Sarah est juive, Saïd est arabe, Serge est français. Sarah conduit un scooter, Saïd se déplace à vélo, Serge est chauffeur routier. Ce tiercé du déplacement n’est pas neutre, tant Loin est, comme son titre l’indique, un film nomade. Chacun bouge vers l’autre, chacun bouge en lui-même, implose même tant il ne sait quelle direction prendre. C’est cet entre-deux que saisit Loin avec une impressionnante maîtrise, ce désir qui habite chacun et qu’il ne peut limiter. Serge aime Sarah, Saïd veut passer le détroit pour l’Europe, Sarah hésite à rester à Tanger. Toutes leurs déchirures sont les nôtres et pourtant, ce n’est pas ce qu’ils expriment qui prime mais ce qu’ils sont. Car Téchiné a l’art de saisir les corps, les rues, les objets avant même que de leur donner la parole. Ce maître du romanesque en 35 mm utilise ici la vidéo numérique pour mieux donner leur liberté aux corps, leur incapacité à se laisser brider. Plutôt que des vedettes, il prend de jeunes acteurs tous remarquables qui font exploser leur rôle. Ce n’est dès lors plus l’histoire (le trafic de drogue dans les camions entre le Maroc et l’Espagne) qui importe : elle n’est là que pour concourir à la tension, alibi d’une quête d’appartenance qui ne se résout pas à la communauté mais se décline dans l’individu et le couple. Rien n’est pittoresque au pays de Paul Bowles : même le vieil anglais homo ne fait que le caricaturer. Le puzzle relationnel baigné dans la présence des êtres et des choses prend alors tout son souffle. La méthode est connue : Téchiné rend hommage à Renoir en projetant même un extrait du Fleuve. A Tanger, la rivière c’est la mer : elle est passage, lumière et ressource. Tout comme ce film essentiel.
