Tenja

De Hassan Legzouli

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Cela commence comme des ablutions avant le rituel : c’est en lavant sa voiture que Nordine (Roschdy Zem, excellent) apprend la mort de son père. Cette voiture estampillée du nom de son garage restera le lieu d’un huis-clos entre lui et son père qu’il ramène dans son cercueil au Maroc pour respecter sa dernière volonté : être enterré dans son village natal. Même, dans une scène d’une étonnante justesse, un dialogue direct s’instaure entre le père et le fils. Car ce film ose beaucoup mais ne force jamais. Son rythme est à la mesure des petites touches qu’il pose peu à peu, avec une grande simplicité et une salvatrice absence de prétention, sur le parcours de cet immigré de la deuxième génération qui découvre le Maroc de ses origines avec les yeux d’un touriste mais aussi muni de la boîte à souvenirs d’un père qu’il apprend doucement à comprendre. C’est bien sûr grâce à ce ping-pong scénaristique que le film ouvre à une forte émotion.
Les deux rencontres qui ponctuent le film seront des relations ouvertes. Mimoun, le gardien de la morgue au nom et au t-shirt « Maroc » si évocateurs, est une figure hors cliché du clandestin potentiel. Lui aussi brûle de partir, comme ces corps qui reviennent régulièrement dans sa morgue. Il a la folie du projet, le détachement du rêve, l’humanité du tragique : il brûle. C’est en cela qu’il peut être un guide pour Nordine, lui-même en quête de repères mais sans le désir de s’attacher. Nora, recueillie en pleurs au bord de la route, constamment sur ses gardes, a elle aussi le recul du vécu. Elle ne brûle pas de partir mais de vivre là où elle a les pieds, chômeuse diplômée. Aure Atika lui donne une belle expressivité et sa ressemblance avec Béatrice Dalle n’est pas seulement physique mais surtout dans sa capacité à communiquer sa rébellion intérieure. Nordine entre en familiarité avec ces deux passeurs au même rythme où il découvre le pays. Les paysages, plans fixes et non panoramiques, étapes d’une initiation, ne sont jamais cartes postales bien que d’une fulgurante beauté. L’insertion de la voiture y était inutile : pour nous, Nordine y voyage déjà car nous sommes avec lui, avec le même décalage, avec la même implication. Nous nous approchons de ce pays comme il s’approche de Mimoun et Nora, pour comprendre finalement la volonté du père. L’enterrement au milieu de nulle part est un grand moment de respect et d’écoute, filmé à distance et dans la durée. « Un oued revient toujours dans son lit » : le passage par l’origine est nécessaire, surtout s’il ne s’agit pas de s’y fixer. Hassan Legzouli nous le rappelle joyeusement, avec une impressionnante subtilité.

///Article N° : 3580

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