Un film contre les tabous

Entretien d'Olivier Barlet avec Laïla Marrakchi à propos de Marock

Cannes, mai 2005
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Vous situez le film en 1997 qui correspond à votre année du bac. Qu’est-ce qui vous empêche de le situer dans le Maroc d’aujourd’hui ? Y a-t-il une transposition difficile ?
Les choses ont évolué mais les codes de cette jeunesse sont à peu près les mêmes. A cette époque, cette jeunesse était à son apogée : on vivait protégés, dans des excès. Aujourd’hui, il y a une classe moyenne émergente qui a envie de faire la même chose : cela commence à s’équilibrer. La peur du fondamentalisme revient aussi. J’avais envie de le faire à mon époque parce que c’est une période que je connais bien.
Vous raconter en somme.
Oui, c’est comme un cahier de souvenirs que j’avais envie de faire.
Beaucoup de réalisateurs démarrent avec une histoire très personnelle : c’était aussi votre tendance ?
Oui, je voulais faire quelque chose qui me soit proche : on ne le fait pas de la même manière que sur d’autres sujets. Cela permet que ça vienne directement du cœur.
Vous indiquez dans le dossier de presse que la liberté de ton du film représente un risque, notamment pour votre actrice principale. Vous avez l’impression d’une grosse prise de risque pour vous aussi ?
Je ne sais pas. Il y a une prise de risques sur certains sujets mais il y a beaucoup d’amour dans le film, pour mon pays, pour ces moments. L’humour, la dérision, la légèreté par rapport à la religion ou d’autres thèmes peuvent choquer. Morjana Alaoui est courageuse d’interpréter jusqu’au bout le rôle de Rita. Elle ne m’a jamais dit non. Je crois que beaucoup de filles vont s’identifier : cela ouvre la voie de dire ce qu’on pense et ce qu’on a envie.
Vous pensez que votre film contribue à mettre de côté les tabous ?
Oui, complètement. J’essaye mais ce n’est pas l’intention du film : il comporte ces éléments.
Vous montrez la relation entre un Juif et une Arabe. Il n’y a plus beaucoup de Juifs au Maroc.
Effectivement. Il y eut l’exode de 1956 et une autre vague de départs durant la première guerre du Golfe. C’est dommage car ils faisaient partie de la culture marocaine.
Y a-t-il un antisémitisme ambiant ?
Nous sommes tous sémites ! C’est surtout le mélange qui ne se fait pas entre communautés. Le conflit israélo-palestinien est pour beaucoup dans le discours anti-juif et anti-américain.
Vous avez étudié la question juive avant de faire le film ?
Un petit peu. J’ai un ami juif marocain qui parle arabe comme tous les Marocains. C’est davantage quelque chose que j’ai ressenti, que j’ai vu, que j’ai vécu.
La musique joue un rôle énorme au point d’être un personnage à part entière.
J’ai choisi de mettre de la musique préexistante : il fallait un aspect générationnel, qu’elle soit à la hauteur du titre. J’ai travaillé un an avec Universal Music projets spéciaux : ils ont lu le scénario, j’avais des références musicales, ils m’ont fait beaucoup de propositions. Nous n’avions pas beaucoup d’argent : ils ont trouvé des petits bijoux qu’ils avaient au fond de leurs tiroirs et qui collaient vraiment avec l’ambiance du film.
A quel titre agissent-ils ?
Ce sont des conseillers musicaux et on utilise des titres de leur catalogue dont on achète les droits pour les mettre dans le film.
Vous revenez souvent sur une image de la terrasse où se réunissent les filles avec un cadrage à égalité avec une grosse parabole, référent du rouleau compresseur occidental sur les sociétés du Sud. Vous faites un film très ouvert à la mixité, à un certain être au monde au-delà de la référence identitaire.
Complètement. J’espère que c’est clair dans le film. Je me sens comme un trait d’union entre les deux cultures. La culture occidentale, on la désire et on la déteste à la fois. C’est un double sentiment.
Quel est le sentiment d’appartenance de vos personnages au Maroc ? Beaucoup vont faire leurs études à l’étranger mais on sent un enracinement.
Même si c’est un Maroc particulier, ce sont des Marocains à part entière. Beaucoup partent faire leurs études jeunes et sont conscients de ce qu’ils ont laissé. C’est un pays formidable. Il s’agit d’un attachement affectif plus qu’intellectuel : c’est un pays chaleureux, la famille est très présente, les Marocains sont très attachants !
Vos personnages ne sont pas comme tous ces Maghrébins qui ne rêvent que de partir.
C’est une réalité ; les gens qui partent : c’est un gros problème, des gens en meurent, c’est atroce. J’avais fait un court métrage sur le sujet et je comprends que nombre de cinéastes traitent du sujet. Mon film est différent : j’insiste sur l’attachement.
Vous dites dans le dossier de presse que votre film se détache des  » clichés du cinéma arabe « . De quels clichés parlez-vous ?
Oui, j’ai hésité à le mettre… Mais bon, je l’ai fait. Les clichés, c’est de tomber dans des thèmes et un rythme que l’on retrouve partout. J’avais envie de travailler dans une dynamique, une énergie différente que celle qu’on a l’habitude de voir. La légèreté était importante, qui soit à l’image du Maroc : on y vit une dérision permanente que j’ai essayé de garder dans le film.
Avec David Bowie chantant  » Rock’n roll suicide « , on est dans une logique d’un James Dean à la marocaine. Vous vouliez vous inscrire dans cette continuité ?
Oui, ce sont des films qui m’ont fait vibrer quand j’étais plus jeune. En écrivant le scénario, je les ai redécouverts. Entre 20 et 25 ans, on rejette un peu l’adolescence !
Le quartier d’Anfa de Casablanca est très présent dans le film, avec une forte empathie des personnages avec ces lieux.
Oui, j’adore cette ville. Dans le film, c’est un quartier résidentiel de Casablanca qu’on ne connaît pas bien. La mer est omniprésente. J’avais envie de le montrer.
Vous avez comme producteur celui de La Haine : on est dans la continuité. Pourquoi n’avez-vous pas une coproduction marocaine ?
C’est entièrement financé par les Français. La commission marocaine n’a pas décidé d’aider le film.
Vous avez fait vos études de cinéma en France ?
Oui, à l’ESRA, ainsi qu’une maîtrise à la fac.

///Article N° : 3853

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