Gabon : La littérature gabonaise vue de Yaoundé

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Vu du Cameroun, il faut dire que c’est une littérature qui reste difficile à apprécier, parce que très peu ou très mal ou pas du tout connue. Madame Stella Engama, écrivain et présidente des Amis de la littérature que j’ai interrogé récemment sur la question m’a spontanément donné son sentiment de cette littérature qu’elle trouve exotique. A la radio où nous sommes quelquefois passés pour parler de cette littérature, en dehors de André Walker Raponda qui est quelquefois évoqué, les journalistes camerounais ne sont pas au courant de ce qui se produit en matière de littérature de l’autre côté du Ntem. Pour ma part, je dois avouer que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à cette littérature lorsqu’il n’y a pas longtemps la Ronde des Poètes a reçu Ernest Hyacinthe Do-Rego, un poète inédit venu de Libreville pour honorer un rendez-vous du café des poètes de Yaoundé. La venue de Chantal Magalie Mbazoo-Kassa en novembre 2004 à Yaoundé comme invitée spéciale de la huitième rentrée littéraire et artistique de la Ronde des Poètes m’a renforcé dans l’expérience d’une littérature qui gagne à être davantage connue au Cameroun et partout dans le monde. J’avais jusque là lu des poètes gabonais dans des anthologies sans vraiment m’arrêter sur eux. D’habitude, en dehors des poètes camerounais, on s’arrête sur le poète congolais, sénégalais, béninois, et ivoiriens, dans une moindre mesure. Au Cameroun, on connaît surtout la musique gabonaise : Pierre Claver Akendengué, Hilarion Nguéma, Angèle Asselé, Patience Dabani…Nous connaissons aussi le président de la République du Gabon, dont nous ne sommes pas insensibles ici au franc parler, au rôle effectif qu’il joue sur la scène politique africaine et à son légendaire paternalisme dans sa relation avec son peuple. Les hommes de lettres de ce pays ne nous sont pas encore parvenus, comme nous sont parvenus les Henri Lopès, Sony Labou Tansi, Amadou Kourouma, Eustache Prudencio, Ken Bugul, Edouard Maunick…
Pourtant, la littérature gabonaise existe, et elle vit. Locha Mateso, dans son anthologie de la poésie d’Afrique noire d’expression française publie des textes de quatre poètes de renom de ce pays. Tout le monde connaît le numéro 105 avril/juin 1991 de la prestigieuse revue Notre librairie consacrée à la littérature gabonaise. Ne citons que ces deux titres que l’on peut s’approprier facilement à Yaoundé ou à Douala.
Comme au Cameroun, la littérature gabonaise est fille d’une tradition orale qui entretient avec la tradition des relations qui demeurent encore polémiques. Le romancier Laurent Owondo établit un couple consensuel entre l’oral et l’écrit en affirmant notamment que : Dire. Donner à voir un monde par les mots, voici une des ambitions que s’offrent en partage le joueur du Mvet et l’écrivain gabonais. Tsira Ndong Ndoutoumé, l’une des plus grandes plumes gabonaises voit dans l’écriture et dans la langue française des éléments de blocage de la littérature orale ou l’orature. Ndong Ndoutoumé dénonce le caractère figé de la langue française et décrit en ces termes la pénible condition de l’écriture :
Lorsque je chantais le Mvet, quand je jouais du Mvet, quand je disais le Mvet, je dansais, je vivais, je m’exprimais en toute tranquillité, en toute liberté. Mais quand je me suis mis à l’écrire, je me suis figé dans un crayon sur un bout de papier (…) Alors, si le Mvet se met à être joué sur du papier, quelle résonance aura-il donc ?
L’auteur de ces propos arrive à supplanter l’écriture habituelle et produit une écriture à la fois poétique et narrative qui est tellement vivante qui ne peut que nous émouvoir. Cet extrait de son texte intitulé « Tsira Ndong se présente lui-même » en est une merveilleuse illustration :
Tsira Ndong Ndoutoumé Medzo’o metoulou,
Du village Engogome, de la tribu Yengou, la tribu des sangliers
Est allé à l’école des Blancs.
Tsira Ndong joue du Mvet sur du papier !
Un matin il s’est sauvé du village
Avec ses trois grands frères,
Trois Athomo : Athomo qu’on appelle Léon,
Athomo qu’on appelle Fabien,
Et Athomo qu’on appelle Emile ;
Ils ont emmené Tsira Ndong à l’école des Blancs
Ce matin-là, Zouga la mère des Tsira Ndong a pleuré
Son père s’est irrité ; qu’est allé faire Tsira Ndong à l’école des Blancs ?
(…) Ndoutoume Medzo’o a voulu aller reprendre son fils à l’école des blancs ; mais le commandant lui a
Opposé des miliciens ; des miliciens armés de bâtons et de lianes qui tuméfiaient la peau. Et Ndoutoume
Medzo’o a abandonné son fils à l’école des blancs(…)
Mais un beau jour Tsira Ndong est revenu au village ; une joie ce jour-là. Tout Engongome vibrait de tam-tams ! (…)
Et Tsira Ndong dit à son père qu’il voulait jouer du Mvet. Je vous le dis, les oreilles de son
Père ne le croyaient pas ; un enfant adopté par les Blancs peut-il jouer du Mvet ?
