Etonnants Voyageurs à Bamako, en attendant l’étonnement…

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Déjà cinq éditions et toujours critiqué. Assurément, Etonnants Voyageurs n’étonne toujours pas. Mais au-delà des critiques, il faut lui reconnaître un mérite : exister.

A Etonnants voyageurs Bamako, qui du festival de littérature ou de la ville de Bamako est mis en valeur ? Bien malin qui saurait répondre. L’affiche du Festival, elle, ne fait aucune équivoque : Bamako d’abord, Etonnants Voyageurs ensuite. D’où ces grosses lettres : B A M A K O qui barraient l’affiche de cette cinquième édition d’Etonnants Voyageurs ; comme si Bamako eut été le sujet de la rencontre. Si pour les organisateurs, le festival prime sur toutes autres considérations, ce lapsus témoigne d’une volonté manifeste d’imposer Bamako comme capitale africaine de la littérature.
Et pour cause. Depuis cinq ans, Bamako reçoit tous les ans, les grands noms de la littérature africaine. Au programme cette année, Abdourahman Waberi, Alain Mabanckou, Gisèle Pineau entrés dans le décor du festival, Théo Ananissoh, Yasmina Traboulsi, Zakya Daoud, Libar Fofana, Ernest Ahippah, Helon Habila qui font leurs premiers pas tant dans la littérature que dans le festival et aussi ceux que Moussa Konaté appelle  » les amis du festival  » parmi lesquels Tanella Boni, Fatou Diome, Kangni Alem, Tahar Bekri, Florent Couao-Zotti, Fatou Keita (dont le dernier roman, Rebelle, remonte à 1998), Khadi Hane ainsi que toute la crème de la littérature malienne. Et, bon coup de filet cette année, Laurent Gaudé, prix Goncourt 2004. Une cinquantaine d’auteurs au total, contre 80 l’année précédente ; le budget et la dimension du festival ayant été revus à la baisse.
Des livres toujours absents
Quel est le principal dénominateur commun entre tous ces auteurs africains ? Ils vivent, travaillent, écrivent et éditent hors d’Afrique. S’il fallait donner un sous-titre à Etonnants Voyageurs de Bamako, ce serait bien : Rencontre des écrivains africains de la diaspora. Ce qui pose un problème récurrent à Etonnants voyageurs puisque les livres de ces auteurs sont quasi-absents, leurs maisons d’édition n’ayant pas de stand sur le lieu du festival. Les rares exemplaires proposés par les librairies sont hors de prix pour le public composé pour l’essentiel d’élèves et étudiants maliens. Du coup, les débats tournent autour de thèmes fourre-tout ou paralittéraires dans lesquels bien des participants ont du mal à suivre le fil (exemple de Rouda et Ernest Ahippah lors du café littéraire  » Ecrire entre rire et larmes « ). Les organisateurs gagneraient à négocier une subvention comme celle qui a été obtenue avec les maisons d’édition pour la littérature de jeunesse.
Festival jeune, festival éclaté
Cette subvention sur la littérature de jeunesse participe d’un des objectifs du festival qui est d’inculquer le goût de la lecture aux enfants. Comme tous les ans, le festival à Bamako a été précédé par des manifestations dans plusieurs collèges et lycées d’une dizaine de villes de l’intérieur du pays. Cette année, ces manifestations ont été marquées par un don de 6000 livres aux bibliothèques publiques et scolaires du Mali. Un don qui est l’une des premières retombées palpables des cinq années de présence du festival au Mali. Une autre réussite du festival reste sans doute l’implication des jeunes (élèves et étudiants) tant dans l’organisation (notamment avec la très dynamique Association des élèves et étudiants maliens) que de la participation au festival. Ces élèves dont le contact avec les écrivains suscite déjà des vocations n’hésitent pas, au prix de quels sacrifices, à acheter un livre et se le faire dédicacer par leur auteur préféré. Assurément, une culture littéraire est en train de prendre forme dans l’esprit des élèves et étudiants maliens.
Rendez-vous de toutes les écritures
Des ateliers d’écriture poétique, de conte, de scénario de bandes dessinées et de slam ont permis à des participants préalablement sélectionnés de s’initier ou de parfaire leurs techniques dans ces différents domaines. Le slam que beaucoup de festivaliers ont découvert, est un art collectif, acoustique et oratoire, où la parole est mise à nu face à l’auditoire. Seul compte le texte qu’il soit lu, scandé, crié, improvisé ou récité. Cet art qui est à la limite du rap a fait un adepte et non des moindres : le ministre malien de la culture, Cheikh Oumar Sissoko, qui s’y est lui-même essayé.
Etonnants scénarios
En marge d’Etonnants Voyageurs, s’est tenu la deuxième édition d’Etonnants scénarios, une rencontre autonome de professionnels de l’audiovisuel d’Afrique subsaharienne et spécialisée dans l’adaptation d’œuvres littéraire au cinéma et à la télévision.* Les œuvres de cinq auteurs participants à Etonnants Voyageurs ont été sélectionnées au cours des travaux et donneront lieu à des projets de films. Ainsi, Lisahoé de Théo Ananissoh, Verre Cassé d’Alain Mabanckou, Le Cantique de cannibales de Florent Couao-Zotti, Canailles et charlatans de Kangni Alem et Le Départ de Nimrod viennent s’ajouter à Allah n’est pas obligé, Une blanche dans le noir et Ramata, les projets déjà en cours. La passerelle entre la littérature et le cinéma est bien mince mais l’une se révèle source d’inspiration pour l’autre. Espérons toutefois que ces projets qui s’accumulent dépasseront le cap du projet.
Beaucoup reste à faire
D’une édition à l’autre, beaucoup d’efforts ont été faits du point de vue de la présence active du public, de l’implication des jeunes et de l’impact réel du festival dans le paysage culturel malien.
Mais beaucoup reste encore à faire, notamment la participation effective de tous les acteurs du livre : éditeurs, libraires, bibliothécaires, etc. Les éditeurs africains, bien qu’invités par le festival, ne figuraient pas dans le guide des invités, une omission révélatrice. Sans doute, une équipe du festival, unique et locale causerait bien moins de désagréments que ne cause cette organisation bicéphale.
Finalement, on ne peut s’empêcher de penser qu’une édition biennale plutôt qu’annuelle d’Etonnants Voyageurs améliorerait sa qualité, amoindrirait ses imperfections et permettrait au festival de s’aligner correctement dans l’agenda culturel africain où toutes les manifestations d’envergure sont biennales.
Mais, bien au-delà des critiques, il faut reconnaître à Etonnants Voyageurs Bamako son plus grand mérite : exister.

* cf. le compte rendu du premier atelier Etonnants scénarios sur ce site. ///Article N° : 3690

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