Mode au naturel

Entretien d'Yvette Mbogo avec Anggy Haïf

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Jeune styliste travaillant avec des matières naturelles locales, Anggy Haïf fait partie de la vague des talents émergents de la sous-région. En 2003, il est couronné par le Cheich d’or au Festival international de la mode africaine (Fima) de Niamey. S’imposer dans son propre pays reste pourtant une tâche ardue.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené dans le vêtement ?
C’est le public qui m’a incité à devenir styliste. Au tout début, j’étais chanteur et je créais pour moi. Le public a apprécié ce que je portais et j’ai donc pensé qu’il fallait partager cette passion. Je me suis mis à créer pour montrer à tout le monde ce que je faisais et ça se passe très bien jusqu’à présent.
Comment situez-vous la mode dans le contexte camerounais ?
Les stylistes camerounais travaillent beaucoup mais le public camerounais ne comprend pas encore le phénomène de la mode ou du moins de la haute couture. Nous avons certes des clients sélectifs qui nous permettent de gagner les marchés et de créer, mais la mode ne vit pas ici comme à Paris ou à Londres.
Face à cette difficulté d’émerger, comment comptez-vous donner une impulsion à la mode au Cameroun ?
En multipliant les défilés, en faisant de la promotion au niveau des médias, en organisant des rencontres entre les stylistes et le public, en se présentant dans tous les festivals. Cela permet au public de toucher du doigt ce qu’il voit dans les revues de mode. Le véritable problème est que les défilés ne sont pas accessibles et la société camerounaise n’a pas une culture de défilés, il ne comprend pas ce que c’est un créateur. Il est habitué à porter les vêtements qui viennent d’Europe, et quand il voit un vêtement haute couture, il se dit que c’est réservé à la jet-set. Mais cela est en train d’évoluer et le secteur commence à être porteur.
Avec quel matériau confectionnez-vous vos collections ?
J’utilise les produits naturels locaux qui sont le raphia, l’obom (otan), des lianes, des racines diverses. Tout dernièrement, j’ai découvert les fibres du palmier à huile ; c’est avec ce matériau que j’ai réalisé ma dernière collection qui a été primée au Fima en 2003.
Quels accessoires utilisez-vous ?
Je monte moi-même les bijoux de mes collections à partir des dessins que je présente aux artisans. Nous transformons des graines pour en fabriquer des colliers. Nous utilisons aussi des cauris et du bois qu’on sculpte à mon goût. Nous avons tellement de matières premières ici. Je fais aussi de la récupération de certaines perles traditionnelles que j’associe aux costumes contemporains.
Qu’est-ce qui empêche le développement de la mode ?
Le véritable problème de la mode demeure au niveau de l’organisation des structures, des subventions. Les hommes d’affaires n’ont pas encore compris que la mode est une industrie où ils peuvent être actionnaires, et qu’ils peuvent investir dans telle collection, dans telle ligne de vêtements, soit en cosmétique, soit en accessoires.
Pourquoi les stylistes camerounais ne se regroupent-ils pas au sein d’une organisation ?
C’est un problème très interne. Les gens ne comprennent pas qu’ensemble, on est plus fort face à différents partenaires. On s’est regroupé en association de jeunes créateurs qui jusqu’à présent a du mal à décoller parce que nous n’avons pas les mêmes ambitions. Les stylistes font un travail solitaire qui ne nous donne aucun avantage. Pourtant, je pense que la mode a un avenir, même si les mécènes ne sont pas toujours au rendez-vous. Au cours de ma distinction au Fima, j’ai eu des propositions de contrats de travail qui, si mon pays ne fait rien, m’inciteront à aller faire valoir mon talent sous d’autres cieux. Nous sommes toujours obligés de partir et par conséquent ça meurt chez nous.

///Article N° : 3531

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