Malgré cette nostalgie des formes expressives traditionnelles très enracinée dans le sol du pays par le prêtre André Walker Raponda, pionnier de la littérature écrite, la littérature gabonaise écrite s’affirme de plus en plus. On peut citer le dramaturge Vincent de Paul Nyonda dont la pièce intitulée La mort de Guykafi avait été jouée et fortement applaudie au premier festival des arts nègres de Dakar en 1966. la production romanesque est assurée par des auteurs tels Okoumba-Nkoghe qui, très prolixe, a « déserté la poésie » pour le roman ; Laurent Owondo, universitaire, professeur de littérature africaine américaine et auteur du roman intitulé Au bout du silence. Mais nous pouvons citer d’autres romanciers plus récents encore comme Elimane Ched, Jean Divassa Nyama, Moise Ella-Abessolo, Emile Koumba, Justine Mintsa, Auguste Moussirou-Mouyama, Hubert Freddy Ndong Mbeng, Armel Nguimbi Bissielsou, Angèle Ntyugwetondo Rawiri, qui ont, pour la plupart, publié dans des maisons d’éditions françaises. Les poètes sont aussi nombreux et bénéficient d’une certaine sympathie de la critique gabonaise. Laurent Owondo nous dit sa place dans le paysage littéraire de son pays :
Dans cette littérature nouvelle, encore à la recherche de sa voix, la poésie en tant que genre ouvre, pour ainsi dire, le cortège. Non seulement elle a constitué les balbutiements de la création littéraire en langue française au Gabon, mais elle reste dans une large mesure l’expression la plus prisée aujourd’hui (…) Cette position dominante de la poésie n’est certainement pas sans lien avec l’absence notoire du Gabon sur les cartes littéraires africaines dressées par les meilleurs spécialistes.
Okouma-Nkoghé, malgré son abandon de la poésie pour le roman, demeure, à mon humble sens, l’un des meilleurs poètes du Gabon. En 1980, il a publié trois recueils de poèmes à Lyon. Il évoque dans ce vers le triste destin d’Ebarlare, le personnage de son poème :
Une ville sombre Masuki
Un vieux manguier tordu
Que le vent secoue la nuit
Et dans l’ombre de la nuit
Sors le petit Ebarlare
Une mangue roule de l’arbre
Comme une pierre de la montagne
L’enfant la fourure dans son pagne
Puis regagne sa morne demeure
Quel triste bonheur !
C’est toujours la même vie dans ce corps si chétif
Une mangue verte et un peu de sel
Avec un vieux bout de manioc quel
Triste régal pour Ebarlare !
Mais quand la mangue ne roule
Mais quand le manioc ne tombe
Ebarlare s’assied dans la cour
Et en pleurant tout le jour
Noue la trame de sa vie
En plus de ce « rhinocéros d’Afrique à deux cornes » ainsi que se désigne Okoumba-Nkoghe, on est émerveillé par les poètes tels Georges Rawiri, le chantre des beautés et des richesses du Gabon, Quentin Ben Mongaryas, le pourfendeur des « de L’Afrique des clans pourris  » et des « maudits sorciers « , Magang-Ma-Mbujuwisi, le nostalgique des splendeurs passées ; Ndouna Depenaud, le poète du terroir bantou et du romantisme temporel (F. Obiang-Essono)…
Bien que leur notoriété sur le plan international reste à faire, nous ne pouvons ne pas reconnaître qu’il y a une littérature gabonaise vivante, produite et animée par des auteurs talentueux et volontaires. Mais le Gabonais est loin d’être fier de sa propre production littéraire. Les auteurs et les critiques de ce pays font une critique sans complaisance de leur écriture. Fortunat Obiang-Essono est sans doute le plus amer de tous. Il ne parle de littérature gabonaise qu’en termes de malaise. Il la décrit comme une littérature saturée par l’autosatisfaction et prisonnière d’un narcissisme puéril, et dont la pauvreté au niveau de la pensée est criarde. Il mentionne aussi l’absence de la fonction critique. L’écrivain Jean-Baptiste Abessolo pense que « la littérature gabonaise est comme un enfant, mais un enfant qui ne grandit pas normalement. » Il ajoute ce qui suit : « permettez que je constate que dans ce pays, la vie est tellement facile que beaucoup ne voient pas la nécessité d’écrire. On n’a pas besoin d’écrire au Gabon pour vivre. » Okoumba-Nkoghe partage complètement l’opinion de son compatriote lorsqu’il soutient « ceux des pays africains qui produisent (Congo, Cameroun, Sénégal…) souffrent au départ d’une certaine misère matérielle. Le Gabonais lui, n’en souffre pas (…) or pour écrire, pour créer, il faut souffrir d’un manque. On parle aussi, pour justifier le peu d’énergie de la littérature gabonaise, de la scolarisation tardive du pays, de l’absence d’un public de lecteurs qui fait dire à Honorine Ngou que le Gabon est une sorte de « degré zéro de la lecture. » N’évoquons pas le problème d’édition. Les gabonais témoignent eux-même qu’un livre est produit dans leur pays par an.
Voilà brossés en quelques mots quelques données de ce que nous savons de la littérature gabonaise, celle du pays de Chantal Magalie Mbazoo-Kassa. Ses bonheurs et ses misères, ses sources et son statut actuel. On ne peut pas comparer cette littérature avec celle du Cameroun qui a aussi ses vieux démons et ses splendeurs. Seulement, le problème ne se pose pas de la même manière de part et d’autre du Ntem. A chacun de nous de tirer les leçons de cette double situation.

///Article N° : 4004

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