de grands noms du cinéma. Mais est-ce que je suis influencé par leurs oeuvres inconsciemment ? Je ne vais pas vous citer des noms. J’aurai préféré ressembler à un grand réalisateur africain, mais comme il n’y en a pas… J’essaye plutôt d’être la personne à qui on ressemblera plus tard !
Quel métier auriez-vous fait si vous n’aviez pas été comédien ou réalisateur ?
J’aurai été prof, parce que j’ai fait des études de sociologie. La pédagogie m’a toujours attiré, et j’ai exercé un peu aussi le métier de professeur en France. Je pense que je terminerai professeur en sagesse, quelqu’un qui a des choses à donner !
Un prochain film pour quand ? Le titre ?
Je ne sais pas encore, parce que trois titres me trottent dans la tête : « Pim Pim Tché« , « La porte du non-retour » et un autre que j’oublie. Je ne sais pas encore lequel choisir. Mais je sais que c’est vers la fin de cette année qu’on va tourner ce film, ici à Ouidah. Et comme souvent les films durent minimum trois mois, on va commencer en octobre et finir en janvier 2007.

Entretien publié en partenariat avec le mensuel Continental.

Les Trophées de la 4ème Edition de Festival international de Cinéma de Ouidah, Quintessence.
Le Grand prix du festival le « Python royal » est décerné à Fanta Régina Nacro (Burkina Faso)  » La Nuit de la vérité  » – 100 mn
Le Python de Children, Prix du public, est allé à  » Les Habits neufs du gouverneur  » de Mweze D. Ngangura – 85 mn (Belgique- RDCongo).
Le Python Pygmée, Prix du court métrage a été décerné à Maëva Poli (France) pour son court métrage  » 7000 km plus loin  » – 23 mn.
Python Papou, Prix du documentaire a été décroché par Idrissou Mora-Kpaï (Béninois) pour le documentaire  » Arlit, deuxième Paris  » – 78 mn
Le Python à Tête noire, Prix du Scénario a été enlevé par Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy (Belgique/France) pour  » L’Iceberg « – 84 mn. ///Article N° : 4280

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire