Ne pas jouer une Noire mais un personnage

Entretien d'Olivier Barlet avec Mata Gabin

Paris, septembre 2004
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Elle tourne avec Lucas Silvas, cinéaste colombien, un film intitulé Colombiafrica Queen of heart (Colombafrique, reine du cœur) puis sera dans My body’s my home (mon corps est mon pays) de Stéfan Sao Nelet. En parallèle, elle joue au théâtre dans La femme d’un autre de Caroline Cohen, prépare un One Woman Show, est choriste dans le groupe Charles Najman and the band… A la fois actrice, comédienne, danseuse, chanteuse et dramaturge, Mata Gabin est l’étoile montante qui réussit à sortir des rôles stéréotypés dévolus aux Noirs.

Qu’est ce qui vous a amené dans le monde de la culture ?
En précisant mes origines, je pourrai dire comment la culture est entrée dans ma vie. Je suis du Libéria par ma mère et de la Martinique par mon père, ai été adoptée par un couple corse et antillais vivant en Côte d’Ivoire, et un peu en Corse et à Paris. Je suis donc citoyenne du monde, habituée à côtoyer des gens de cultures et de races différentes mais aussi à m’adapter à l’endroit où je suis. Mon oncle était collectionneur d’art africain et d’art naïf haïtien, alors que ma tante avait une boite de nuit. Ce sont eux qui m’ont élevée. Ils fouinaient et allaient vers les belles choses. L’envie d’être comédienne vient d’avoir vu Béatrice Dalle dans un film où elle m’avait fascinée : elle m’a mis le feu. Mes parents s’y sont bien sûr opposés à moins que je n’ai le bac : j’ai donc cravaché pour l’avoir. Mon oncle étant corse, j’étais proche de la culture française. Alors que mes camarades de classe écoutaient Aïcha Koné ou Papa Wemba, moi c’était Reggiani ou Aznavour ! C’était toujours un peu décalé : on m’appelait « la Blanche » ou « la Française ». Je me suis peu à peu dit que je devrais peut-être vivre en France. J’ai fait Marseille, Aix en Provence, des cours de théâtre, un BTS de secrétariat, un DEUG de droit et finalement un boulot qui me laissait le temps d’entrer dans le milieu. Ma tante était en relation avec Tola Koukoui. Il m’a demandé d’improviser devant lui. Je lui ai dit « Le Grand combat » d’Henri Michaux. Il m’a demandé de faire un essai avec Lisette Malidor, la pièce s’est jouée au TILF, ça a bien marché, j’ai pris un agent, fait des téléfilms et les choses se sont développées.
Quelles sont les autres dates marquantes en tant que comédienne ?
La rencontre avec Luc Béraud : La Cité des alouettes, mon premier téléfilm en 96. Le casting était à « Connu méconnu », un cours de théâtre d’Adama Matinga, avec Jean-Claude Flamand qui est maintenant auteur-scénariste, Mathieu Kassovitz. J’avais un foulard sur la tête et il me demande comment sont mes cheveux. Je l’enlève et j’étais vraiment au pétard, la savane ! Je lui dis que j’étais vraiment en jachère et cette expression l’a marqué. J’ai compris que ce qui compte est d’être naturel et spontané. Il ne fallait pas que Paris me le gâche. J’ai fait ensuite des courts métrages, et notamment un avec Julien Dagez que j’avais rencontré au café Charbon. Il voulait réaliser un message pour les extra-terrestres où je devais jouer toute nue ! Je me demandais ce que c’était que ce plan mais un ami y bossait et cela m’a mise en confiance : j’ai accepté et me suis retrouvée pour la première fois face à une caméra de cinéma 35 mm complètement nue ! Le court métrage était d’ailleurs très beau. Je me souviens d’avoir adoré la caméra, de ne pas m’en être cachée. C’était mon baptême à la caméra cinéma.
Raoul Peck fut aussi une rencontre marquante : j’ai compris avec lui que ce qui comptait était l’opiniâtreté et le travail. Il m’a appris à mieux canaliser mon énergie. On a fait Lumumba avec un tournage notamment au Zimbabwe. Le bon accueil du film m’a donné un petit galon de plus, une signature de cinéma.
La rencontre avec Aïssa Maïga, une comédienne sénégalo-malienne, m’a aidé à grandir, tout comme Bakary Sangaré qui m’a aidé à retrouver la trace de mon père. Je me suis levé ce matin-là avec le sentiment que j’allais rencontrer quelqu’un d’important pour ma vie. Et ce fut lui !
A vous écouter, on a l’impression que malgré la dureté du milieu parisien une solidarité existe et des rencontres sont possibles qui permettent d’avancer.
Oui, ce n’est pas tout le monde mais c’est aussi le cas. On peut rapetisser ici quand on se laisse envahir par l’anxiété mais il y a aussi les grands qui n’oublient pas les autres. Princess Erika est aussi du nombre de ceux qui m’ont beaucoup aidée à ne pas lâcher. La concurrence est rude mais on se donne des plans. Ils m’ont aussi aidé à comprendre que ma personnalité impose de façon naturelle, à la différence des acteurs timides ou séducteurs. Je suis très frontale et je peux essayer de mettre de l’eau dans mon vin, mais avec des limites. C’est important d’en être consciente.
