La diversité culturelle : dialogue entre les cinéastes du Sud

Colloque à Cannes 2005

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A l’initiative du CNC et avec le soutien de l’AIF, TV5 et la coalition française pour la diversité culturelle, un colloque modéré par Philippe Dessaint, directeur de l’information à TV5, a réuni des membres des coalitions de pays du Sud pour la diversité. Il n’était pas neutre que ce colloque ait lieu à Cannes, à l’heure où se négocie à l’Unesco une Convention sur la diversité culturelle axée sur la coopération internationale, qui devrait être adoptée en octobre 2005. On verra à la lecture de ces notes que la voix des cinéastes n’est pas inutile dans le débat !

Miguel Necoechea, coalition mexicaine pour la diversité culturelle
La production cinématographique mexicaine a baissé de 72 % du fait de l’envahissement du marché par les produits américains. Entre 2000 et 2004, 102 films seulement ont été produits, du fait de l’accord de libre échange. Il est intéressant de voir l’exemple du Canada, qui n’a pas inclus la culture dans cet accord de libre échange : il a continué à produire au même rythme. Le Mexique n’a pas les moyens de concurrencer les Etats-Unis, alors qu’il exportait 60 films par an sur le marché hispanophone américain. En 1998, le déficit était de 120 millions de dollars et en 2002, 880 millions de dollars de matériels cinéma ont été importés des Etats-Unis tandis que les ventes étaient de 1 million $. En 2004, 280 films sont sortis dans les cinémas mexicains : 166 étaient américains, lesquels contrôlent 2500 écrans sur les 3000 existants, lesquels drainent 150 millions de spectateurs par an.
Le résultat est la fermeture des maisons de production, du chômage, une baisse des exportations de films mexicains. La relation avec le public est cassée : il n’est plus fidèle et l’idéologie américaine domine. Les cinéastes demandent une révision de l’accord de libre-échange mais la pression des Etats-Unis est très forte sur les gouvernements : la Convention de l’Unesco doit prévoir des actions rétroactives.
Nabil Ayouch, coalition marocaine pour la diversité culturelle
Ce qui est arrivé au Mexique nous arrive aussi. Voici 2-3 ans que les Etats-Unis signent des accords de libre-échange avec une trentaine de pays : les négociations sont conclues dans la douleur par les cinéastes et dans le secret : 20 mois de négociation mais aucune information n’a fusée. Le citoyen ne sait pas ce qu’est la diversité culturelle. Les Américains négocient un package : le lot signifie l’ouverture totale des deux pays. C’est David et Goliath, un rapport de force ingérable. L’industrie de divertissement (entertainment) est une des premières sources de revenus aux Etats-Unis, passant certaines années devant l’aéronautique. On passe vite pour des protectionnistes, adversaires de l’échange : la caricature est facile. Ceux qui se battent pour la diversité ne se battent pas pour le repli sur soi mais pour l’ouverture sur l’autre.
Au Maroc, un débat s’installe. Maintenant que l’accord est signé et entre en application, les avis fusent. Nous demandons une politique de quotas mais n’avons pu l’imposer. Par contre, les opérateurs étrangers peuvent ne détenir la majorité des capitaux de chaînes de télévision.
Nemesio Juarez, coalition argentine pour la diversité culturelle
La crise profonde de décembre 2001 a pratiquement anéanti le pays, fruit du libéralisme appliqué par l’Etat argentin. Une loi classique de protection et de subvention à l’industrie cinématographique a été obtenue par la lutte, avec un fonds de soutien et de solidarité de 25 millions de $ par an. En 2004, on nous consulte et nous écoute. Plus de 60 films sont produits par an, soit 3 % du PIB et des emplois, avec 25 % de parts de marché en Argentine. Des salles ont été créées par l’Etat argentin, les autres sont dans les mains des Majors américaines.
Kim Hong-Joon, coalition coréenne pour la diversité culturelle
La Corée représente un exemple unique. Une loi imposée aux exploitants, le Screen quota, existe depuis près de 30 ans : chaque écran en Corée doit jouer 40 % de films coréens. Cela représente de 106 à 146 jours par an, soit 35 à 40 % des jours de projections. En 1999, motivé par les besoins en financement coréens, le traité d’investissement bilatéral avec les Etats-Unis devait permettre aux capitaux américains de circuler librement en Corée. Les Etats-Unis ont demandé une abolition des quotas, ce qui a provoqué une prise de conscience tant de l’industrie que du public. En 2004, la part de marché des films coréens était de 50 % avec 78 films sortis et de 46 % pour les Etats-Unis avec 117 films : les autres cinématographies sont laminées, avec 4 % dont 2 % pour le Japon, 1,6 % pour la Chine et Hong-Kong, 0,4 % pour l’Europe. Les exportations coréennes ont doublé par rapport à 2003 pour atteindre 60 millions de $. L’ambiguïté est de renforcer en Corée certains discours nationalistes, mais nous devons défendre notre culture ! C’est une bataille constante. La renaissance du cinéma coréen a besoin de la Convention de l’Unesco comme arme.
Bruno Bettati, coalition chilienne pour la diversité culturelle
2004 a vu l’arrivée d’un ministre de la Culture, qui porte ses efforts sur l’exportation des films et l’ouverture du marché. 12 films sont produits par an avec des subventions à la production et à la distribution, ce qui a permis de gagner des parts de marché sur les films américains. Les Majors américaines préfèrent s’occuper elles-mêmes de la distribution plutôt que de perdre des parts de marché. Un accord de libre-échange a été signé en 2002 avec les Etats-Unis : les professionnels ont demandé une exception mais n’ont obtenu qu’une réserve. Nous pouvons ainsi continuer à subventionner l’industrie cinématographique mais ne pouvons avoir de quotas ou d’allègements fiscaux.
Le financement des festivals ne fait pas l’objet d’un accord de coopération mais le rôle des ambassades, notamment française, est important. Les films ne sont pas doublés mais sous-titrés. Des accords sont signés par pays mais la législation amoindrit l’efficacité des accords : nécessité de techniciens bilingues, accords de coproduction et de distribution (par exemple avec le Brésil).
Cheick Ngaïdo Bâ, coalition sénégalaise pour la diversité culturelle
Une avocate sénégalaise est venue au Sénégal pour créer une société tête de pont des Etats-Unis : nous avons bloqué mais l’affaire n’est pas finie. On ne peut imposer de quotas là où il n’y a plus de salles ! Il faudrait dans chaque capitale de l’UEMOA un complexe de cinq salles de 200 places en réseau. Dans les accords bilatéraux, le poids des Etats-Unis est trop fort : il faut des accords multilatéraux. Le socle d’Africa Cinémas n’était pas bon : il nous faut des solutions endogènes.

Coalition pour la diversité culturelle : www.cdc-ccd.org
Réseau international pour la diversité culturelle : www.incd.net
Réseau international sur la politique culturelle : www.incp-ripc.org
Forum permanent sur la diversité culturelle : www.planetagora.org///Article N° : 3856

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