N’körö

De Libar M. Fofana

Un Faust africain
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Le deuxième roman du Guinéen Libar M. Fofana mêle réalisme et fantastique, revisitant au passage les mythes de Caïn et Abel et celui de Faust.

Une femme stérile voit son mari prendre une deuxième épouse pour perpétuer le nom glorieux de ses ancêtres. La rivalité arrive à son comble lorsque la nouvelle épouse annonce qu’elle attend un enfant. Mais deux mois plus tard, la première femme éconduite tombe miraculeusement enceinte et accouche d’un prématuré, que tous appellent Tayoro, trois jours seulement avant sa jeune rivale, soufflant ainsi le droit d’aînesse à celui qui fut conçu, pourtant, le premier. Le cadet, Mamadi, sera élevé dans la haine de cette injustice et ne pensera qu’à reconquérir son titre en devenant aux yeux de tous le N’körö, l’aîné, et ce par tous les moyens.
C’est à partir de cette trame complexe que Libar M. Fofana construit son second roman qui débute par le retour de Tayoro dans son village natal, Birigoudou, après cinq ans d’absence. L’histoire se déroule dans la Guinée de Sékou Touré, à la fin des années 1970. Comme dans Le fils de l’arbre, l’auteur s’attache à décrire la vie des villageois  » retranchés dans l’imperceptible forteresse de leurs traditions « , comme si le temps s’était arrêté dans cette partie presque immuable du monde qui ne semblait pas être touchée par les aléas de la dictature. De cette description, il subsiste un peu de cette nostalgie envers un monde calme et serein qui contraste fortement avec une ville rongée par la violence, le crime et le vol, ce que ne tardera pas à découvrir Tayoro, au fil de sa quête initiatique.
Revenu dans son village pour y épouser Amy, la femme qu’il aime, il devra apporter à tous la preuve de son droit d’aînesse. Et pour cela, il lui faudra apprendre à déchiffrer, en plusieurs mois, la langue des Toubabous :  » Va et instruis-toi (…). Apprends la langue des Blancs et utilise en toutes circonstances les mots avec sagesse, car, bien souvent, c’est en leurs conséquences qu’on découvre leur véritable sens.  » (30).
Telles étaient les dernières volontés de son père sur son lit de mort. S’il n’arrive pas à relever le défi, son frère Mamadi reprendra son droit d’aînesse et épousera Amy. Or cette plongée dans la culture des Blancs conduira notre homme d’écarts en dérives, jusqu’à affronter le tragique de sa destinée. La magie et les sortilèges employés par son frère feront tout pour l’empêcher d’honorer sa parole et de revenir parmi les siens. La sorcellerie s’avère être un frein aussi puissant que l’acculturation symbolisée par l’école. Tayoro, éternel exilé déchiré entre sa soif de connaissances et son amour pour les siens, voudra pourtant concilier les deux en relevant le défi lancé par son père et en se conformant ainsi à la parole des anciens.
Une quête aux relents bibliques
Dans ce récit d’une écriture simple et poétique où se mêlent magie et incrédulité, tradition et modernité, Tayoro tente de construire une frêle passerelle entre deux mondes antinomiques, en retissant peu à peu les fils de sa mémoire émiettée et en oubliant les haines et les rancœurs à l’encontre de son propre frère. Cette quête presque biblique (l’auteur réécrivant à sa manière l’histoire d’Abel et Caïn) sera pour Tayoro l’occasion de renouer avec ses racines, et de faire des rencontres plus ou moins surprenantes, dont celle qui lui fera croiser le chemin du diable :  » L’apparition n’avait de l’homme qu’une tête ridée et des membres noueux couverts de poils.  » (207)
Cette tonalité fantastique dans un récit d’une facture jusque-là plutôt réaliste étonne et enchante. Il y a un peu de Tutuola dans cette rencontre étrange, bien que l’écriture de Fofana soit, sans conteste, beaucoup plus noire et plus métaphysique. Alors que Tayoro, à bout de forces, a subi des coups d’une extrême violence, l’auteur change de registre et revisite, non sans humour, l’éternel mythe de Faust. Le diable vient donc passer un pacte avec son protégé :  » Ton Dieu te laisse souffrir afin que tu l’implores et que tu aspires au bonheur éternel qu’il te promet. Mais ne crois pas en la vie éternelle (…).  » (207) Nous ne dirons pas ce que Tayoro choisira pour ne pas dévoiler la fin de ce récit plein de rebondissements.
Au-delà des nombreuses réflexions existentielles sur le Bien et le Mal qui alourdissent parfois la lecture par des aphorismes un peu trop systématiques, on se laisse prendre au piège de ce récit très enlevé, ancré dans une parole traditionnelle âpre et beaucoup plus violente que le roman précédent. Depuis Le Fils de l’arbre, l’écriture de Libar M. Fofana a gagné en force et maturité. L’écrivain a incontestablement trouvé son style.

N’körö, de Libar M. Fofana, 2005, Gallimard, Collection Continents Noirs, 230 p. 17€50///Article N° : 3843

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