Et la rencontre avec Jean Odoutan ?
C’est un personnage complexe que j’aime beaucoup. Je suis instinctive, intuitive. Il me faisait mon essai les yeux fermés en me donnant la réplique. Je lui dit au bout d’un moment que je ne peux pas jouer avec quelqu’un qui ne me donne pas son regard. Et je suis partie. Mon agent me rappelle en me disant que c’est moi qu’il voulait. J’hallucine ! On fait Mama Aloko et il me propose le rôle principal dans La Valse des gros derrières, tout en me disant qu’il faudrait me couper les cheveux et autres choses désagréables ! J’aime bien le langage qu’il développe notamment dans ce film car il ressemble parfois à ma façon de parler. Nos personnalités sont fortes et le tournage fut épique, mais on reste très bons amis.
Le rôle d’Akwélé correspond-il pour vous à des tranches de vie vécues ?
Oui, il y a des choses qui me ressemblent complètement, comme sa naïveté. J’arrive encore régulièrement à me faire avoir ! Mais aussi sa fierté d’être Noire et Africaine. Là où je me différencie, c’est son noirisme : les Noirs avec les Noirs, les Blancs avec les Blancs. J’aurais aimé faire un personnage plus drôle, style « ravi de la crèche » !
C’est-à-dire forcer un peu le trait, à la Whoopi Goldberg ? Dans le sens de renvoyer l’image qu’à l’autre de soi ?
Les ravis de la crèche sont positifs. Entre la lucidité et la naïveté, je penche vers cette dernière car elle permet de découvrir des choses nouvelles.
Vous touchez aussi à l’écriture et la mise en scène.
J’ai toujours écrit. C’est pour moi un exutoire. En 2001, j’ai été agressée dans le métro et il me fallait me remettre de ce traumatisme. Je tournais en rond et mes amis m’ont conseillé d’écrire. J’ai écrit ma pièce en trois jours, ai réuni les acteurs en deux semaines et Greg Germain m’a accueilli dans son théâtre en Avignon. Cela m’a fait un bien fou. 13 décembre, ligne 9 s’achève sur : « Je suis une femme en colère ». Vincent Byrd Lesage m’avait proposé de le dire moi-même et de me mettre en scène mais je préférais que ce soit d’autres, et que je garde ma colère. Maintenant ça va mieux !
J’ai ensuite écrit un autre spectacle, Demandez-nous pardon, sur la culpabilité du Blanc vis-à-vis de l’Africain. Sa façon de mettre le « Black » en avant est ambiguë. Chacun essaye les excuses et le pardon mais en France, malgré le fait que l’esclavage est très ancien, le Noir n’est pas encore considéré comme une personne.
C’est très fort dans le vécu d’acteur ?
C’est énorme dans les castings. J’ai maintenant un agent plus coté et c’est plus simple, mais on est confronté à « cherche femme, black, jolie » (les trois mots sont toujours ensemble) pour rôles de sans-papier, prostituée, infirmière, femme de ménage… Au bout d’un moment, il y en a raz la casquette.
Il n’y a jamais moyen de jouer des personnages qui ne s’appuient pas sur la couleur ?
C’est très rare. Jacques Marciel dans son spectacle J’hallucine m’a pris pour qui je suis, sans projection. De même quand j’ai joué Lucrèce Borgia. Je m’étais fait de longues tresses, mettant en avant mon côté africain, et le public me disait que cela convenait parfaitement au rôle. Lucrèce Borgia n’est pas une Noire mais un personnage : j’y ai mis mes tripes.
Le milieu est-il encore très fermé ou bien les choses changent-elles ?
Oui, la question est posée, et pas seulement par les Africains. Quand les journalistes nous voient en tant que personne, c’est un progrès énorme. Arte a consacré une émission à la place des comédiens noirs. Sylvie Chalaye a animé un débat sur « acteur noir, ombre de la rampe » organisé par le ministère de l’Outre-mer. Ce sont de vraies avancées. Les esprits se réveillent et le public en redemande. J’avais fait un petit rôle dans Navaro : cela déclenchait des réactions qui voulaient plus de Noirs à la télé.
N’en reste-t-on à la seule question de la visibilité sans atteindre une normalité citoyenne où les rôles pourraient être interchangés ?
Cela reste limité aussi car il n’y a pas encore de véritable star noire en France. Il faudrait un Depardieu noir ou une Deneuve noire. Alex Descas est très connu dans le milieu mais le public ne le connaît pas, tout comme Bakary Sangaré. On s’aide entre nous pour être partout, fringues et gardes d’enfants, mais on est loin du compte. Il nous faut viser pointu, lancer la bombe comme dans la chanson de Reggiani et surtout bien savoir où elle va tomber !

///Article N° : 3567

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